Paroles de militant.e.s
« Quand on est en Equipe, l’énergie est démultipliée… »
Pour mon retour aux Equipes Populaires après quelques années d’absence, j’ai pour mission d’interroger Sophie, une militante débordante d’énergie et récemment promue présidente de la Régionale du Hainaut Centre. Son enthousiasme et sa volonté de faire bouger les choses sont communicatifs. Elle me parle avec passion des projets qui l’animent et des injustices qui la révoltent…
Peux-tu me dire quelques mots sur ton parcours ?
J’ai étudié l’histoire de l’art et de l’archéologie mais personnellement, l’art pour l’art et digresser sans fin sur une œuvre ce n’était pas tellement mon truc. J’ai eu de bonnes expériences dans le secteur culturel et artistique mais au final ça ne m’a pas trop correspondu, j’ai trouvé ça extrêmement élitiste. En 2005, j’ai atterri chez Vie Féminine où j’ai travaillé pendant plus de 10 ans. C’était fort intéressant, avec un public exclusivement féminin sur des thématiques féministes. Quand on travaille dans les organisations militantes, on est un peu lié, on fait les choses en synergie. Je me rappelle qu’à l’époque, les Equipes Populaires menaient la campagne « Notre cerveau n’est pas à vendre ». J’avais toujours une oreille qui trainait dans leur bureau, c’était très intéressant et quand il y avait moyen d’amener notre public on le faisait.
C’est comme ça que j’ai connu les Equipes Populaires. Quand j’ai quitté Vie Féminine, j’ai eu la possibilité de faire un remplacement aux Equipes. Rentrer dans le Mouvement, cela m’a bien correspondu. Repasser à un public mixte, toucher tout le monde, j’aimais bien. Aujourd’hui, je suis professeur de Français Langue Etrangère et d’alphabétisation à Jemappes, auprès de personnes qui ont quitté des pays qui ne respectent pas souvent les Droits de l’Homme. C’est très riche humainement.
Tu as donc travaillé quelque temps comme animatrice aux Equipes Populaires ?
J’avais été engagée en 2018 pour quelques mois. Alberto m’avait prévenue que le challenge c’était de relancer la région du Centre. Puisque je vis ici depuis plus d’un demi-siècle et que j’avais déjà un réseau, cela m’a motivée de relever le défi.
J’ai eu l’occasion de lancer deux espaces citoyens : un à Manage et un à La Louvière. Il y a une quinzaine de personnes de chaque côté et on aborde les injustices sociales tous azimuts. Nous avons travaillé sur le droit et l’accès à la culture mais aussi sur les difficultés liées au logement et à l’énergie. Et en partant de là, on est arrivé à la santé parce que tout est transversal. Quand des personnes ne savent plus se chauffer, elles tombent plus facilement malades. Nous, nous avons envie de dire que ce ne sont pas des combats isolés mais que tout est lié. Et prochainement, nous pensons travailler sur la disparition des guichets de banque et voir ce que cela implique pour de nombreux citoyens.
A chaque fois, nous essayons d’aller vers des actions concrètes. A un moment donné, les militants ont envie d’autre chose que du bla-bla. Il faut un événement, une activité, une action, être dans le concret.
Tu as un exemple d’un projet concret que vous avez mené ?
En novembre 2022, nous avons organisé une exposition avec le groupe Remue-Manage. Nous l’avons intitulée « Ceci n’est pas une exposition ! ». Ce projet est né du désir des militants du groupe de travailler sur l’accès à la culture. Nous avons vu des spectacles et visité des expositions. A chaque fois, nous revenions en espace citoyen pour en discuter. Pourquoi certains ne sont pas venus ? Est-ce que c’est la mobilité, l’heure tardive, le thème qui ont été des freins ? Et pour ceux qui sont venus, qu’est-ce qui a été apprécié ? L’idée, ce n’est pas de passer juste un bon moment, de boire un verre et puis de rentrer chez soi mais d’en tirer une réflexion.
Au fil des discussions, nous nous sommes rendu compte que tout le monde a du talent et quelque chose à dire d’une façon non verbale. Les militants ont déjà des pratiques artistiques mais tout ce qu’ils créent reste dans les maisons, les greniers, les arrière-cours parce que ce n’est pas considéré comme légitime. Alors le groupe s’est dit qu’il fallait valoriser ça et en six semaines, l’exposition avait pris forme et présentait des œuvres (céramique, poésie, objets, mode…) réalisées par des personnes du groupe.
Les militants avaient besoin d’un événement grand public. Il y a eu 120 personnes sur le week-end et franchement, je ne m’y attendais pas. Il y avait une diffusion via les médias mais on sait que les personnes vont vers les musées et vernissages plus attendus, plus habituels mais là on était ravis et pour les personnes ça a été une valorisation très chouette.
Il y a des défis à relever dans le domaine culturel et artistique. Quand je vois mon public, qui n’a pas l’habitude de pousser les portes des centres culturels et des musées, et qui maintenant le fait avec joie, j’en retire beaucoup de satisfaction. Pour certains, la culture c’est chiant, les livres, les bibliothèques, c’est chiant…. Mettre la culture à portée de tous, c’est complètement crucial et politique.
Après avoir travaillé comme salariée aux EP, tu as décidé de rester militante au sein du Mouvement ?
Maintenant je continue à m’occuper des deux groupes et aussi d’un troisième groupe à Chapelle-Lez-Herlaimont, d’une quinzaine de personnes. La région du Centre s’étend et j’en suis très contente. Cela veut dire qu’on nous rejoint, qu’on commence à être plus visible. La visibilité, c’est ma marotte ! Je ne dis pas qu’il faut aller crever l’écran tout le temps parce qu’alors on ne fait plus que ça mais il y a encore trop de personnes qui ne savent pas ce que sont les Equipes Populaires. Et travailler la visibilité, c’est la seule façon d’amener dans le Mouvement de nouvelles personnes pleines de dynamisme.
Tu es sur le terrain mais tu t’impliques aussi dans le Mouvement de manière plus large ?
Oui, je suis membre du bureau communautaire, c’est une nouvelle aventure ! On se voit tous les mois et c’est vraiment riche. L’idée, c’était d’approcher le Mouvement par un autre biais, de comprendre les rouages, d’approcher la dynamique emploi que je connaissais moins. C’est encore une boulimie d’apprendre. Emploi, finances, c’est moins mon domaine. Je rencontre d’autres personnes actives dans le Mouvement, des salariés, des militants. J’échange avec des personnes que je ne croise pas tous les jours. Humainement et intellectuellement, c’est très riche.
Et maintenant, je suis aussi présidente de la Régionale. Je me réjouis parce que je suis au plus près des groupes. C’est chouette, cela me permet d’aller voir ce que ces personnes font, leurs activités, leurs événements. Le terrain, c’est ce que je préfère ! Je vois aussi comment on dénoue les nœuds et les conflits. Je ne fais rien à moitié donc c’est du boulot, c’est inévitable mais je m’amuse beaucoup, je m’éclate, j’apprends.
Des idées pour la suite ?
Dans les groupes, nous dénonçons la crise du logement. Avec quelques militants, nous avons fait une action récemment à La Hestre sur le sans-abrisme. Nous avons passé la soirée auprès de Philippe, un homme qui vit depuis des semaines dans une remise avec ses deux chiens. La journée, il marche plusieurs kilomètres pour aller faire la manche puis rentrer dormir dans son pauvre logis. Evidemment, cela entraine des soucis de santé, il tousse, il ne se soigne pas. Sa situation est liée à des accidents de la vie. Il a travaillé dans l’armée puis dans la toiture. Il a eu des problèmes de santé, une maison devenue insalubre… Il suffit de cumuler deux ou trois gros problèmes et on bascule très vite de l’autre
côté du miroir. Ce n’est pas une clochardisation volontaire, il faut sortir de ce cliché. Nous avions prévenu la télé locale que nous passions la soirée auprès de Philippe. Nous avons intitulé cette action « Ceci n’est pas supportable ! ». A l’époque où il y a des logements vides, des bureaux chauffés et non occupés… on ne peut pas accepter que quelqu’un dorme dans le froid dans une remise.
Ici c’est peut-être le tout début d’un nouveau projet pour les Equipes du Centre. Nous y étions avec quelques militants interpellés par la situation et on va voir si les groupes ont l’envie d’embrayer. Je trouve que le sans-abrisme, c’est une thématique importante mais je ne veux pas prendre les militants en otage. Tout part de la base donc on va en discuter ensemble.
C’est important le collectif ?
Le côté individuel est peu intéressant. Il est court et on s’épuise vite. Sans l’équipe, je ne serais pas grand-chose ! Je peux repérer ou démasquer quelque chose mais très vite, on a besoin du dynamisme du collectif. L’énergie est démultipliée quand on est ensemble. On se retrouve avec plaisir, il y a toujours bien une idée qui arrive, alimentée
par une autre idée. Il y a un enthousiasme vraiment incroyable.
Dans nos groupes, on a une grande mixité sociale et générationnelle, c’est très riche. Je mets un point d’honneur à ce qu’il n’y ait pas de jugement sur les situations que certains peuvent vivre mais il y a parfois des clichés qui ressortent ou des petites tensions qui naissent.
Dans cette société, on divise pour régner : sans-abri contre sans-papiers, sans-papiers contre chômeurs, chômeurs contre ceux qui travaillent un peu. C’est facile et, en attendant, on ne pointe pas du doigt ceux qui s’enrichissent et qui mettent en fragilité et en grand danger cette société.
Donc on essaie d’analyser et de décortiquer ça le plus sereinement possible. Nous le faisons avec un public qui vit une forme de précarité, des personnes qui sont fragilisées par leur parcours de vie. Et quand on vit une situation précaire, la sérénité est parfois plus compliquée à appliquer.
Tu restes optimiste ?
Je refuse de tomber dans le « à quoi bon ?! ». Une chose qui m’inquiéterait, ce serait d’être consternée plutôt que concernée. Là je ne parle pas de moi, mais des gens que je côtoie en général. Aux Equipes Populaires, je trouve des gens concernés et c’est pour ça que j’y reste !
Je ne suis pas quelqu’un de misérabiliste. Il y a évidemment des situations sombres dans cette société mais l’actualité et les journalistes catastrophistes se chargent très bien de nous le rappeler. Non, je reste fondamentalement optimiste et une chose qui me réjouit, c’est la capacité qu’a l’être humain à avancer. Quand je pense à Philippe qui dort dans sa remise avec ses deux chiens mais qui sourit et croit à l’avenir… Quelqu’un comme lui est une leçon et je reste persuadée qu’on va trouver une solution pour le sortir de cette situation.
Quand je rentre chez moi et que j’ai rencontré des personnes comme ça, je me dis qu’il faut arrêter de se morfondre. Nous devons continuer à nous battre. J’ai plein de défauts mais la détermination chez moi, c’est chevillé au corps. Je suis inoxydable comme disent les militants ! L’adversité, c’est mon moteur : je n’ai qu’à voir des embûches pour avoir l’envie d’avancer, à tous les niveaux. Si quelque chose est compliqué, je ne vais pas reculer et aller dans mon lit, je vais m’y atteler. Et en termes d’injustice sociale, il y a de quoi faire… J’attendrai l’éternité pour dormir !
Propos recueillis par Muriel Vanderborght