CARTE BLANCHE Pour une écologie populaire
Abandonner les questions écologiques aux logiques de marché nous condamne à les délier des enjeux sociaux. Or, elles ne peuvent être affrontées qu’avec un souci constant de justice sociale et de construction collective des luttes et des réponses. Le point de départ obligé de ce chemin est la justice fiscale
L’écologie « classique », mainstream, ne fonctionne pas. Ni le monde politique, ni le monde économique, ni la société dans son ensemble ne parviennent à avoir un impact suffisant pour un changement profond. Les catastrophes climatiques augmentent, de même que les inégalités sociales. Il y a donc un décalage. Les pratiques individuelles et les mesures politiques actuelles sont anecdotiques au regard des enjeux.
Cette écologie qui ne fait pas le poids, c’est celle des écogestes, des changements de comportements, des incitants fiscaux, de la « transition ». C’est une écologie de marché, condamnée à être rentable pour pouvoir se vendre politiquement. Faut-il pour autant tout jeter de ces initiatives ? Sans doute pas. Car derrière la caricature ici dressée, il y a des bonnes volontés éparpillées, les visées sont parfois louables et les pratiques diversifiées. En outre, les constats sur lesquels elle s’appuie sont indéniables : les consensus scientifiques sur les causes et les conséquences de la catastrophe climatique en cours et à venir, sur l’extinction de la biodiversité, doivent rester au centre de toute écologie, quelle qu’elle soit. Mais pour le reste – « ce qu’il faut faire » – il est temps de chercher d’autres moteurs de changements que la seule volonté individuelle (actionnée par conscience morale, par distinction culturelle, par opportunisme fiscal, ou un peu des trois).
Cette écologie anecdotique est « impopulaire » au double sens du mot : elle n’est pas issue des milieux populaires et elle ne suscite pas l’enthousiasme des foules. Elle vient à nous sous la forme d’injonctions, à partir de propositions ou d’incitations issues du monde politique, médiatique ou militant. Ce que nous voulons défendre et promouvoir dans le débat public, au contraire, c’est une écologie populaire, qui rende toute sa noblesse à l’adjectif.
En voici une définition qui écartera toute ambiguïté.
- Une écologie populaire est une écologie ancrée dans les préoccupations et les vécus des milieux populaires, qui reconnaît leurs inquiétudes réelles en la matière. Il est faux et paternaliste d’affirmer que les plus pauvres d’entre nous ont d’autres chats à fouetter. Fin du monde et fin du mois ne sont, certes, pas exactement les mêmes combats, mais ce sont deux menaces réelles, simultanées, dont les causes se recoupent. Cessons donc de les hiérarchiser ou de les opposer, pour les affronter conjointement. Aller à la rencontre des gens par la façon dont les enjeux écologiques et sociaux les touchent, parfois de façon brutale et injuste, cela implique d’oser mener des débats difficiles, d’affronter des situations tendues (exemples : on exproprie des habitants pour épurer des rivières et prévenir les inondations ; on manque de logements abordables mais on veut préserver des espaces verts en ville ; des industries polluantes procurent de l’emploi).
- Une écologie populaire est soucieuse d’inclure tout le monde. Jamais l’adjectif “populaire” ne servira de prétexte à quelque exclusion que ce soit. Quels que soient nos parcours de vie et nos origines, nous sommes amenés à faire société autour de cet enjeu commun. L’écologie populaire s’opposera donc toujours à l’extrême droite d’une part, à l’idéologie capitaliste néolibérale d’autre part. Inclure tout le monde dans la réflexion collective ne signifie pas accepter toutes les idées. Le racisme, les discours anti-migrants, la stigmatisation des personnes précarisées ou sans emploi, le sexisme, sont incompatibles avec l’écologie populaire que nous voulons porter.
- Une écologie populaire est donc aussi forcément collective, dans ses démarches en éducation populaire et dans les mesures politiques qu’elle réclame. Les défis concernent chacun mais les objectifs sont fondamentalement collectifs et politiques. Il est absurde et schizophrène d’inciter les individus à adopter des écogestes au sein d’une économie capitaliste qui encourage la consommation industrielle de masse et la publicité. L’écologie populaire visera donc des solutions structurelles, organisera des alternatives au marché, fournira des services collectifs dans les domaines essentiels à une vie digne (énergie, logement, eau, alimentation, mobilité, santé). Par exemple : la gratuité et le redéploiement massif des transports en commun ; un grand plan d’isolation du parc locatif public ; une réappropriation collective (publique et citoyenne) de l’énergie…
- Une écologie populaire est, enfin, une écologie de l’égalité. Sa condition d’existence est la diminution des inégalités. La première des choses à faire est d’exiger et d’obtenir, par la justice fiscale, une contribution et une réparation de la part des entreprises et des citoyens les plus riches. C’est un renversement de l’imaginaire : il faut mettre des limites aux possibilités et aux désirs d’enrichissement infini. La théorie du ruissellement est une fumisterie dans un monde fini : tout ce que certains possèdent au-delà de leurs besoins (propriétés, capitaux, résidences…), ils l’ont au détriment des plus pauvres et de la planète. Ainsi, lutter contre la pauvreté, c’est lutter contre la richesse. Lutter contre la dégradation de la planète, c’est lutter contre la richesse. Car c’est un fait statistique établi : plus on est riche, plus on pollue. C’est vrai à l’échelle des individus, en moyenne, mais aussi à l’échelle des États. Cela doit devenir un leitmotiv, notre « en même temps » à nous : chaque mesure écologique doit en même temps permettre de diminuer les inégalités.
L’écologie populaire se situe donc à la rencontre de trois très hautes exigences : à la fois ne rien céder à l’urgence écologique (on ne peut pas ne rien faire), tout en visant la justice sociale, et en plaçant au centre de tout l’implication des milieux populaires.
Guillaume Lohest & Charlotte Renouprez, respectivement président sortant et future présidente des Équipes populaires.
L’écologie populaire, c’est notre affaire !
Les Équipes populaires ont tenu un Congrès le samedi 18 novembre. À cette occasion, ce mouvement d’éducation permanente a affirmé haut et fort son souhait de mettre en avant la notion d’écologie populaire et de la faire vivre dans le débat public.
Lors de ce congrès également, Charlotte Renouprez a été élue présidente du mouvement. Elle succèdera à Guillaume Lohest dans cette fonction.