[OPINION] « Inutiles vraiment ? » Des associations d’éducation permanente remettent les pendules à l’heure
Une maladie chronique de l’information ?
Il arrive de temps à autre que les médias publient des « opinions » qui critiquent le travail d’un certain nombre d’associations, notamment d’éducation permanente. Parfois, ces « prises » de parole se caractérisent par une malveillance qui le dispute à l’insignifiance. Elles ne méritent à ce titre ni qu’on les relève ni qu’on y réponde. Il reste que les contre-vérités que font circuler ce type de « chroniques » approximatives peuvent faire prospérer dans le corps social une méconnaissance objective qui, en retour, favorise l’audience de propos peu fondés.
Dans ce contexte, le combat des Lumières qu’a toujours mené le mouvement ouvrier mérite d’être poursuivi, en dénonçant quatre lieux communs récurrents.
- Les associations d’éducation permanente diffuseraient des opinions partisanes et partiales, alors qu’elles devraient être neutres, puisque financées par de l’argent public
Les associations d’éducation permanente ne sont pas des groupements d’opinion ; elle se battent pour des droits, ce qui n’est pas la même chose.
Pourquoi instituer par Décret, depuis 2003, une telle mission ?
Alain Touraine l’expose en un paragraphe :
« Je préfère donc parler de l’Etat de droits plutôt que de l’Etat de droit, car ce n’est pas l’Etat qui décide par lui-même de se fonder sur le droit ; ce sont des actions collectives qui imposent aux lois la défense de droits. »[1]
Ces actions collectives sont critiques : les droits accordés sont-ils suffisants, appropriés, effectifs, ne sont-ils pas détournés ?…
C’est donc parce que l’Etat de droit est un Etat de droits qu’il est conduit à soutenir une activité critique qui est la garante de l’exercice de sa mission première à lui (la représentation et la poursuite de l’intérêt général). En soutenant l’exercice de la critique, c’est sa raison d’être elle-même que l’Etat soutient et finance.
- Les associations d’éducation permanente sont financées quasi exclusivement par des fonds publics
Entendons derrière cette affirmation – fausse – le reproche suivant : sur-protégées, elles peuvent se permettre tous les excès et s’octroyer tous les conforts.
La moindre des honnêtetés intellectuelles exigerait cependant de reconnaître que ce ne sont pas les associations qui sont pareillement financées, mais les missions et actions qu’elles souhaitent remplir en référence au cadre défini par l’Etat. Ces actions sont normées quantitativement et qualitativement et leur respect est vérifié en permanence, occasionnant des sanctions pouvant aller jusqu’au retrait de reconnaissance.
Nous avons bien dit que sont financées « les missions et actions qu’elles [les associations] souhaitent remplir (…) »
On aura compris en effet que l’exercice de la critique dont dépend la qualité d’un Etat de droits ne peut être programmé par son destinataire lui-même. La qualité de la critique dépend de la libre association qui va s’en faire porteuse. La liberté absolue de s’associer a été une des revendications de la Commune de Paris, puisque cette liberté était refusée aux ouvriers et réprimée.
Il s’agit de tout autre chose qu’une activité de lobbying : on ne réclame pas des droits pour soi, on réclame des droits pour toutes et tous ; on se bat pour des droits que l’on veut universels.
- Les associations d’éducation permanente dépensent l’argent des contribuables (entendons : gaspillent un argent qui n’est pas le leur)
Robert Castel qualifiait de « désaffiliés par le haut » ceux qui pensent pouvoir attribuer leur réussite à l’excellence exclusive de leur individualité, oubliant tous les investissements publics dont ils ont bénéficié et bénéficient en permanence. Pour les désaffiliés par le haut, toute contribution aux biens collectifs dont ils profitent en les niant est toujours exagérée – c’est ce qui fonde notamment les fraudes fiscales à un niveau « hors du commun ». Par contre, ils trouvent toujours que l’argent que dépensent les autres est le leur …
Ce type de raisonnement nie aussi gravement le rôle et l’apport du secteur associatif à la production de la société. Nous n’entendons pas seulement par là un rôle économique, qui est loin d’être négligeable. Nous entendons un rôle sociétal, qui est de produire ce qui est nécessaire à toute production dans cette société : de la connaissance, de la créativité, de la confiance (notamment dans les institutions, par exemple fondée sur le fait qu’elles peuvent « entendre » des questions ou critiques de ceux qu’elles représentent), de la capacité d’engagement, etc.
- Certaines associations d’éducation permanente monopolisent le débat , notamment médiatique
Penser que des associations puissent monopoliser le débat médiatique, c’est gravement (feindre de?) méconnaître les fonctionnements du champ médiatique et notamment la sélection qu’opèrent ses agents par rapport à ceux à qui ils décident de donner la parole. Cette prérogative est jalousement gardée par ceux qui l’exercent.
Certes, il peut exister ce que les agents du champ appellent de « bons clients », qui, faisant preuve des qualités que ces agents estiment requises pour participer aux débats qu’ils organisent, se voient régulièrement invités, plus que d’autres. Mais il est difficile d’imaginer que ces « bons clients » puissent imposer eux-mêmes un quelconque monopole. Il faut plutôt trouver l’origine de ce fonctionnement dans l’énorme pression que subissent les agents du champ médiatique, notamment en termes de vitesse et de rendement. Mais qui peut ignorer cela ?
On ne peut exclure que cette ignorance apparente soit en fait l’expression d’une frustration dans le chef de ceux qui accusent les autres de « monopole ». Dotée de peu de légitimité et de peu consistance, leur parole leur paraît injustement méconnue ou sous-estimée. Quitte à ce qu’ils cherchent alors, dans un cycle de provocation suscitant réponse et contre-réponse, à augmenter leur présence quantitative…
Mais c’est surtout lorsque le reproche de monopolisation s’adosse à une demande de plus de « diversité » et de « pluralisme » qu’on voit poindre un autre souhait : que davantage de place soit accordée à la parole de ceux que Michel Wieviorka appelle les « antimouvements » ; disons, pour faire court, ceux qui souhaitent une régression des droits et qui « deviennent par exemple racistes, laissent échapper leur haine et leur ressentiment vis-à-vis des immigrés, des étrangers, des nomades, de ceux qui sont différents. »[2]
On ne peut évidemment que comprendre, dans ce cas, combien les associations d’éducation permanente peuvent les insupporter, ce qui pourrait expliquer parfois que d’improbables chroniqueurs les accusent, par un retournement spectaculaire des positions, de constituer une maladie chronique de la démocratie.
[1] A. Touraine, La fin des sociétés, Paris, Seuil, 2013, p. 233.
[2] M. Wieviorka, Retour au sens, Pour en finir avec le déclinisme, Paris, Laffont, 2015, p. 322.
Philippe Andrianne, Anne-Marie Andrusyzyn, Hafida Bachir, Anne Binet, Jean Blairon, Geoffroy Carly, Jean-Michel Charlier, Christian Dekeyser, Sylvain Etchegaray, Jean-Luc Manise, Christine Mahy, Sylvie Pinchart, Daniel Soudant, Anne Spitals, Dominique Surleau – responsables d’associations d’éducation permanente et membres du Conseil supérieur de l’Education permanente