Logement et Ecologie populaire : Enseignements de notre journée d’étude du 20 avril
Le 20 avril dernier, nous avons organisé à Charleroi notre journée d’étude annuelle sur le logement et l’écologie populaire. Journée riche en échanges, débats, informations et rencontres, elle a sans aucun doute permis d’approfondir notre réflexion autour des deux enjeux abordés au cours de la journée, à savoir l’aménagement du territoire et la rénovation énergétique des bâtiments. Je vous propose dans les pages qui suivent un retour sur les moments forts de la journée, les contenus abordés, les réflexions à poursuivre.
Mais d’abord, pourquoi avoir choisi ce thème pour notre journée d’étude ? Le logement, aux Équipes Populaires on le sait depuis très longtemps déjà, est un essentiel non négociable. Un socle sans lequel il est impossible de se déployer comme citoyen, d’être en bonne santé physique et mentale, d’avoir une vie sociale, familiale, intime épanouissante. Pourtant, et cela aussi on le sait depuis longtemps, c’est un essentiel inaccessible pour de trop nombreux ménages. Pas la bonne couleur de peau, pas de bon statut, pas le bon revenu, trop d’enfants, d’animaux de compagnie… Pour les locataires, c’est la croix et la bannière. Pour celles et ceux qui ont finalement signé un contrat de bail, c’est souvent trop cher, insalubre, mal situé, trop petit, mal isolé… Les propriétaires occupants ne sont pas non plus épargnés par cette crise, en tout cas pas tous. L’urgence climatique n’est plus à démontrer, elle non plus. Effondrement de la biodiversité, bétonnisation à outrance, sécheresses, canicules à répétition, phénomène des ilots de chaleur de ville, risques accrus d’inondations… Notre précédente journée d’étude nous a largement informés sur la situation et les catastrophes climatiques qui nous attendent ici et là-bas.
Dans la droite ligne des discussions qui ont animé notre Congrès de novembre 2023, nous avons décidé de rassembler ces deux préoccupations et d’approfondir deux tensions spécifiques identifiées alors dans les tables de discussion : l’aménagement du territoire et l’isolation des logements. Ensemble, nous avons exploré les tensions, contradictions, voire conflits qui surgissent entre l’impérieuse nécessité d’avoir du logement digne, décent, abordable et en quantité suffisante pour toutes et tous, et l’impérieuse nécessité de protéger nos espaces verts, l’environnement, la planète.
Pour démarrer la journée dans la bonne humeur, quoi de mieux que des saynètes écrites et mises en scène par le duo de choc du centre communautaire, Guillaume et Jean-Michel ! Celles-ci ont permis d’introduire avec humour et légèreté les grandes questions que nous allions aborder ensemble. Avec Gilberte, Lucette et leurs deux inénarrables chiens, nous découvrons entre deux fous rires que les Vanderplas auront été « essspulsés » pour impayé de loyer, tandis que Thib’ et Charles se frottent les mains en calculant la rentabilité potentielle de l’ancien logement des Vanderplas… Et qu’un groupe d’habitants se mobilisent contre l’abattage des platanes voisins de cette maison ! Le décor était planté.
Du logement et des espaces verts ?
« J’ai commencé par une mobilisation près de chez moi » : c’est avec cette phrase que Jean Peltier, du réseau Occupons le Terrain, démarre son intervention. « Souvent on commence par ce qui nous touche, ce qui est proche de nous. Un projet nuisible dans notre quartier, notre environnement de vie. Mais comment lutter contre un projet immobilier ? On peut se sentir démuni, on a l’impression de ne pas avoir de prise, on ne sait pas par où commencer. » C’est donc ça, le point de départ du réseau. Fournir un « mode d’emploi » aux habitants qui souhaitent se mobiliser contre un projet de construction qui leur semble inutile, inadapté, ne répondant pas à leurs besoins.
Au cours de sa présentation, Jean Peltier insiste sur trois éléments :
1/ Lutter contre un projet, c’est une étape. Mais une fois que le groupe a « gagné », comment s’assurer de la pérennité de la victoire, que le promoteur immobilier ne revienne pas proposer un autre projet inutile et nuisible ? Pour Occupons le Terrain, c’est intéressant que les groupes réfléchissent aux alternatives et soient encouragés à imaginer autre chose. Pour quoi on lutte, qu’est-ce qu’on propose à la place ?
2/ Occupons le Terrain n’est pas un spécialiste du droit au logement, mais vu la nature de leurs combats, ses membres s’y intéressent. De leur point de vue, on parle tout le temps de la crise du logement mais en réalité il s’agit d’une crise de l’accès au logement. C’est-à-dire que des logements, il y en a en suffisance, le problème c’est que ceux qui sont là ne sont pas accessibles financièrement. Le logement est trop cher et pas adapté aux besoins des familles (en termes de taille notamment). Ils pensent qu’il y a trois leviers à utiliser absolument avant de penser construire sur une zone non bétonnée : réhabiliter les logements vides et les remettre en location ; rénover les logements existants ; construire sur les friches commerciales ou industrielles, déjà bétonnées.
3/ La question qui est finalement posée par Occupons le Terrain, c’est celle de la limite à la propriété : est-ce qu’on peut accepter n’importe quoi sous prétexte que l’on est propriétaire d’un terrain ? Le droit de propriété est-il sans limite ? Quelles limites légitimes d’un point de vue social et écologique peut-on poser à la propriété ?
À la suite de sa présentation, nous avons pris le temps d’échanger en sous-groupes sur le contenu et de préparer quelques questions à soumettre à Jean Peltier. Impossible évidemment de vous en faire la liste complète, mais une me semble particulièrement pertinente à pointer ici, compte tenu de la nature de notre travail aux Équipes Populaires. C’est la question de la mobilisation sur le terrain, du « comment favoriser une mobilisation citoyenne qui dépasse le cercle de convaincus »
Pas de recette miracle ici, mais quelques balises à garder en tête lorsque l’on souhaite mettre en place une dynamique. La première est de passer par la vie locale, les brocantes, les fêtes de quartier, l’espace public en général. C’est en effet là qu’on rencontre les habitants et qu’on peut échanger sur les enjeux de la vie du quartier.
Comme il s’agit de luttes de territoire qui concernent l’environnement direct de vie, l’organisation des groupes se fait directement dans les quartiers et il y a forcément des gens qui répondent présent. Ensuite, il s’agit d’être attentif à ne pas devenir un groupe d’experts de l’aménagement du territoire – car c’est le risque avec ce type de lutte qui peut devenir très technique – mais de laisser la place à différents types d’engagement : « penser la place pour toutes et tous, tout type d’aide est le bienvenu et légitime. Quelqu’un qui vient aider juste pour la vente des gaufres pour récolter de l’argent par exemple, c’est un début d’engagement qui peut, après quelques mois, devenir autre chose, un engagement plus politique ». Si des négociations en amont d’un projet peuvent se faire au travers de Commissions Consultatives d’Aménagement du Territoire ou parfois directement avec les promoteurs, c’est de toute façon la mobilisation sur le terrain qui est décisive. Les communes ont une série d’outils, de mesures légales à leur disposition pour freiner, empêcher un projet (comme le « gel » des espaces verts) mais les actionner relève de la volonté politique… La préoccupation constante doit donc rester la mobilisation large.
Rénovation énergétique : vraiment écologique et sociale ?
En route pour le deuxième gros morceau de la journée, avec Manon Chapurlat du Centre de Rénovation Urbaine et Arnaud Bilande du Rassemblement Wallon pour le Droit à l’Habitat. Ils ont présenté les grandes lignes des politiques en place concernant le plan de rénovation et d’isolation des logements faisant suite aux obligations européennes de neutralité carbone. Selon eux, ces politiques portent en elles une série de limites, tant du point de vue environnemental que social.
La première limite évidente est le fait que cette politique soit basée uniquement sur le PEB. Or le PEB ne prend pas en compte les consommations réelles, le mode de vie de l’utilisation du bâtiment, ni l’impact environnemental des matériaux de rénovation. Deuxièmement, l’absence complète de politique anti-spéculative, d’encadrement des loyers. Aujourd’hui ce sont majoritairement les ménages précaires qui habitent dans les logements à plus faibles PEB, étant plus accessibles financièrement. Or, sans politique anti-spéculative, le risque est grand que les loyers et prix de vente de ces logements augmentent. Enfin, le système de primes, qui est inégalitaire. Il n’y a pas assez de réflexion sur comment on les rend accessibles, à qui on les donne. Il n’y a par exemple pas de possibilité de préfinancement, les ménages doivent d’abord avancer l’argent, faire les travaux, et ensuite seulement reçoivent leurs primes. Les démarches sont compliquées, tout se fait en ligne… Ce système produit un effet appelé « effet Mathieu » : les primes sont accessibles à ceux qui n’en ont pas vraiment besoin.
Pour répondre à ces limites, nos membres ont réfléchi à une série de propositions. Sans en faire une liste exhaustive, je voudrais en mettre quelques-unes en lumière qui me semblent particulièrement intéressantes à investiguer. D’abord, celle de remplacer le système des primes par un système de crédit d’impôt. Une autre proposition est la mise en place d’un fonds de financement qui serait géré collectivement et paritairement. Ensuite, sur la problématique de la hausse des loyers, une balise générale proposée est de dire que « ce qui est financé sur fonds publics ne peut pas être amorti par une augmentation de loyer ». Passer par une grille contraignante, limiter encore plus l’indexation des loyers, voire interdire la propriété lucrative (ou ne l’autoriser qu’en cas de location via une Agence Immobilière Sociale) sont autant de pistes abordées par les sous-groupes. Dans tous les cas, il y a une nécessité de sortir de la logique individuelle et de mettre en place une réelle planification publique.
La journée s’est clôturée par une présentation du Pacte logement-énergie porté par la Coalition Climat, avec Marie-Claude Chainaye (RWLP) et Nadia Cornejo (Greenpeace). L’enjeu de ce pacte ? Construire une position commune intégrant les enjeux sociaux et climatiques autour de l’accès au logement, ce qui n’a rien d’évident.
Vous l’aurez constaté à la lecture de ces pages, le 20 avril dernier fut une journée incroyablement riche en contenu et, nous l’espérons, utile aux mobilisations sur le terrain !
Compte-rendu de Charlotte Renouprez