Histoires digitales au Sénégal : Quand les femmes ensemencent l’agriculture de demain
Elles vivent dans une région aride du Sénégal, à la frontière de la Mauritanie et du désert du Sahel. Elles sont épouse, mère et participent activement à la gestion quotidienne de leur famille et à l’apport de revenus pour le ménage. Aujourd’hui, elles plantent et récoltent ce qui permettra, espèrent-elles, d’améliorer le bien-être de celui-ci. Leur place est de plus en plus reconnue dans leur village, leur communauté. Avec l’ONG Le Monde selon les femmes et leur partenaire sénégalais, Enda Pronat, nous les avons suivies durant dix jours en novembre 2017 lors d’un atelier de création d’histoires digitales.
Tissant activement un avenir qu’elles souhaitent moins contraint par les traditions qui donnent plus de pouvoir aux hommes, que ce soit en matière d’accès à la terre ou de choix d’un mari, ces femmes se libèrent au fil de leurs engagements, des enfermements de leur condition.
Vivre à Guédé
Cet atelier s’est déroulé dans la région de Guédé : une région où l’agriculture à l’échelle familiale se confronte à l’agro-industrie, et où la concurrence pour la terre a lieu aussi bien pour les produits alimentaires que pour les produits non consommables comme les agrocarburants. Au Sénégal, la gestion de la terre et des ressources naturelles est face à des changements sociétaux liés à la privatisation, à la pression et à la spéculation foncières. Les conséquences sont l’augmentation des inégalités entre milieux urbain et rural ainsi que l’extension de zones semi-urbaines-rurales.
Les femmes rurales ont finalement peu accès à la terre malgré la loi sur le foncier, qui spécifie que la terre est du domaine national et que les femmes et les hommes ont les mêmes droits d’accès. La terre est encore et toujours gérée selon d’anciennes pratiques, les lois coutumières, qui privilégient les garçons, les fils aînés. La marginalisation des femmes dans les sphères familiale et publique accentue encore le phénomène, puisqu’elles ont un pouvoir d’achat plus faible que les hommes, cela contribuant à leur précarisation en maintenant leur dépendance vis-à-vis de ceux-ci. Pourtant, les femmes sénégalaises sont des piliers de l’agriculture en milieu rural.
Pour elles, accéder à la terre est possible à condition de se mettre en groupement et de recevoir une terre villageoise, espérant qu’elle soit bien située et de bonne qualité. De plus, la participation à une association de femmes, constitue un moyen de sortir de chez elle, l’occasion de se former et de partager et d’acquérir des expériences ; ce qui peut s’avérer positif dans la sphère domestique. A Guédé à travers les GIE (les groupements d’intérêts économiques), les femmes ont ainsi appris à pratiquer des cultures à partir d’un système agroécologique, qui se base sur les cycles écologiques et sur l’association de différentes plantes ainsi que sur l’élevage des animaux et l’utilisation de leurs excréments, le tout se renforçant pour améliorer le rendement agricole.
Ainsi, certaines produisent la nourriture pour la famille et orientent leur surplus vers la vente ou favorisent l’autoconsommation. Parmi ces femmes, dix ont participé à l’atelier d’histoires digitales que nous leur avons proposé en partenariat avec Le Monde selon les femmes, une ONG belge dont le siège est à Bruxelles et Enda Pronat, une association active dans le domaine de l’agriculture, dont les bureaux sont à Dakar.
Dans cet atelier Khady, Mariata, Fama, Ramata, Fatimata… ont réalisé leur histoire digitale les mettant en scène à travers sept angles (sept est un chiffre sacré dans différentes cultures) d’approche issus d’une recherche-action croisée entre femmes agricultrices du Sénégal, de Bolivie, du Pérou et de la RDC. Ces sept axes symbolisent l’approche globale de l’agroécologie. Ils sont
placés dans un mandala, dessin de type arabesques arabo-musulmanes. Parmi les axes : libre accès aux ressources, co-responsabilité, travail digne, destination de la production…
Les femmes agricultrices qui ont participé à notre atelier parlent de leur métier dans une vision globale de la vie, entremêlant travail agricole à travers une production biologique, soins domestiques aux enfants, à la famille. A partir de leurs réalités locales, elles nous proposent une nouvelle manière de questionner les rapports de pouvoir et surtout les responsabilités sociales et familiales des hommes et des femmes. Elles nous parlent aussi de leurs difficultés, des violences que certaines ont subies mais aussi de l’évolution des relations entre les femmes et les hommes. En travaillant ensemble, en développant leurs connaissances en matière agricole, elles se renforcent mutuellement et améliorent leur estime de soi.
Le documentaire
A partir des dix histoires digitales créées dans l’atelier, nous avons réalisé un documentaire qui retrace l’itinéraire de celui-ci. On y découvre leurs témoignages en mots et en images. Les photos ont été prises par elles-mêmes dans leur village. On y découvre aussi tout un mode de vie dans cet endroit du monde relié à la capitale Dakar par une seule route à deux bandes fréquentée surtout, lorsque l’on se rapproche de leur village, par des charrettes tirées par des ânes et non éclairées lorsque la nuit tombe, tôt. Là-bas, l’eau se fait rare. L’herbe est pratiquement inexistante. La chaleur écrasante. Chaque matin, nous avons embarqué les unes et les autres dans le pick-up conduit par le chauffeur de l’association Enda Pronat. C’est Haby Ba, de l’association Enda Pronat qui a rassemblé les participantes à notre atelier. Chaque matin, toutes nous attendaient au bord du chemin, dans leur robe longue chatoyante, impeccable. A se demander comment : sans aucun miroir pour vérifier l’ajustement des plis, la bonne tenue des longs foulards noués sur la tête… Les conversations entre elles allaient bon train, en langue pular. La plupart ont néanmoins tenu à faire l’effort de rédiger et de lire leur texte en français, parfois aidées le soir par leurs enfants. Fatimata n’a pas manqué un seul jour d’atelier, toujours accompagnée de son bébé, qu’elle portait sur son dos la plupart du temps ou le couchant sur le tissu disposé dans la pièce où nous menions l’atelier. Les images que nous avons ramenées sont comme la vie là bas, pleine de couleurs mais laissant percevoir l’âpreté d’un quotidien dans une zone aride.
Il a fallu travailler dans des conditions parfois difficiles : plus de 43 degrés de température extérieure, et plus encore dans la salle où nous nous rassemblions, les ordinateurs portables amenés de Belgique, réchauffant encore l’atmosphère. Au moment du bouclage des histoires digitales, la veille de notre départ : une panne d’électricité… Il a fallu poursuivre en s’éclairant des écrans et des lampes de poche de nos smartphones. Au même moment, un événement officiel rassemblait, devant le petit bâtiment où nous travaillions, quelques élus locaux et un public venu les écouter, le tout dans une ambiance festive et musicale.
Les histoires digitales font maintenant le tour des villages, portées par leurs ambassadrices qui ont resserré les liens entre elles. Et puis, les hommes sont fiers de leur femme, les enfants admirent leur maman qui ont plongé, avec détermination dans l’apprentissage des nouvelles technologies en poursuivant l’objectif de sensibiliser leur communauté et bien au-delà, portant ainsi haut leur voix pour mettre en lumière des enjeux d’aujourd’hui. Ceux-ci touchent à l’avenir de l’agriculture et plus largement de la planète mais aussi à la condition des femmes dans des pays où le patriarcat fait loi, où les inégalités sociales sont vertigineuses, où l’eau manque, où le réchauffement climatique fait déjà sentir ses conséquences.
Et après… ?
Pour toutes les raisons évoquées plus haut, il nous a paru important d’apporter notre méthodologie des histoires digitales, dans cette partie du monde en inscrivant cette dynamique autour du thème de l’agroécologie. Aux Equipes Populaires, nous avons parmi les thématiques qui soutiennent nos actions : « modèles de société et modèles de développement » mais aussi « questions de consommation ». Il nous a donc paru intéressant d’apporter une réflexion touchant à ceux-ci, dans une époque où tout est interconnecté, où un battement d’aile au sud a des conséquences sur le nord et vice versa, où nos sorts sont liés. Nous avons donc entrepris de poursuivre la réflexion sur le territoire de la Wallonie. Ainsi, nous animons actuellement un atelier avec des femmes agricultrices dans la région de Marche-en-Famenne. Nous découvrons avec elles, la réalité du travail agricole pratiqué par des femmes qui questionnent au quotidien ce métier confronté à de multiples défis qu’il s’agisse de la concurrence de l’industrie agroalimentaire ou de la sensibilisation des consommateurs à l’agroécologie.
Nous espérons, avec ces fenêtres ouvertes sur l’agriculture aujourd’hui vue par des femmes soucieuses de soigner la terre pour la rendre plus généreuse, livrer aux spectateurs une manière plus humaniste de nourrir la planète.
Voir aussi :
www.mondefemmes.org www.endapronat.org
Page facebook : comm’une histoire