La justice, pilier fragile de la démocratie (décembre 2018)
LA JUSTICE MALTRAITÉE
Le budget de la justice est structurellement raboté alors que le nombre de dossiers introduits et l’arriéré judiciaire ne cessent d’augmenter, que le personnel est de manière chronique en sous-effectifs, que l’informatisation reste un voeu pieux, que les prisons sont insalubres et que les palais de justice tombent en ruine. Nous n’irons pas jusqu’à dire qu’il existe une volonté délibérée de faire dysfonctionner la justice, puisque la plupart des services à la collectivité subissent le vent de l’austérité. Mais nombre d’acteurs de la justice (juges, avocats, magistrats) estiment qu’on arrive à l’os et que le gouvernement ne fait pas les bons choix. « Savez-vous qu’en 2016, 221 milliards € ont quitté la Belgique vers les paradis fiscaux ? Savez-vous que cela correspond à 100 fois le budget de la justice ? » s’insurgeait récemment Franklin Dehousse1, juge au Tribunal de l’Union européenne. Depuis 2011, les gouvernements ont entamé des réformes structurelles sans doute nécessaires (voir pages 6 à 9), mais sans concertation suffisante avec le personnel de la justice, et avec comme principale boussole les économies budgétaires.
Certes, des petites victoires ont été obtenues notamment pour maintenir un accès à l’aide juridique, sous la pression du tissu associatif et le soutien d’une partie du monde judiciaire (pages 17 à 19). Mais pour Manuela Cadelli, présidente du syndicat de la magistrature (voir interview pages 10 à 13), c’est clairement l’efficacité de la justice au service de la démocratie qui est menacée. L’annonce récente dans la presse de l’incapacité de la justice à récupérer l’argent des sanctions financières prononcées (seulement 30 à 40% seraient récupérés) est révélatrice de cette menace. Selon elle, cette quasi impunité due à la lenteur de l’exécution des sanctions est flagrante dans les dossiers financiers. « La justice n’est plus efficace ni légitime. L’impunité des délinquants, ça désespère tout le monde et met en danger la vie en commun et la démocratie », déclarait-elle récemment à propos de cette révélation dans la presse.
Pour Franklin Dehousse, il est clair que les mouvements de colère populaire que l’on connaît ces derniers jours procèdent d’un sentiment de la population que « l’on est de plus en plus dans une société à deux vitesses, une justice à deux vitesses, des soins de santé à deux vitesses, un système de transport à deux vitesses… Progressivement, l’agacement ou la rage profonde produit des accidents politiques comme Trump, le Brexit ou l’Italie ».
Le système judiciaire – et au-delà, le gouvernement qui détermine le cadre de fonctionnement et les moyens budgétaires – a donc un rôle essentiel pour que le sentiment d’injustice des citoyens (voir article ci-contre) ne détrône la confiance dans les institutions de la démocratie.
SOMMAIRE
p.2 – Edito: La justice, victime de maltraitance
Le système judiciaire – et au-delà, le gouvernement qui détermine le cadre de fonctionnement et les moyens Parfois, on défend l’existence d’une loi qu’on estime juste et indispensable. Parfois, on s’insurge contre une loi qu’on juge injuste ou dangereuse. La justice est à la fois sentiment, idéal, institution. On observe d’un peu plus près ce fragile équilibre ?
p.3 -La justice en question: Le juste et l’injuste
Parfois, on défend l’existence d’une loi qu’on estime juste et indispensable. Parfois, on s’insurge contre une loi qu’on juge injuste ou dangereuse. La justice est à la fois sentiment, idéal, institution. On observe d’un peu plus près ce fragile équilibre ?
p.6 –Réforme de la justice : Un chantier perverti par l’obsession budgétaire
La réforme de la justice est un chantier pharaonique tant les besoins sont énormes. Le leitmotiv est de dépoussiérer les institutions et de simplifier les procédures. Des intentions louables, mais qui passent difficilement la rampe quand l’injonction du gouvernement est de faire mieux avec de moins en moins de moyens.
p.10 -Interview: Pour une justice qui ne soit plus au service de l’ordre établi
Manuela CADELLI est Juge, présidente de l’association syndicale des magistrats (ASM). Elle conjugue un franc-parler et un regard social et politique critique sur le fonctionnement de la justice.
p.14 -Justice de proximité : Quand les litiges empoisonnent le quotidien
Si les films ou séries TV nous montrent régulièrement des scènes de procès au départ de fictions ou de faits réels, il s’agit très souvent d’affaires médiatisées autour d’assassinats ou de crimes divers. Pourtant, le quotidien de la justice, tant pour les magistrats, les avocats que pour la population, c’est autre chose.
p.17 -Réforme aide juridique: Chronique d’une victoire associative
De l’eau a coulé sous les ponts depuis la réforme de l’aide juridique (ex pro deo). Depuis 2016, on a pu assister à une vague de mécontentement qualifiant cette réforme d’injuste pour les plus précaires. Aujourd’hui, que reste-t-il de la loi défendue par Koen Geens ? Qui au final a droit à l’aide juridique ?
Prix au numéro : (2 € + frais d’envoi)
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