Hesbicoop : Quand les citoyens s’emparent de leur avenir
Mélangez les ingrédients suivants : une production locale de qualité, le respect de l’homme et de l’environnement, la création d’emplois. Emballez le tout dans une démarche participative et d’éducation permanente. La recette de la nouvelle coopérative Hesbicoop est prête. Il ne reste plus qu’à la tester… et la savourer !
Entre 2004 et 2014, le GAC (groupement d’achats en commun) de Waremme, initié et coordonné par les Equipes Populaires s’est réuni à raison de deux fois par mois. Selon les périodes, entre 10 et 25 familles se fournissaient en paniers de fruits et légumes, en viande, en café équitable, en miel… le tout issu de producteurs locaux respectueux de l’environnement (sans être nécessairement labélisés bio) ou issu du commerce équitable. Mais chaque rencontre était surtout l’occasion de nous interroger sur notre consommation, d’apporter un regard critique sur l’actualité régionale, sur la question énergétique, sur l’avenir de l’agriculture, sur tout sujet que l’un ou l’autre membre jugeait utile de partager aux autres. Régulièrement, nous allions visiter un producteur, une entreprise. De temps en temps, nous organisions un débat public.
Après 10 ans de fonctionnement, suite à un essoufflement, à un mécontentement parfois lié au producteur et à la création d’une « ruche qui dit oui » dans les mêmes locaux que le GAC, celui-ci a décidé d’arrêter ses activités d’achats collectifs. Pendant quelques mois, nous avons cependant continué à nous réunir pour aborder des sujets qui nous tenaient à coeur. Lors d’une de ces soirées, Michel nous a présenté le projet de la coopérative ardente de Liège dont l’objectif est de vendre directement des produits locaux du producteur au consommateur. Michel était emballé par le projet. Etant à ce moment-là sans emploi, Michel s’inscrit à la formation Alpi en création d’entreprise
Et petit à petit nous nous sommes mis à rêver d’un projet similaire pour la région de la Hesbaye. En tant que membre d’un GAC, nous sommes tous convaincus d’une telle démarche : défendre la production locale de qualité, respectueuse de l’environnement, et proposer un système coopératif qui permet de créer des emplois locaux sans enrichir une multinationale. Mettre l’humain, le citoyen, le producteur et l’environnement à l’avant-plan en lieu et place du profit. La coopérative permettrait de faire ce qu’un GAC faisait mais avec une portée beaucoup plus large et des moyens plus performants.
Nous avons commencé à explorer les coopératives qui existent déjà : les « Points Ferme » couvrent la région du Condroz et ne souhaitent pas forcément s’étendre à la Hesbaye ; la coopérative Agricovert couvre la région de Gembloux et Bruxelles ; la coopérative Paysans-artisans est active dans la région de Namur et la coopérative ardente sur la région liégeoise. Mais rien de tel en Hesbaye, le champ est donc libre.
Un projet ambitieux
L’idée commence à faire son chemin. Michel la présente publiquement pour la première fois lors d’une soirée-débat intitulée « De la terre à l’assiette, tous concernés par notre agriculture locale » organisée au Centre culturel de Remicourt en avril 2015. Le CIEP et Les Equipes Populaires, co-organisateurs de la soirée décident de soutenir Michel dans son initiative. Michel va ensuite continuer à présenter son projet à d’autres citoyens. Il va prendre le pouls des consommateurs lors du marché des producteurs locaux de Remicourt. Et les citoyens se montrent favorables au projet. Il va aussi croiser David, initiateur du GAC d’Avin qui a lui-même réalisé un travail de fin d’études lors de sa formation en entrepreneuriat social sur la création d’une coopérative qu’il avait appelée lui aussi « Hesbycoop ». Le même projet avait donc germé en même temps dans deux têtes et heureusement ces deux têtes se sont rencontrées. David et Michel unissent donc leurs efforts pour mettre en oeuvre le projet. Ils sont très vite rejoints par Éric, jeune agronome qui cherche à valoriser des déchets de production, par Christophe, ingénieur agronome passionné d’agroforesterie, par quelques anciens membres du GAC… Un groupe porteur est mis en place et réfléchit aux objectifs du projet. Pas simple de se mettre d’accord… pas simple non plus de concrétiser le projet… On rêve à un projet ambitieux : on ne veut pas seulement organiser la distribution de produits locaux, mais aussi la sensibilisation des citoyens à une alimentation saine, la formation et l’accompagnement des producteurs, la mutualisation d’outils, la création d’un atelier de transformation… Mais il faut arrêter de rêver et avancer pas à pas pour espérer que le projet se concrétise.
L’élaboration du projet nécessite de prendre en compte la réalité et les spécificités de notre terroir. La Hesbaye, ce n’est pas la région namuroise ni la région liégeoise. Chez nous, pas de grand centre urbain, seulement des petites villes comme Waremme, Hannut et Huy. L’habitat est donc plus dispersé. En Hesbaye, ce sont encore beaucoup de grandes terres de culture intensive, des productions industrialisées même si nous avons vu apparaître ces dernières années de petits producteurs et transformateurs qui portent une attention particulière à l’environnement.
La Région wallonne soutient heureusement ce genre d’initiative. Nous allons introduire une demande de bourse de coopérative citoyenne auprès de l’AEI (Agence pour l’entreprise et l’innovation). C’est une fameuse étape. Michel est convoqué pour aller défendre le projet devant un jury et bingo ! La bourse va nous être accordée ! Première petite victoire. Nous trouvons donc un accompagnateur de projet, l’AGES (Agence conseil en économie sociale), qui va nous guider dans le dédale de la création d’une coopérative. Nous nous retroussons les manches car le chemin est long.
Voici une série d’étapes déjà réalisées… ou presque :
- Poser les balises du projet. En définir les finalités, les objectifs.
- Délimiter le territoire que nous voulons couvrir.
- Se mettre d’accord sur les valeurs que nous voulons mettre en avant.
- Mener une enquête auprès des producteurs pour savoir s’ils sont preneurs du projet. Car sans producteur pas de projet de coopérative possible. S’assurer de leur soutien et de leur participation dans la construction du projet.
- Mener une étude de marché auprès des consommateurs. Sont-ils prêts à changer leurs habitudes ? Que sont-ils prêts à faire pour se fournir en produits locaux ? Il faudra mobiliser toutes les énergies possibles car la coopérative fonctionnera grâce à des points de « r’Aliments », des points relais où les commandes seront livrées. Ces points de r’Aliments devront être animés par des bénévoles.
- Communiquer vers le grand public. Construire un projet en groupe restreint, c’est bien mais il faut ensuite le faire connaître auprès du grand public. Il faut donc développer des outils de communication efficaces et organiser des événements publics dans différentes entités. HesbiCoop a par ailleurs bénéficié d’une publicité grâce à « Hannut en transition » qui a programmé dix soirées de projection du film « Demain ». Lors de chaque soirée, HesbiCoop a été présenté.
- Établir un plan financier. Un tel projet est-il rentable ? Quelle marge la coopérative devrait-t-elle prendre pour couvrir ses frais de fonctionnement ? Sera-t-il envisageable d’engager une personne dès le démarrage du projet ?
- Développer un outil informatique performant pour gérer les commandes. De nouveau, une bourse existe pour soutenir des initiatives innovantes en matière de développement durable. Nous allons obtenir une bourse de 5000 € de la part du ministre Di Antonio. La construction de cet outil est actuellement en cours.
- Trouver un local, un lieu central qui permette aux producteurs de venir déposer leurs produits, aménager le local avec une chambre froide ; trouver des locaux décentralisés, des points de r’Aliments équipés de frigos.
- Veiller au respect des normes légales : une rencontre avec Diversiferm va permettre de découvrir les obligations liées à l’AFSCA (Agence fédérale pour la sécurité de la chaîne alimentaire).
Par ailleurs il faudra aussi respecter les conditions fixées par la FSMA (l’Autorité des services et marchés financiers) afin d’obtenir l’agrément de coopérative citoyenne par le CNC (Conseil national de la Coopération) qui permette l’appel public à l’épargne citoyenne.
- Lancer l’appel aux parts citoyennes. Plusieurs types de parts seront disponibles. La Part B d’un montant de 250 € pour les producteurs. La part C d’un montant de 125 € pour les consommateurs et la part D de 125 € également pour les associations qui décident de soutenir le projet. Acheter une part, c’est avant tout un acte de soutien au projet. C’est aussi être propriétaire d’un morceau de la coopérative et avoir le droit de vote à l’assemblée générale (1 membre = 1 voix).
- Rédiger les statuts et ce n’est pas une mince affaire. Des conseils d’avocats seront bien précieux. Les statuts seront les garants de la philosophie du projet, de ses valeurs. Cette étape a été franchie le 16 mars. La coopérative est depuis lors officiellement créée ! Félicitations !
- Lever le capital de départ nécessaire. Avant de passer chez le notaire, il a fallu récolter le capital fixe composé des parts fondateurs (d’un montant de 500 €). Le montant minimum nécessaire était de 6.000 €. Pour HesbiCoop, pas de souci de ce côté-là, 125.000 € ont été récoltés.
- Faire appel au mécanisme Brasero. Ce mécanisme mis en place par la Sowecsom (Société wallonne d’économie sociale marchande) permet de financer les coopératives à finalité sociale sur base de 1 € amené par les citoyens = 1 € fourni par les pouvoirs publics. Autant dire que cela permettra de doubler le capital !
- Officialiser le lancement de HesbiCoop. Nous attendons ce moment avec impatience. Il est annoncé pour le printemps, dès que l’outil informatique sera opérationnel… nous y sommes presque.
Un projet fédérateur
Au-delà de l’énergie bénévole citoyenne remarquable que nécessite la mise en oeuvre d’HesbiCoop, il me semble important de souligner également le caractère fédérateur de ce genre de démarche. La coopérative a une visée régionale et a déjà permis de coaliser une série d’acteurs ou d’initiatives locales comme des citoyens, des GAC, des producteurs, des communes, des ADL (agences de développement local), des centres culturels (Remicourt, Waremme…), des associations comme les Equipes Populaires, le CIEP du MOC, le Haut-Regard, Inter-Action… Le projet HesbiCoop a également été présenté dans le cadre du GAL (Groupe d’action locale) « Je suis hesbignon ». Il a été retenu et sélectionné par le public et par le comité de suivi du GAL. Ce qui signifie qu’il bénéficie déjà du soutien des 11 communes qui composent le GAL « Je suis hesbignon » et qu’il pourra donc être soutenu financièrement via le GAL qui reçoit des financements de la Wallonie et de l’Europe via le projet FEDER. Nous souhaitons déjà beaucoup de succès et une longue vie à ce projet plein de sens et qui va à l’encontre de la logique capitaliste actuelle.
Qu’est-ce que la bourse « coopératives citoyennes » ? Il s’agit d’une aide publique destinée à financer l’étude, la mise en forme et la préparation de nouvelles coopératives citoyennes. Cette bourse d’un maximum de 12.500 € est destinée à financer les coûts liés à l’étude de faisabilité du projet (étude de marché, étude financière, étude juridique…), le recours au conseil et à l’expertise, les frais de réunion et de rencontre de futurs coopérateurs et partenaires.
Source : www.infos-entreprises.be/fr/…
Charte de HESBICOOP
Hesbicoop est une coopérative à finalité sociale qui rassemble dans un mouvement citoyen des consommateurs, des producteurs et des transformateurs artisanaux mus par le respect de l’Homme et de l’environnement.
Elle se base sur une logique de partenariat, de confiance mutuelle et d’émulation, ceci concerne tant les coopérateurs que les employés et bénévoles.
Cette émulation se reflète dans la culture du débat, la réflexion et la recherche d’un modèle socio-économique alternatif développant l’emploi local et donnant plus de sens à la consommation.
Le respect de l’homme implique des prix accessibles pour les consommateurs de toutes catégories sociales et rémunérateurs pour les producteurs, une garantie de qualité et une transparence vis-à-vis :
- de la composition, de l’origine, et de la qualité des produits et des matières premières ;
- de l’impact social et environnemental des produits et services proposés ;
- des intrants utilisés en agriculture ;
- du mode de détermination des prix ;
- de la mise en oeuvre de cette charte ; ainsi qu’une concertation entre les partenaires (producteurs, consommateurs, mais également transformateurs) afin de :
- choisir les produits ;
- organiser la production ;
- organiser la distribution ;
- prévoir et mutualiser les moyens à mettre en oeuvre (terrains, matériel, bâtiments, véhicules…).
Le respect de l’environnement implique :
- la limitation des emballages ;
- la réduction des flux de transport ;
- des pratiques durables, à taille humaine ;
- des modes de culture sans OGM, et les plus naturels possible ;
- des producteurs agricoles attentifs aux rythmes naturels de culture et d’élevage et à l’impact de leur production sur l’environnement ;
- une diminution de la dépendance aux intrants, en diminuant au maximum le recours aux engrais chimiques, et aux produits phytopharmaceutiques ;
- la production, transformation et distribution de produits de saison ;
- l’engagement en faveur de la conservation et du développement de races animales et de semences végétales adaptées aux terroirs.
Hesbicoop s’inscrit dans une démarche constante d’amélioration des produits et des services, assurant la bonne qualité gustative et sanitaire des produits alimentaires et favorisant les partenariats entre acteurs locaux.
Parallèlement, la sensibilisation et la formation des consommateurs et des producteurs à tendre vers un meilleur respect de l’Homme et de l’environnement constitueront une priorité.
L’accompagnement des producteurs, une production propre, mais aussi l’aide matérielle, ou l’accès à la terre rentreront dans ce cadre, dans la mesure des possibilités de la coopérative. Dans le cadre de sa stratégie de distribution, si certains produits ne sont pas disponibles localement, l’offre pourra dépasser le niveau local.
Dans le cadre de la sélection de ces produits, l’éthique envers l’Homme et l’environnement restera au centre des préoccupations.