« Nous devons être inventifs et créatifs pour repenser la démocratie par en bas ! »
Témoignage d’ANDRÉ LANGHOOR,
membre du groupe de Malmedy (régionale de Verviers)
En deux mots, quel est ton parcours ?
C’est un peu long. Je suis né en 1953 et fils d’agriculteurs. J’ai connu beaucoup d’échecs scolaires dans mon adolescence et je n’avais donc pas de diplômes. Je suis entré dans la vie active, dans l’industrie textile, à 17 ans, dans une entreprise de 300 personnes. Moi qui venais de l’univers agricole, j’ai donc découvert le monde ouvrier pendant quelques années. Plutôt timide, réservé, n’ayant pas de bagage scolaire, j’ai commencé à ouvrir les yeux sur les injustices dans le monde du travail. Les conditions dans la transformation du coton étaient très pénibles. Je me suis affilié à la CSC. Puis, un peu par hasard, via une connaissance, on m’a proposé de refaire de la formation après journée, après le travail.
Cela m’a mené à l’ISCO, et je suis ensuite devenu militant syndical à la CSC. J’ai été nommé très jeune délégué syndical dans l’entreprise. Après l’ISCO, comme j’avais repris goût aux études, j’ai enchaîné avec la FOPES. Vers 28–30 ans, j’avais terminé ce parcours scolaire, mené tambour battant, de front avec le travail journalier. Je dormais peu. Ce fut une période très difficile, mentalement et physiquement.
Puis il y a eu un combat syndical très fort…
En 1980, il y a eu une faillite retentissante dans l’entreprise. C’était une faillite frauduleuse, le conflit était important. On a occupé l’usine pendant 14 mois. Je suis redevenu ouvrier ensuite, et j’ai engagé avec d’autres un projet de coopérative de production pour sauver une partie de l’outil. Après 3–4 ans, je me suis engagé dans cette coopérative, qui a rassemblé 12 emplois et a tenu 6 ans. Je m’occupais de la gestion administrative et commerciale. Ensuite, je me suis retrouvé au chômage jusqu’à ma pension. Ça a été la descente aux enfers, j’ai perdu mon travail, j’ai perdu de l’argent. Je me suis reconstruit grâce à la vie sportive et associative, dans le football (joueur, entraîneur de jeunes, arbitre, responsable de club), et grâce à du bénévolat dans le milieu social.
Et les Equipes Populaires ? Comment en as-tu entendu parler ?
J’ai connu les Équipes populaires à partir des années 78–80. Les EP étaient très engagées dans le soutien aux travailleurs autour de Verviers. Il y avait une dizaine de groupes engagés, qui se sont coalisés. J’ai fait plusieurs témoignages dans des groupes EP, et ces groupes venaient sur le terrain dans les conflits en entreprise.
Plus tard, au début de ma pension, j’ai été recontacté par Paul Blanjean qui était secrétaire régional à Verviers. Il m’a demandé si j’étais intéressé de recréer un groupe à Malmedy. J’ai accepté et on a lancé ce groupe avec d’autres.
Dans la situation actuelle, qu’est-ce qui te révolte ?
Il y a trois grandes choses. D’abord, les catastrophes climatiques, sur le plan local et sur le plan mondial. C’est interpellant. Ensuite, le niveau de pauvreté qui augmente partout. Et troisièmement, l’individualisme croissant. Cela prend des proportions inédites.
Au niveau politique, la particratie se fait au détriment de la base. Ce sont les gros bonnets des partis qui décident, sans lien avec leur base militante. Je m’inquiète aussi du recul démocratique à tous les niveaux, dans tous les pouvoirs, aussi bien économique, social que culturel. Les gens sont de plus en plus éloignés des décideurs, dans tous les domaines.
Dans la situation actuelle toujours, qu’est-ce qui te donne de l’espoir ?
Peu de choses me donnent de l’espoir. Mais soyons un peu positifs. Quelques éléments peuvent ressortir : une certaine jeunesse se bouge, même si elle est minoritaire, par exemple lors des mobilisations climat. N’oublions pas que les minorités peuvent faire bouger les majorités !
Deuxième élément, des mouvements, aussi bien individuels que collectifs, vont vers une transition. Je parle au sens large, aussi bien en économie que socialement, écologiquement, etc. Je remarque aussi une prise de conscience des citoyens contre les partis traditionnels. Et pour moi, c’est plutôt positif car cela peut mener dans le sens d’une transition. Je sais que ça pourrait mener aussi vers l’extrême droite, mais avant de penser à ça, il faut voir la prise de conscience décisive : les partis traditionnels ont poussé le bouchon trop loin, les gens le voient, et ça peut faire bouger les choses. Enfin, c’est encore le fait d’une minorité, mais une belle solidarité et une grande humanité se sont révélées dans toute la Wallonie, notamment suite aux inondations.
Puis, malgré tout, il y a encore beaucoup de personnes et d’associations engagées dans l’aide aux plus démunis, aux personnes isolées et aux migrants. C’est peu de choses, mais c’est quand même quelque chose.
Selon toi, quel est le meilleur moyen pour mobiliser les citoyens, les mettre ensemble dans l’action collective ?
Je suis convaincu qu’il faut mieux informer les citoyens, et mieux les former. Cela veut dire changer la formation très largement, dans l’enseignement, dans la culture, dans tous les domaines. Nous devons aussi réfléchir autrement, autant à titre individuel que collectif. C’est l’exemple des Équipes populaires. Cela signifie quitter le mode « réseaux sociaux » où les gens s’insultent et réagissent à tout et n’importe quoi, repenser les choses en fonction de l’époque. Recréer, repenser la démocratie à partir du bas, du citoyen, être inventif et créatif.
D’autres choses que tu observes, que tu souhaites partager ?
Je suis vraiment tracassé par le recul du bénévolat dans les associations. Je le vis de l’intérieur, dans le monde économique, dans les mutuelles et les syndicats, dans l’éducation permanente. Le bénévolat est aussi en mutation, les gens choisissent davantage leur domaine, limitent le temps qu’ils y consacrent. Ça peut être intéressant mais cela met des associations en péril, quand les anciens disparaissent. Car les nouveaux bénévoles ne veulent plus s’investir dans la gestion, dans les finances, dans les instances. C’est un phénomène qui touche tout l’associatif, culturel, social et sportif.
La santé mentale et physique est aussi en recul partout et c’est très inquiétant. J’ai été moi-même touché par le cancer, j’en ai réchappé mais cela m’a ouvert les yeux sur ce problème très sérieux.
Enfin, évidemment, la mauvaise répartition des richesses pourrit la vie de tous les humains, autant des riches que des plus pauvres.
Tu m’avais un jour parlé des lanceurs d’alerte…
Oui, c’est une idée que j’ai déjà depuis longtemps, j’aimerais actionner un mouvement de lanceurs d’alerte. On peut prendre l’exemple de Nethys : au départ il y a quelqu’un qui dévoile un problème en prenant des risques, pour faire bouger les choses. Dans la sphère économique, dans tous les espaces, il s’agirait de faire apparaître les choses qui ne vont pas. C’est une proposition que j’aimerais mettre en discussion. Cela permettrait de développer la transparence, une valeur qui mériterait d’être augmentée.
On en parle beaucoup plus qu’avant, mais on pourrait la mettre encore plus en évidence, aussi et surtout en éducation permanente. Expliquer aux gens ce qu’on fait, oralement, et aussi dans les écrits, expliquer par exemple d’où viennent les subsides, à quoi ils servent, etc.
Propos recueillis par Guillaume Lohest