Un certain regard sur les élections
Les années électorales sont toujours des moments de travail intenses aux Équipes Populaires, où les membres et les permanents se donnent à fond pour faire vivre la démocratie et le débat tout en portant les enjeux et les combats qui nous sont chers. Des mois de campagne politique et un passage aux urnes plus tard, les résultats sont enfin tombés. Et c’est peu dire qu’ils ont apporté leur lot de surprises, d’analyse, mais aussi d’interrogations pour l’avenir. Retour sur ces mois d’investissement des Équipes Populaires et sur les résultats à travers le regard de notre Présidente, Charlotte Renouprez.
Comment la campagne a-t-elle été vécue de façon concrète au sein des Équipes Populaires ?
De manière engagée et dynamique ! Chacune de nos régionales a organisé, en MOC, des débats et des rencontres préélectorales. Les membres et les permanents ont dû se saisir des enjeux électoraux, choisir des thématiques, des questions et ensuite organiser une soirée grand public pour échanger avec les politiciens qui étaient sur les listes. Cela a permis de présenter les revendications politiques des organisations, mais aussi de les mettre en débat et de donner aux personnes présentes l’opportunité de se forger une opinion, de décider pour qui elles avaient envie de voter cette année. Dans le même esprit, nous avons inséré dans notre bulletin de liaison, La Fourmilière un carnet détachable qui présentait les 13 chantiers et combats que nous portons aux Équipes Populaires à travers les plateformes dans lesquelles nous sommes impliqués. Car si nous n’avons pas notre mémorandum à nous, nous portons ceux des réseaux dans lesquels nous sommes. Ce carnet dans la Fourmilière était une manière de répondre à la question de nos membres qui se demandaient, dans le contexte de la campagne, qu’est-ce qui est important pour notre mouvement et que peut-on vraiment défendre quand nous organisons des rencontres politiques sur le terrain. Nous avons reçu des retours très positifs sur ce travail !
Il y a eu d’autres publications importantes ?
Au sein du communautaire, nous avons notamment réalisé un Contrastes spécial élections, dans lequel nous avons pris le parti de ne pas analyser les programmes politiques (d’autres allaient le faire très bien) mais de proposer quelque chose d’un peu plus intemporel, de questionner les enjeux des campagnes en général. Nous avons, par exemple, rédigé un article sur les algorithmes et les réseaux sociaux et la manière dont ils impactent les campagnes, un autre sur le clivage gauche-droite avec l’idée de remettre à plat les fondamentaux : c’est quoi la gauche ? c’est quoi la droite ? qu’est-ce qui les différencie, quels sont les projets de société derrière ces grands mots-là ? afin de permettre aux gens de se repositionner et de se demander, au-delà des partis politiques, quelles valeurs sont importantes pour eux. Bref, des sujets perpétuels pour se saisir de la thématique des élections d’une autre manière. Nous avons d’ailleurs organisé un débat Contrastes sur la perte de repère du clivage gauche-droite, avec le politologue François Debras. Notre collègue Guillaume, responsable pédagogique, a réalisé des outils pour réfléchir de manière générale sur des questions comme « qu’est-ce que la démocratie ? C’est quoi, l’acte de voter ? Le clivage gauche-droite, qu’est-ce que ça veut encore dire ? »… Des outils qui permettent de s’approprier les enjeux qu’il y a autour d’une élection au sens large et qu’on pourra réutiliser pour les prochaines élections communales, ou aux prochaines élections fédérales. Nous avons fait vivre ces outils en réunion des permanents, en assemblée générale, dans des groupes de nos régionales… La mise en page de la version finale est quasi prête, nous avons hâte de la distribuer1!
Comment as-tu trouvé la campagne électorale ?
À titre personnel, cette campagne m’a un peu déprimée, notamment dans la manière dont les politiciens l’ont incarnée. Le contenu des débats m’a semblé déconnecté des préoccupations des gens, de ce que nous entendons et vivons au sein des Équipes Populaires et sur le terrain. La campagne répondait finalement très peu, ou de manière simpliste, aux questions des gens. En tant que présidente d’une association d’éducation permanente, ça m’a semblé triste d’entendre surtout les discours sécuritaires, à la limite du racisme, de certains partis politiques. Les débats ont bien montré ce virage, où tout le monde se repositionne un petit peu plus à droite, ce qui fait que ceux qui sont à gauche et qui restent dans des valeurs de justice, de solidarité, d’inclusion… semblent plus radicaux, alors qu’eux, finalement, n’ont pas bougé.
Comment as-tu vécu l’annonce des résultats ? Avec étonnement ?
Je n’ai été qu’à moitié étonnée. J’avais imaginé cette tendance vers la droite, mais pas à ce point-là, aussi fort et partout. Ce qui est rassurant, c’est que ce n’est pas un virage à l’extrême droite. C’est une droitisation économique, plutôt qu’humaine. Même si, soyons lucides, le racisme ordinaire et décomplexé de certains politiques fait froid dans le dos, nous ne sommes pas encore dans le cas de la France où l’extrême droite a pris une place énorme. Nous sommes dans une autre configuration, mais malgré tout on se prépare à une législature où il va falloir agir pour ne pas trop perdre de droits, plutôt que de se battre pour en gagner. Cela va demander de s’organiser avec les collègues, les autres associations et structures, afin de défendre les droits qui sont les nôtres.
Le gouvernement de la Région wallonne s’est constitué de manière extrêmement rapide. Est-ce bon ou mauvais signe ?
Cela m’a fait penser à un livre que j’ai lu il y a des années et qui a été un peu fondateur dans ma vision politique : « La stratégie du choc » de Naomi Klein. Il y a un effet de sidération, ils ont été vite et nous n’avons pas vraiment eu le temps de prendre du recul. Avoir des gens qui veulent aller vite, qui veulent du changement, de l’efficacité, ce n’est pas forcément une mauvaise chose, mais ça peut aussi être tellement rapide que cela ne laisse pas le temps de réfléchir et de vraiment se concerter. Par exemple, il y a eu toute une phase de rencontre fin juin avec les acteurs de terrain, mais tellement au pas de course que ça laissait à peine le temps de déployer les argumentaires ! Cela donnait l’impression d’une participation symbolique, et d’un futur gouvernement qui avait déjà ses idées toutes prêtes. Pour moi, la participation ne peut pas être symbolique ou instrumentalisée.
Tu as pu te faire un premier avis sur la DPR (Déclaration de Politique Régionale) ?
Pour l’instant, elle est assez floue, ce qui peut aussi être une opportunité. Quand tout n’est pas coincé dans un texte trop défini, cela laisse la possibilité de répondre autrement aux enjeux qui se présentent. Mais il y a plein de phrases qui ne sont pas du tout concrètes et pas facilement compréhensibles. Par exemple, on y lit « l’avenir s’éclairera pour tous si on peut compter sur le juste effort de chacun ». En soi, je suis d’accord avec cette phrase, mais à mon avis tout le monde n’entend pas la même chose derrière les mots « juste effort de chacun ». Et j’ai l’impression que cela ne va pas bénéficier aux plus précaires. Il y a ainsi beaucoup de « mots menteurs », mots qu’on pourrait interpréter de 1000 manières différentes. Mais il y a aussi des grands absents dans les sujets abordés. Par exemple, sur le logement, il n’y a aucune mention sur les expulsions, l’encadrement des loyers et des marchands de sommeil. Par contre, ils parlent de limiter le logement social dans le temps. Cette proposition est déconnectée de la réalité des gens qui habitent dans les logements sociaux. Soit la personne y est bien, elle a créé sur place son tissu social, est proche de l’école de ses enfants… et il n’y a aucune raison qu’elle déménage, soit la personne n’y est pas bien et ne déménage pas parce que c’est trop cher ailleurs. Je trouve cela inquiétant, d’autant plus s’il n’est pas question d’encadrement des loyers ! De plus, cette limitation dans le temps est reliée avec des objectifs d’insertion socio-professionnelle. C’est donner au logement social une fonction qu’il n’est pas censé avoir et mettre encore plus de contrôle sur un public précarisé. Un dernier exemple de mesure qui à mon sens ne prend pas la problématique dans sa globalité, c’est sur la lutte contre le sans-abrisme : la DPR promet de renforcer le soutien au dispositif « housing first2 », ce qui est positif évidemment, mais si on ne pense pas en amont encadrement des loyers et fin des expulsions, cela va continuer à produire du sans-abrisme et on écope une barque trouée, on reste dans une vision curative et pas préventive !
Que dire du Climat dans cette DPR ?
C’est le grand absent. Il y a une page et demie sur les questions climatiques, c’est vraiment ridicule. Et la vision est plutôt que la technologie va nous permettre de consommer moins et va nous sauver. Plus loin dans la DPR, ils parlent de l’aéroport de Liège, d’Alibaba et de faire de Francorchamps la vitrine de la Wallonie… or ce sont des
grandes sources de pollution. Mais je ne m’attendais pas à grand-chose de la part de ces partis politiques qui ne portaient pas ces luttes dans leurs programmes. Cela ne nous empêchera pas de continuer à porter le concept d’écologie populaire. Quand on est ancré à la fois dans les enjeux sociaux et écologiques, on voit bien qu’il y a des tensions qu’il va falloir résoudre pour avancer. Dans le secteur associatif, de plus en plus de mouvements reprennent ce concept, le travail que nous faisons en inspire d’autres !
Ce gouvernement plus à droite va-t-il avoir des conséquences pour notre travail de terrain ?
Je n’ai pas de boule de cristal, mais je reconnais qu’au premier jour nous avons été un peu inquiets pour le secteur associatif et l’éducation permanente, nous ne savions pas si nous allions continuer à être soutenus comme nous le sommes actuellement. Pour l’instant, nous avons vu des messages plutôt rassurants dans la DPR, où l’importance des corps intermédiaires est reconnue et l’éducation permanente présentée comme un secteur important. Il reste à voir comment cela va se concrétiser dans les faits et quelle marge de manœuvre aura Elisabeth Degryse, qui sera notre ministre et notre interlocutrice privilégiée. Par contre, concernant les questions sociales et le bien-être des gens en général, nous sommes beaucoup plus préoccupés. Quand je lis ce qu’il y a dans la DPR, notamment sur les questions de logement ou de limitation des allocations de chômage, de remise à l’emploi des personnes en maladie de longue durée et invalidité, je m’inquiète. Nous allons devoir travailler avec un public encore plus précarisé et sur des enjeux de survie directs.
Comment va se passer la rentrée de septembre aux Équipes Populaires ?
Il ne va pas y avoir une rupture forte avec le travail que l’on faisait déjà. Ce qui nous préoccupait avant les élections va juste nous préoccuper encore plus : enjeux sociaux, accès au logement, à l’énergie (avec notamment notre campagne pour un fournisseur public d’énergie), enjeux de migrations… Avec les élections communales qui approchent, nous allons être attentifs à la montée de l’extrême droite et au racisme, car le parti « Chez nous » est ancré dans certaines communes. Ce qui est plus compliqué pour les élections communales, c’est le manque de lisibilité du positionnement des listes (listes du bourgmestre, cartel de différents partis politiques…), on ne sait plus vraiment pour quelle idéologie on vote, on est perdu dans le clivage gauche-droite. Nous verrons si la droitisation se confirme ou pas. Depuis la campagne électorale, on entend de plus en plus de discours de haine, racistes, décomplexés. Il nous faudra être présents dans l’espace public, sortir du cercle de convaincus et aller discuter avec les gens, les écouter, ne pas être dans une posture et dans un discours moraliste qui dirait « tu as tort, tu as mal voté ». Il va nous falloir essayer d’écouter et de comprendre, de déconstruire et de faire le travail d’éducation permanente qu’on fait au quotidien avec le grand public, les précarisés, les exclus, qui ne se sentent pas reconnus dans la représentation politique et la société d’aujourd’hui.
Propos recueillis par Adrienne Demaret
1. Ces outils sont disponibles sur demande au secrétariat des Équipes Populaires, secretariat@equipespopulaires.be ou 081/73.40.86
2. Une maison d’abord