[REVUE] Dernière parution : Ces déchets qu’on ne veut pas voir
Regarder nos déchets en face
Guillaume Lohest, rédacteur en chef
Il y a trente ou quarante ans, ici et là dans les campagnes, on pouvait encore apercevoir des décharges sauvages : vieux matelas, sacs déchirés, machines à laver, pneus… Une époque où le tri des déchets était peu répandu, où la norme était le sac en plastique. On ne parlait pas encore de poubelles à puce, de vrac, de zéro déchet, d’économie circulaire… Le recyclage en était à ses balbutiements, et le « seconde main » était peu répandu. On peut donc avoir le sentiment, aujourd’hui, que des progrès ont été faits, qu’on parvient à « gérer » les déchets.
Il est vrai que la quantité de déchets ménagers collectée en Wallonie semble stabilisée et même en légère baisse. Par ailleurs, on recycle davantage qu’avant. Mais l’incinération reste, de loin, la première méthode d’élimination des déchets. Et surtout, ce qui importe est de voir la situation dans son ensemble : en intégrant les déchets industriels et les déchets produits ou envoyés dans le reste du monde. Car dans la mesure où nos biens de consommation viennent des quatre coins de la planète, le seul regard pertinent est celui qu’on porte à l’échelle globale.
Et là, le constat est amer : en 2023, le monde a produit 2,3 milliards de tonnes de « déchets solides municipaux » (c’est-à-dire, en gros les déchets des ménages, des commerces et administrations). La tendance est à la hausse, avec un pronostic de près de 4 milliards de tonnes de déchets en 2050 ! Un chiffre qui ne prend donc pas en compte les déchets de la production industrielle ou agricole.
Où résident nos espoirs ? Dans la récupération ? Dans le recyclage ? Dans l’économie« circulaire », dans la sobriété ? Dans l’évolution des législations, dans la responsabilité des entreprises ? Peut-être un peu dans tout cela à la fois, mais à l’heure actuelle, aucune de ces solutions n’est à la hauteur, et pire : toutes ensemble, elles progressent moins vite que la production de déchets.
Ce numéro de Contrastes n’est donc pas un numéro de l’espoir mais un exercice de lucidité et de conscience, d’éclairage douloureux. Il s’attarde sur les difficultés, celles de la collecte des déchets, celles de la propreté publique, mais aussi celles – terribles – d’une forme de colonialisme des déchets et, enfin, sur les désillusions entourant le concept d’économie circulaire. Comme une respiration au milieu d’une montagne de problèmes, l’interview de Christine Dupont permet, grâce à une approche historique, de relativiser notre rapport aux déchets : les humains n’ont pas toujours été si insensés en la matière.
Les décharges à ciel ouvert, comme les dépôts d’immondices sauvages dans nos campagnes autrefois, comme d’ailleurs les maisons, envahies de déchets, des personnes atteintes du syndrome de Diogène, sont des visions d’horreur. Ce ne sont pourtant que des symptômes, qui ont le mérite de nous mettre les yeux en face de la réalité. La maladie, en profondeur, est sociétale et mondiale.
Consultez le dossier en ligne : Revue Contrastes Nov–Déc 2024