Interview-minute PHILIPPE LAMBERTS, « ON PEUT BOUSILLER LEUR BUSINESS MODEL ! »
PHILIPPE LAMBERTS, co-président du groupe des Verts au Parlement européen, n’a pas sa langue en poche. Nous lui avons demandé ce qui peut, selon lui, contrecarrer la toutepuissance.
Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft sont tous américains. Ils imposent leur business model partout dans le monde et en particulier en Europe, et sont en situation de quasi monopole. Sont-ils inattaquables ?
L’Europe pourrait avoir une prise sur certaines d’entre elles. Rompre le monopole d’Amazon, ça ne doit pas être très compliqué s’il y a une volonté politique. De toute manière, on va sans doute bientôt voir débarquer en Europe d’autres plateformes géantes de vente en ligne telles que la chinoise Ali Baba.
Par contre, pour Google ou Facebook, ce sont des monopoles naturels. Ces
entreprises n’étant pas européennes, l’Europe ne peut pas décider seule de
l’avenir de ce genre de monopole. Par contre, on doit être capable de contrôler
ce qu’ils font et de leur imposer des obligations s’ils veulent opérer en Europe.
Des obligations fiscales, d’abord ; taxer leurs revenus publicitaires, taxer
l’usage des données, taxer leurs bénéfices en fonction du nombre d’utilisateurs qu’ils ont en Europe. Ce n’est pas très compliqué.
On peut également leur imposer des obligations en matière d’utilisation des
données personnelles. Ou encore -c’est une question de volonté politique- les
obliger à offrir le modèle payant. Le principe serait le suivant : comme utilisateur, soit vous utilisez la plateforme gratuitement et vous savez que le prix à payer, c’est l’utilisation de vos données personnelles à des fins commerciales. Soit vous êtes prêts à payer un prix d’usage annuel, qui peut être très bas (1 ou 2 € par mois) car au final, les revenus publicitaires par utilisateur sont assez faibles.
On pourrait leur imposer d’offrir ce choix à l’utilisateur. Contrairement à ce
que prône Test-Achats, il ne s’agit pas de demander aux GAFA de nous rétribuer pour utiliser nos données, c’est la démarche inverse : c’est nous qui rétribuerions Facebook afin qu’il n’utilise pas nos données personnelles. Je trouve que cette option devrait être encouragée. Tout d’abord, parce que la gratuité de l’information et des services, ça n’existe pas et ça n’a jamais existé. Ensuite, parce qu’on peut bousiller le business model des GAFA en restreignant fortement l’utilisation de nos données personnelles. Du coup, ils n’auraient plus rien à vendre aux annonceurs publicitaires ! Pour moi, le vrai levier d’action qu’on a sur les GAFA, c’est celui-là.
Même si l’Europe encadre davantage l’utilisation des données que les Etats-Unis (voir le RGPD), on a pourtant l’impression qu’elle laisse tranquillement les GAFA installer leur business model chez nous. Pourquoi ?
Certains pays de l’Union européenne ont peur de se fâcher avec les Etats- Unis, mais pas tous. Clairement, beaucoup d’initiatives de la Commissaire à la Concurrence Margrethe Vestager ciblent les GAFA, en particulier Facebook et Google ; elle n’a pas froid aux yeux ! Mais c’est vrai qu’il y a une forme d’aveuglement face aux progrès technologiques. Je le constate dans les cercles
de décision européens ; on continue à dire que c’est formidable, ces nouveaux
business models, au lieu de penser à brider la collecte de nos données. Le vrai problème des GAFA se situe du côté des réseaux sociaux : plus il y a d’utilisateurs, plus le réseau a de la valeur pour l’utilisateur. C’est en cela que je dis que Facebook est un monopole naturel ! Il faut aller voir du côté de ce que certains économistes comme Elinor Ostrom ont produit sur la gouvernance des Communs. Ils montrent que les seules alternatives, ce n’est pas obligatoirement devoir choisir entre le privé ou le public.
Si je dis ça c’est parce que pour moi, Facebook est devenu un Commun. Je préfèrerais éliminer la publicité de Facebook, mais on n’est pas obligé de
le nationaliser pour autant ! Avez-vous envie de donner à l’Etat la propriété
de la plateforme sur laquelle les gens partagent tant de choses de leur vie
privée ? Moi pas. Je ne veux la donner ni à l’Etat, ni à une entreprise privée.
Je veux que ça puisse être gouverné comme un Commun. Je crois qu’il y
a un vrai travail à faire dans ce sens. On pourrait dire à Facebook que nos
conditions pour qu’il puisse opérer en Europe, c’est d’accepter de se défaire
de la gouvernance du Commun. Il y a des choses à réfléchir dans ce sens, mais on y est encore bien loin…
Vous êtes co-président du groupe des Verts au Parlement européen. Y a-t-il dans vos cartons un projet de taxation sur le commerce des données ?
Le Parlement européen n’a pas autorité pour le faire. Mais différentes pistes
sont sur la table, par exemple taxer le flux des données ou les recettes publicitaires. Par contre, sur la taxation de leurs profits, le projet d’assiette commune et consolidée sur l’impôt des sociétés règlerait le problème de la taxation des GAFA. l est urgent que l’ISOC soit harmonisé au niveau européen.
Propos recueillis par
Monique Van Dieren