Catastrophisme. Apocalypse now ? (Février 2018)
Auteure : Claudia Benedetto, Contrastes janvier 2018, p14 à 16
Le mythe de la fin du monde existe depuis la nuit des temps et renvoie à un imaginaire collectif véhiculé par les mythes qui font l’histoire de l’humanité, par toutes les formes artistiques. Le catastrophisme de notre époque a-t-il une particularité ? Qu’est- ce qu’il nous apprend sur notre société ? Le discours empreint de catastrophisme est-il efficace ? Ou au contraire nous conduit-il à l’immobilisme ?
Un tremblement de terre, un tsunami, une épidémie, la raréfaction des ressources, un décor apocalyptique, une ville désertée où l’Etat ne peut plus assurer la sécurité, des victimes, des gens apeurés qui courent dans tous les sens, des gens résignés qui attendent « le jugement dernier », et au milieu de tout ça, une femme ou un gars ordinaire qui, malgré lui ou elle, va devenir le héros de l’Histoire, le « sauveur », « l’élu ». La plupart du temps, il mènera les survivants vers une issue. Cette scène est familière pour la plupart d’entre nous qui avons grandi avec les blockbusters américains : Armageddon, Independence Day, Deep Impact, Le Jour d’après, La Guerre des mondes, Mad Max… nombreux sont les films catastrophes qui font partie de l’imaginaire collectif.
Le catastrophisme, on le retrouve évidemment dans les livres de science-fiction ou les romans d’anticipation parfois même sous une forme plus pessimiste où les humains sont condamnés (Philip K. Dick, Barjavel…), dans les mangas ou les jeux vidéo… et bien sûr les séries comme par exemple The Walking Dead où une épidémie étrange a transformé des hommes en morts-vivants. La science-fiction active un voyant rouge, une alerte pour éviter le pire, elle nous montre ce qu’il ne faut pas faire, elle joue le rôle de catharsis.
Au-delà de la fiction, ces films et ouvrages témoignent des angoisses d’une époque. « On pourrait retracer l’histoire du 20ème et du 21ème siècle à travers le cinéma de sience-fiction. Ce qui est intéressant, c’est de regarder ces films en pensant au contexte de l’époque et être attentif à ce que nous disent ces films après la crise économique de 1929, après la deuxième guerre mondiale et la bombe nucléaire. Les films de la guerre froide notamment sont empreints de la peur du nucléaire, parlent de la montée de l’armement entre les puissances (USA/URSS), de la prise de conscience par les gens qu’on a construit une arme qui peut détruire la terre. Aujourd’hui, on voit plus la peur de la pandémie, des cataclysmes naturels et celle du terrorisme… On peut la plupart du temps relier les films à une actualité précise », explique Isabelle Vanini, programmatrice du Forum des images (haut lieu parisien dédié aux amoureux du cinéma), dans une interview accordée à France Culture en 2012(1). « On peut observer deux sortes de films « catastrophe » : les pré-apocalyptiques qui exposent les premiers signes d’une catastrophe imminente et une mise en scène de la fin du monde et les post-apocalyptiques qui plantent le décor d’une nouvelle société qui, sou- vent, met en scène des conditions de vie assez rudes : absence d’entraide, cannibalisme, pollution, manque de nourriture… Les films plus récents ont une particularité, celle d’être plus pessimistes : on centre alors l’histoire sur « Que vas-tu faire les quelques heures avant la fin ? » ajoute-t-elle.
Films témoins de notre époque
Cet imaginaire de la fin du monde existe de- puis les temps anciens. Notre imaginaire collectif par rapport aux catastrophes est influencé par les mythes issus de la culture judéo-chrétienne : le déluge, l’apocalypse de Saint Jean. Dans d’autres cultures, ce sont d’autres mythes qui prennent place mais celui du déluge existe sur tous les continents. « Dans l’évangile, Jésus pense qu’il connaîtra de son vivant la fin du monde. Jusqu’à la fin du Moyen Age, les gens pensent également qu’ils la connaîtront de leur vivant. Avec les évangélistes aux USA et en Angleterre, on a vu apparaître des dates qui désignent le moment de l’apocalypse. Aujourd’hui, Internet est un outil pratique pour nourrir l’imaginaire des catastrophes. Mais je pense que cela n’inquiète pas beaucoup les gens. En revanche, les infos anxiogènes qu’on peut y trouver nous touchent tous : la disparition des abeilles, le déclin de l’écologie de la planète de manière générale », explique, toujours à France Culture (2), Jean-Noël Lafargue, auteur de Les fins du monde : de l’Antiquité à nos jours.
On peut observer une certaine fascination pour la fin du monde. Cela peut s’expliquer par l’envie de renouveau, de renaissance. Par l’en- vie d’une autre société. C’est dans ce cas précis qu’une catastrophe peut être vue de manière positive. L’imaginaire des catastrophes est variable d’une culture à l’autre. Ce qui tient de la catastrophe négative pour les uns, s’apparente quelques fois à une délivrance pour les autres.
Et la plupart du temps, on ne les voit pas arriver. Yoann Moreau, anthropologue, auteur de Vivre avec les catastrophes revient sur une éruption volcanique qui a eu lieu en 1913 au Vanuatu. Un des colons se trouvant sur place au moment de l’éruption avait adressé un courrier à un ami, dans lequel il expliquait qu’il était en train de regarder le plus beau spectacle du monde ! Selon l’anthropologue, « pour toute catastrophe qui touche fondamentalement à la structure de notre monde, il y a un aveuglement avant que n’arrive la consternation » (3).
Pour le philosophe Michaël Foessel, auteur notamment de Après la fin du monde, les dis- cours catastrophistes sont particulièrement liés aux sociétés modernes. « L’idée de catastrophe imprègne les sociétés fatiguées d’elles- mêmes » explique-t-il dans une interview accordée à Libération en 2012(4). Les discours catastrophistes ont remplacé les discours rassurants du progrès : baisse de confiance dans les institutions traditionnelles, méfiance à l’égard des nouvelles technologies, crise économique et financière… Le sentiment d’échec et de défaitisme gagne du terrain. Le philosophe l’explique par une déception par rapport au modèle de croissance, par rapport au capitalisme et au fait que la démocratie s’impose à ses côtés. Il va même plus loin : « Cette peur de fin du monde est symptomatique d’un certain psychisme européen. Au Mexique, où la croissance culmine à 4%, ce sentiment n’existe pas ».
Mais qu’est-ce qui peut expliquer le sentiment d’une catastrophe imminente ? Il est évident que la superposition des crises (économiques, financières, sociales, environnementales) provoque des angoisses, la peur du lendemain, si lendemain il y a. Et à juste titre lorsqu’on prend connaissance des études scientifiques. Mais ce qui intervient aussi, c’est la perte de sens. Les gens se sentent dépossédés, ont le sentiment que plus rien n’est possible et ils n’arrivent plus à faire des projets. « Un monde qui ne répond plus, qui n’est plus à la hauteur de nos désirs, est un monde dont on ne peut qu’espérer qu’il s’arrête un jour »5 explique le philosophe Michaël Foessel. Les perspectives économiques rendent l’avenir morose. Ne permettent plus d’y croire. Quand d’autres vivent dans l’immédiateté pour se protéger. Le sentiment de ne pas avoir d’horizon nous coupe du passé et de l’avenir.
Dans une société du risque, de la peur de la catastrophe, l’innovation tend à s’éroder. On tente de maintenir les acquis. En « mode sur- vie », penser l’alternative, penser le possible devient difficile. Mais comme l’histoire n’est pas écrite, comme l’humanité est imprévisible, partout dans le monde, des initiatives locales redonnent du sens à ce « monde en déroute ». Des initiatives empreintes d’optimisme qui témoignent de l’envie de créer une nouvelle société, du désir d’inventer un autre monde fait de solidarité, de respect de la nature, où la vie, l’humain, priment sur la croissance. Pour éviter non pas la fin du monde mais la fin d’un monde, Alain Damasio, auteur de science-fiction, pense qu’il faut ériger le vivant comme LA priorité : « Un vivant à placer devant le capitalisme, le consumérisme, la croissance stupide, la technolâtrie, l’individualisme, bref, tout ce qui charpente actuellement nos sociétés occidentales.(6 ) »
Questions de débat
Pourquoi les films catastrophe ont-ils tant de succès ? Que nous apprennent-ils sur notre époque ?
Avez-vous le sentiment que nous nous trouvons à la croisée des chemins ?
Qu’est-ce qui vous fait dire cela ? Pour vous, quel sera le monde de demain ?
Notes de bas de page
(1) Pourquoi la fin du monde fascine-t-elle autant ?, Emission pixel, France Culture, 21 décembre
(2) L’expérience de la catastrophe, Emission La conversation scientifique, 20 mai
(3) L’idée de catastrophe im- prègne les sociétés fatiguées d’elles-mêmes, Alexandra Schwartzbrod et Cécile Daumas, Libération, 15 octobre 2012.
(4) La science-fiction imagine la fin des temps pour mieux l’exorciser, M Le Magazine du Monde, 27 décembre 2017.
Entre catastrophistes et néo-écolos, « mon coeur balance »
Symbole du mouvement Colibris, fondé par Pierre Rabhi et Cyril Dion (réalisateur du documentaire Demain), qui fait référence à une légende amérindienne : Pour changer le monde, commençons par changer nous-mêmes, par « faire notre part ». Et la somme de petites actions peut au final s’avérer efficace.
Il est incontestable que l’humanité se retrouve face à un défi majeur : celui de réinventer une autre manière de « faire monde ». La crise écologique est d’une ampleur historique. Comme il est vrai que chacun réagit à sa façon face à cette nouvelle réalité, les spécialistes, experts, anthropologues, sociologues, météorologues, collapsologues, écologistes en tous genres ont leur propre interprétation de ce que sera le monde de demain.
Si les constats qui mènent à la conclusion de l’impasse écologique font à quelques exceptions près l’unanimité aujourd’hui, les conséquences, elles, ne prennent pas la même consistance, même entre collapsologues.
Bien que les tenants de la collapsologie soient tous d’accord pour dire qu’il est trop tard, qu’on peut aujourd’hui tout au plus diminuer le nombre de personnes qui « souffriront », il existe entre ces confrères des divergences de points de vue. Si on écoute Yves Cochet, fondateur du parti écologiste français Les Verts, identifié comme l’une des références des collapsologues, la suite ne sera que souffrance et désolation, l’Etat sera défaillant, il ne pourra plus assurer les services publics, il sera totalement dépassé par les événements. Il annonce même la date de l’avènement de ce déclin devenu inéluctable selon la collapsologie : aux alentours de 2030, avec une renaissance possible de notre société en 2050. Renaud Duterme(1), autre figure de la collapsologie, envisage un avenir légèrement moins sombre : cet enseignant, membre actif du CADTM (Comité pour l’abolition des dettes illégitimes) pense que l’on est déjà entré dans l’effondrement. Il voit dans l’effondrement une accentuation des inégalités socio-économiques actuelles, une érosion progressive de la classe moyenne qui ne peut que conduire à des tensions entre Etats et à l’intérieur même des pays. Contrairement à ses contemporains, il souligne que l’effondrement ne sera pas vécu de la même manière par tout le monde. Et qu’il ne nous touchera pas tous en même temps. C’est un processus qui est à l’œuvre et qui touche déjà des gens sur la planète.
Pas très réjouissant, tout ça ! Pourtant, les collapsologues ne sont pas nécessairement pessimistes : ils réfléchissent à d’autres manières de faire société. Ils sont déjà dans la reconstruction bien qu’ils tiennent des propos inquiétants sur la fin inéluctable de notre civilisation. Ils sont à contre-cou- rant quand on observe les discours écologistes actuels qui, depuis quelques années, sont teintés d’un regain d’optimisme (2) en exploitant des formes de communication plus modernes (fausses manifs anti-écolo) et en utilisant l’humour comme vecteur de sensibilisation. Les jeunes issus de la génération Y (nés dans les années 1980–1990) débattent sur les réseaux sociaux, organisent des manifestations anti-nucléaires, des ateliers pour diminuer drastiquement la quantité de déchets, affichent fièrement leurs fringues achetées en seconde main. Ils préfèrent se sentir utiles plutôt que d’atteindre la fameuse
« réussite sociale » que leurs parents briguaient. Souvent en marge du système dans lequel ils ne croient plus et dans le- quel ils ne se reconnaissent plus, ils usent d’une créativité sans bornes pour agir sur ce monde « abîmé » : monnaies locales, repair cafés, boutiques de seconde main, magasins en vrac, habitats groupés, habitats alternatifs, emballages mangeables, potagers collectifs… Le film Demain en a largement fait état.
Parmi les certitudes que la science nous donne, l’incertitude réside dans la manière dont les êtres humains réagiront face à l’effondrement, aux multiples crises aggravées, aux catastrophes. Comme le souligne Renaud Duterme pour qui l’effondrement est déjà en cours : « La catastrophe n’est peut- être pas l’évènement en tant que tel mais la façon dont la société y répond ».
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(1)Renaud Duterme, De quoi l’effondrement est-il le nom ?, les éditions UTOPIA, 27 février
(2)Lucile Berland, Les nouveaux écolos ont tué l’écologie anxiogène, slate.fr, 2 mai 2016.
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