Compétences communales – Les communes, super-héroïnes de la lutte contre les inégalités (Août 2018) ?
Auteure : Claudia Benedetto, Contrastes août 2018, p3 à 6
Compétences communales. Les communes, super-héroïnes de la lutte contre les inégalités ?
Les élections communales, c’est pour bientôt. Certains diront Et alors ? Y’a pas de quoi en faire toute une histoire ! Et pourtant, ces élections sont importantes parce qu’elles concernent le niveau de pouvoir qui est le plus proche des gens, la commune. Ses missions sont prévues par la loi : elles s’occupent entre autres de l’organisation et du cofinancement des CPAS, de l’organisation de l’enseignement communal, de la tenue des registres de l’état civil, de la gestion des cultes, de l’établissement des listes électorales, de l’entretien des voiries, de la délivrance de permis d’urbanisme (pour les particuliers et les implantations commerciales), de la rénovation urbaine, de la sécurité et du maintien de l’ordre public à savoir la propreté, la salubrité, la sûreté (sécurité) et la tranquillité publiques.1 Elles ont également en charge d’autres matières telles que le logement, l’enseignement, le tourisme, la promotion de l’activité économique et culturelle. Sur papier, les communes disposent d’outils pour lutter contre les inégalités sociales mais tout dépend de la volonté politique et surtout des moyens mis à disposition. Focus sur le potentiel des supers-pouvoirs communaux qui peuvent avoir un impact sur les inégalités.
Super-pouvoir 1 : Le CPAS
Les centres publics d’action sociale ont pour mission de permettre à chacun de vivre dans le respect de la dignité humaine. L’aide des CPAS peut être « matérielle, sociale, médicale, médico-sociale, psychologique, palliative, curative ou préventive. L’aide matérielle peut prendre diverses formes : l’octroi d’une aide financière périodique ou occasionnelle (revenu d’intégration); l’octroi d’avances sur prestations sociales; l’octroi de prestations de services (repas à domicile, …); l’octroi d’une aide en nature.2 » Ils doivent également assurer un accompagne- ment auprès des personnes qui y ont droit. A ce niveau, les actions du CPAS sont multiples : Ils aident au paiement des pensions alimentaires, à l’insertion professionnelle, ils aident financièrement les personnes en difficulté pour le paiement de leurs factures d’énergie (via le fonds social mazout et le fonds gaz/ électricité) et d’eau. Les CPAS peuvent proposer toute une série de services : services de médiations de dettes, service aux aînés – livraison des repas à domicile, aide-ménager, aide aux familles (comme une garde à domicile par exemple), maisons de repos, taxis sociaux, services de jardinage, soins et services à domicile, les centres d’accueil de jour et centre de soins de jour… Ils proposent également une permanence d’aide juridique, organisent l’hébergement d’urgence des sans-abri. C’est le conseil communal qui valide, invalide ou modifie les comptes et budgets présentés par le CPAS.
En matière d’accès à la culture et activités sportives, les CPAS reçoivent une subvention du fédéral en vue de favoriser la participation sociale et l’épanouissement culturel et sportif de leurs usagers3.
Super-pouvoir 2 : La politique du logement
Les communes peuvent favoriser la mixité socio-économique, rénover l’espace public des quartiers afin de diminuer le sentiment d’insécurité mais aussi de donner l’envie à des investisseurs de faire de même.
Les communes sont en outre tenues par le Code wallon du logement et de l’habitat durable d’atteindre un objectif de 10 % de logement public sur le territoire. Les pouvoirs locaux reçoivent des subsides régionaux conditionnés à une obligation de résultats. Des sanctions régionales sont possibles dans le cas du non-respect de ses obligations : 10.000 euros par logement manquant. Mais dans les faits, peu de communes respectent cette obligation. En 2016, seules 39 communes wallonnes sur les 262 étaient au-dessus des 10 %4. Parmi les mauvais élèves, on compte la commune de Jurbise, bien connue pour les déclarations pour le moins choquantes de sa bourgmestre, Jacqueline Galant qui affiche clairement sa volonté de ne pas construire de logements sociaux : sa commune en compte seulement sept. “J’assume complètement la politique de la commune en matière de logement social, a déclaré la bourgmestre. nous faisons du social autrement avec des logements prévus pour les seniors” 5.
Le code prévoit également que les communes doivent mettre en place un service communal du logement pour informer la population sur les aides et les droits en matière de logement, tenir à jour un inventaire des logements inoccupés, des terrains à bâtir et des possibilités de relogement d’urgence. Les communes doivent adopter un règlement communal en matière d’inoccupation qui prévoit la taxation des immeubles inoccupés de moins de 5.000 m2.
Les communes peuvent également obtenir des aides au logement de la Région wallonne pour la construction de logements sociaux et la réhabilitation de ceux-ci ainsi que pour la démolition d’un immeuble en vue d’en faire un logement et pour la création de logements de transit6 ou d’insertion7.
La commune dispose aussi d’outils pour lutter contre les logements insalubres ou surpeuplés. Tout bailleur qui met en location des petits logements (moins de 28m2) doit demander un permis de location, ce qui permet théoriquement à la commune d’avoir un contrôle notamment sur la salubrité du logement, la sécurité des lieux et la performance énergétique. Le bourgmestre a le pouvoir de déclarer un logement inhabitable s’il estime que ce dernier présente un risque pour la sécurité de ses habitants. Il a également la possibilité d’exiger la réparation du bien mais aussi sa démolition. Il peut interdire l’accès à un logement insalubre. Mais qu’adviendra-t-il des locataires ? La commune est obligée de proposer un relogement à des personnes qui ont dû quitter leur lieu de vie en raison des conditions d’habitation (insalubrité ou surpeuplement). Afin d’étendre l’offre d’habitations en location sur son territoire, la commune peut faire la chasse aux logements vides en réquisitionnant un immeuble abandonné depuis plus de six mois. Mais les communes usent rarement de cette possibilité.
La commune, le CPAS, les sociétés de loge- ment de service public, les agences immobilières sociales peuvent proposer à un proprié- taire de mettre un bien inoccupé en location. La ville de Namur par exemple, propose aux promoteurs qui ont un projet de construction de confier la gestion d’un ou plusieurs logements à l’AIS.
Les missions des communes en quelques chiffres 1
L’enseignement fondamental communal recense 194.391 élèves, soit 50 % de l’offre en Wallonie francophone;
L’accueil de la petite enfance : les communes offrent plus de 15.000 places, soit plus de 55 % de l’offre en Wallonie;
Le logement : les communes wallonnes mettent à disposition 120.000 logements publics
L’action sociale : les CPAS accordent environ 750 millions d’euros d’aides sociales, dont plus de 50 % de revenus d’intégration sociale ; Les aînés : les communes pourvoient 5.969 lits de maisons de repos (22 % de l’offre en Wallonie), et 7.401 lits de maisons de repos et de soins (35 % de l’offre);
Les soins de santé : les communes fournissent 9.872 lits d’hôpitaux (47 % de l’offre en Wallonie)
- Focus sur la commune : 169 fiches pour une bonne gestion communale, novembre 2017, p.773.
Super-pouvoir 3 : La cohésion sociale
Le plan de cohésion sociale a pour but de lutter contre les inégalités en tout genre ; plusieurs axes sont visés : l’insertion socioprofes- sionnelle, l’accès à un logement décent, l’accès à la santé et le traitement des assuétudes, le retissage des liens sociaux intergénérationnels et interculturels. Les acteurs locaux font un recensement des initiatives publiques ou privées qui existent déjà sur leur territoire et collectent les attentes de la population. Trois sources de financement : les fonds propres, la Région wallonne et le fédéral. Les communes délèguent certaines missions à des associations : soutien et accompagnement scolaire, alphabétisation, accueil et accompagnement des primo-arrivants….
Super-pouvoir 4 : La politique de prévention
Certaines communes engagent des éducateurs de rue qui vont à la rencontre des citoyens, recueillent les besoins des personnes les plus fragilisées et les informent sur leurs droits en matière de logement, sur les démarches administratives, les aides sociales, la justice, l’emploi, sur les services éventuels de traduction. Les communes proposent parfois un service d’aide juridique pour offrir à tous un accès à la justice. Quelques fois elles proposent également un service de médiation scolaire afin de soutenir les jeunes dans leur scolarité en incluant les parents dans la démarche.
Super-pouvoir 5 : La politique de mobilité
Les communes peuvent favoriser dans leur politique de mobilité un type de transport. Elles font partie à hauteur de 49 % du capital des sociétés8 TEC et peuvent dès lors influer notamment sur la couverture de l’offre de trans- ports en commun dans l’un ou l’autre quartier. En matière de mobilité, les communes peuvent via des partenariats avec les TEC, mettre en place un bus local pour répondre aux besoins de sa population et assurer le confort des navetteurs en installant des abribus9
BON A SAVOIR
Le Réseau wallon de lutte contre la pauvreté1 a rédigé un memorandum en vue des élections communales et provinciales. Il reprend une série de revendications concrètes et très pertinentes pour que les communes, CPAS et provinces mettent en place des politiques publiques qui permettent d’œuvrer à la réduction des inégalités sociales et de la pauvreté. Il contient une fourmilière de bonnes idées pour interpeller nos élus et future élus afin d’intégrer un maximum de ces propositions dans leur futur programme. A consulter en ligne.
1. Campagne du RWLP La réduction des inégalités à l’agenda des communes et des provinces dès janvier 2019 : Le seul investissement durable pour éradiquer la pauvreté = la réduction des inégalités
Super-pouvoir 6 : L’enseignement
Les communes ont la liberté de créer et d’organiser l’enseignement communal. Dans les faits, elles s’occupent principalement du maternel et du primaire. Pour soutenir les familles en difficulté, elles peuvent proposer des activités extra-scolaires à des prix accessibles : des stages en tout genre mais aussi des écoles de devoir… Les infrastructures sportives sont pour la plupart communales : leur localisation est proche des habitants et le droit d’entrée est à moindre coût, ce qui permet à une majorité de per- sonnes d’avoir accès aux activités physiques, sources de bien-être et de socialisation
Super-pouvoir 7 : L’accueil de l’enfant
L’absence de places dans les crèches ou le coût trop onéreux représente un problème réel pour certaines familles. Les communes peuvent mettre en place des structures d’accueil de type crèches ou maisons communales d’accueil de l’enfance et pratiquer une tarification sociale. Elles ont également la possibilité de subventionner des structures d’accueil non subventionnées afin d’améliorer leur accessibilité. La commune est également habilitée à mettre en place un accueil extra-scolaire pour les enfants jusqu’à l’âge de 12 ans.
Super-pouvoir 8 : L’emploi
A l’initiative des communes, les Agences locales pour l’emploi (ALE) ont pour but la re- mise à l’emploi des chômeurs de longue durée, de bénéficiaires du revenu d’intégration sociale ou plus largement, toute personne éloignée du marché du travail. Mais à quel prix ? Le site du SPW emploi/formation renseigne une rémunération de 184,50 € par mois pour 45 heures de travail en complément de l’allo- cation de chômage… La remise au travail oui, mais l’exploitation NON…
Finances communales : le nerf de la guerre 10
Autant de compétences, de missions qui doivent s’assortir d’un budget à la hauteur de ces défis pour qu’ils puissent être relevés. En 2017, les communes wallonnes ont consacré un total de près de 5 milliards d’euros pour les 262 communes wallonnes, ce qui représente en moyenne une dépense de 1406€ par habitant. Le top trois des dépenses par domaine d’action : l’administration générale (23,21 %), la sécurité (14,56%), le social et l’emploi (14,2 %). En revanche, la part du budget dévolue à l’enseigne- ment est de 7,31 %, de 9,87 % à la culture, aux loisirs et aux cultes, et seulement 1,7 % au loge- ment et à l’urbanisme. Notons que les dépenses de personnel (plus de 39% du budget) sont en augmentation. La plus grosse source de revenus des communes sont les recettes provenant de la fiscalité (48,94 %). Viennent ensuite le fonds des communes (23,9 %) et les subsides (16,45 %). Par recettes fiscales, on entend : les recettes issues d’une taxe additionnelle sur certains impôts de l’Etat (précompte immobilier, impôt des personnes physiques, taxe de circulation) et d’impôts perçus directement par la commune (enlèvement des immondices, panneaux publicitaires, taxes de séjour… ).
Soulignons que parmi les recettes fiscales des communes, l’impôt sur les personnes physiques représente 80 %. Cet impôt crée des inégalités entre les communes étant donné qu’il repose sur les revenus des habitants. Une commune dont les habitants ont des revenus faibles aura dès lors tendance à pallier ce déficit par des taxes directes. De plus, elle aura peu de marge de manœuvre pour mettre en place des services d’aides ou des infrastructures qui leur sont plus particulièrement destinés tels que des logements sociaux, une aide sociale adaptée à leurs besoins, un soutien extra-scolaire…
Bien que les communes aient la possibilité de développer des dispositifs pour lutter contre les inégalités, les politiques mises en place par les pouvoirs locaux dépendent directement des priorités du fédéral et des Régions. Un exemple significatif : la politique des grandes villes mise en œuvre en 2000 par le fédéral visait à « mettre fin aux fractures sociales en travaillant sur l’intégration des cultures et des générations et l’accès à un logement décent11 ». Les villes bénéficiant de ce financement étaient celles qui comptaient plus de 60.000 habitants dont au moins « 10 % vivaient dans des quartiers défavorisés et dont le revenu par habitant était inférieur à la moyenne nationale ».12 Plusieurs villes wallonnes en ont bénéficié : Liège, Charleroi, La Louvière, Seraing, Mons, Verviers et Mouscron. Mais les budgets ont diminué d’année en année, notamment à cause de la régionalisation de la politique des grandes villes.
QUESTIONS DE DEBAT
- Les communes ont-elles réellement des pouvoirs en matière de lutte contre les inégalités ou sont-elles limitées par les autres niveaux de pouvoir ?
- Quel est le pouvoir qui me parait le plus important à mettre en priorité dans le prochain programme communal ?
- Focus sur la commune : 169 fiches pour une bonne gestion communales, novembre 2017, p467.
- Idem, p 809
- Idem, p 773
- www.rtl.be/info/belgique/societe/126–000-personnes-en-attente-d-un-logement-social-les- chiffres-incroyables-de-la-situation-en-wallonie-et-a- bruxelles-918141.aspx
- www.rtbf.be/info/regions/detail_le-prix-de-l-incoherence-remis-a-jacqueline-galant-a-jurbise?id=8904058
- Destiné à l’hébergement temporaire de ménages (deux fois 6 mois maximum) en état de précarité ou de ménages privés de logement pour des motifs de force majeure.
- Destiné à l’hébergement des ménages en état de précarité. Contrairement au logement de transit, le logement d’insertion donne lieu à un bail de 3 ans minimum.
- Le groupe TEC est constitué de 5 sociétés d’exploitation (TEC Brabant wallon, TEC Charleroi, TEC Hainaut, TEC Liège-Verviers et TEC Namur-Luxembourg).
- Ceux-ci sont mis à disposition gratuitement par la SRWT.
- Focus sur la commune : 169 fiches pour une bonne gestion communale, novembre 2017, p 307
- Idem, p 361
- Idem, p 361
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