Actualités

« Gauche, droite, extrêmes, a-t-on perdu nos repères » ? Retour sur le Débat de Contrastes du 30 mai à Liège

Les élec­tions étaient à la Une de l’ac­tua­lité depuis de nombreuses semaines. Et avec elles, les débats poli­tiques entre repré­sen­tants des diffé­rents partis, qui génèrent souvent davan­tage de ques­tions que de réponses. Entre messages simplistes, slogans raco­leurs et programmes éclec­tiques, on peut s’in­ter­ro­ger : gauche, droite, tous pareils ?

C’est préci­sé­ment cet axe gauche-droite qui était au centre de notre débat de Contrastes qui s’est tenu à Liège le 30 mai dernier. À l’heure où les débats élec­to­raux battaient leur plein, on a voulu prendre du recul et reve­nir aux fonda­men­taux : qu’est-ce que cela veut dire « être à gauche » ou « être à droite » sur l’échiquier poli­tique ? Est-ce que ce clivage a encore un sens aujourd’­hui ?

Pour commen­cer la réflexion, rien de tel qu’une mise en situa­tion concrète ! À partir d’af­fiches élec­to­rales anony­mi­sées, les parti­ci­pants ont essayé de devi­ner, en sous groupes, à quels partis poli­tiques ces visuels appar­te­naient. Si la mise en commun a donné lieu à quelques surprises, elle a néan­moins permis de mettre en évidence des prio­ri­tés de gauche et de droite, et une certaine rhéto­rique des extrêmes.

C’est sur ces éléments qu’a pu rebon­dir notre invité, François Debras, profes­seur à l’Uni­ver­sité de Liège et à l’HELMo. Il a d’abord rappelé les bases « théo­riques », en résu­mant l’ap­proche du philo­sophe italien Norberto Bobbio. La gauche et la droite diffèrent dans leur vision de l’éga­lité. Toutes deux s’ac­cordent sur le fait que les êtres humains sont à la fois égaux et inégaux. Mais la première estime que les inéga­li­tés sont essen­tiel­le­ment sociales et doivent être corri­gées pour tendre vers une société égali­taire.
Par exemple, grâce à une protec­tion sociale forte. La droite, au contraire, consi­dère que les inéga­li­tés sont surtout natu­relles et qu’il s’agit d’en tirer parti dans le fonc­tion­ne­ment de la société. Dans cette logique, c’est grâce aux talents divers et aux efforts des indi­vi­dus que la société devient meilleure.

François Debras a insisté sur le contexte qui rend parfois une mesure diffi­cile à quali­fier « de gauche » ou « de droite ». Par exemple, un examen d’en­trée en faculté de méde­cine peut tendre à l’éga­lité (tout le monde a les mêmes bases avant de commen­cer l’uni­ver­sité) ou renfor­cer une inéga­lité (seules les classes favo­ri­sées de la popu­la­tion pour­ront se payer les cours prépa­ra­toires à l’exa­men). La géogra­phie a égale­ment un impact sur le posi­tion­ne­ment des partis dits de gauche ou de droite. En Belgique, la divi­sion nord-sudest très marquée. Par exemple, les socia­listes flamands sont consi­dé­rés comme étant davan­tage à droite écono­mique­ment que le PS wallon. Les libé­raux flamands, eux, sont moins conser­va­teurs que le MR sur les ques­tions cultu­relles (droits des mino­ri­tés, migra­tion, crimi­na­lité, etc.).

Suite aux nombreuses ques­tions des parti­ci­pants, les échanges ont beau­coup porté sur les extrêmes. Extrême droite, extrême gauche : même combat ? Pas du tout ! L’ex­trême droite milite pour la restric­tion des liber­tés fonda­men­tales (immi­grés, LGBTQIA+, etc.), ce qui n’est pas le projet poli­tique de l’ex­trême gauche. Par contre, leur rejet commun du système engendre parfois des méthodes d’ac­tion simi­laires (et parfois violentes) ainsi que des discours semblables (« tous pour­ris ! »)

Plusieurs parti­ci­pants ont décou­vert avec surprise qu’il y a des partis d’ex­trême droite en Wallo­nie. François Debras attri­bue ce manque de visi­bi­lité à l’exis­tence d’un cordon sani­taire média­tique au sud du pays qui empêche les jour­na­listes de tendre leur micro aux repré­sen­tants de l’ex­trême droite. Est-ce de la censure ? Pour François Debras, non, il s’agit plutôt du respect des lois en vigueur. Des légis­la­tions existent dans notre pays pour lutter contre le racisme, qui est une idéo­lo­gie large­ment plébis­ci­tée par l’ex­trême droite, même si elle tend à le faire de manière plus insi­dieuse. On se souvient, par exemple, que Jean-Marie Le Pen, qui tenait dans les années 80 des propos ouver­te­ment racistes, eut cette phrase subti­le­ment raciste : « la culture maro­caine est si belle qu’on ne peut pas la mélan­ger avec la culture française ».

Les partis d’ex­trême droite ont d’ailleurs beau­coup d’autres moyens que les médias tradi­tion­nels pour diffu­ser leurs idées. Le budget consa­cré par le Vlaams Belang aux réseaux sociaux est colos­sal. Avec celui de la N-VA, il dépasse celui de tous les autres partis flamands réunis. Ce n’est donc pas une surprise si un tiers des moins de 30 ans en Flandre compte donner sa voix au Vlaams Belang, faisant mentir le fait tradi­tion­nel­le­ment établi que les élec­teurs d’ex­trême droite sont plus âgés.

François Debras a égale­ment pointé les discours d’ex­trême droite qui percolent dans la société en géné­ral. Les glis­se­ments séman­tiques sont parlants à cet égard. Par exemple, « centre fermé » a long­temps été un terme utilisé par le Vlaams Blok (prédé­ces­seur du Vlaams Belang) avant d’être utilisé dans le langage commun. Est-ce un signe que la société « vire à droite » ? En tous cas, certains partis tradi­tion­nels fran­co­phones (MR, Les Enga­gés) se sont en effet « droi­ti­sés » depuis les dernières élec­tions, selon une analyse menée par des spécia­listes de l’uni­ver­sité d’An­vers et de l’UCLou­vain1.

Quand on lui demande de défi­nir le centre, François Debras reste prudent. Centre par rapport à quoi ? Les extrêmes ? Une chose est certaine : le centre est souvent parti­san du statu quo, et par consé­quent, marqué par un certain conser­va­tisme (« on a toujours
fait comme ça »).

Ce bel échange s’est clôturé comme il a commencé, avec des visuels illus­trant le posi­tion­ne­ment des partis fran­co­phones belges lorsque les agri­cul­teurs sont descen­dus dans les rues début 2024. Tous les partis ont exprimé leur soutien mais au nom de diffé­rentes raisons, moins évidentes à comprendre quand on n’a pas en tête ce qui diffé­ren­cie profon­dé­ment la gauche de la droite.

Compte-rendu d’Ariane Couvreur

1. Posi­tion­ne­ments calcu­lés par Stefaan Walgrave (Univer­si­teit Antwer­pen), Benoît Rihoux (UCLou­vain), Michiel Nuyte­mans (Tree Company) et Jonas Lefe­vere (Univer­si­teit Antwer­pen) sur base de 94 réponses des partis au Test élec­to­ral de la RTBF pour 2024 et 116 propo­si­tions du Test élec­to­ral de 2019

Autres actualités

Voir toutes les actualités