Démocratie participative. Un moteur à entretenir (Août 2018)
Démocratie participative.
Un moteur à entretenir
Auteure : Monique Van Dieren, Contrastes août 2018, p14 à16
Face au désintérêt, à la méfiance, voire à la colère vis-à-vis du monde politique et de la démocratie représentative, l’échelon local est plus que jamais celui où l’expérience de la démocratie participative prend tout son sens. Des voix de plus en fortes se font entendre et les actes citoyens se multiplient pour faire vivre la démocratie de manière plus directe et à d’autres moments qu’aux échéances électorales.
Comme on le sait, le modèle politique belge est celui de la démocratie représentative, basé sur la délégation de pouvoir des citoyens en- vers ceux qu’ils ont élus. La démocratie directe et la démocratie participative impliquent plus directement les citoyens dans les débats et/ou les prises de décision. Ces trois formes de démocratie ne sont d’ailleurs pas incompatibles et auraient sans doute tout intérêt à cohabiter de manière plus harmonieuse…
Représentative, directe, participative
Pour la démocratie directe, la participation du citoyen n’est pas une valeur en soi mais un moyen pour prendre une décision. Les formes les plus connues de démocratie directe sont le referendum et la consultation populaire, qui visent à associer directement la population à une prise de décision. Dans le cas du referendum, le résultat est contraignant ; la population est invitée (par une autorité publique ou un groupe d’individus) à prendre elle-même la décision. La consultation populaire est comme son nom l’indique consultative ; la population est invitée à donner son avis, mais cet avis n’a pas de pouvoir décisionnel. En Belgique, le referendum est anticonstitutionnel à tous les niveaux de pouvoir, tandis que la consultation populaire est anti- constitutionnelle au niveau fédéral, mais autorisée au niveau local et régional.1
Un modèle, mais perfectible
La démocratie participative, quant à elle, ac- corde moins d’importance au pouvoir de dé- cision qu’au processus de participation. Les dispositifs locaux de participation citoyenne reposent sur l’idée qu’une gestion rapprochée des préoccupations des habitants est plus efficace car plus adaptée à leurs spécificités. Ce sont des outils de renforcement de la démocratie, de création d’espaces de rencontres et d’échanges, de mobilisation des habitants pour créer du lien social. Certains de ces mé- canismes sont institutionnalisés, c’est-à-dire encadrés par une législation et des procédures souvent lourdes et contraignantes. D’autres sont suggérés et mis en place de manière volontaire, constituant en quelque sorte un catalogue de « bonnes pratiques ». C’est le cas des budgets participatifs .
Notons cependant que les dispositifs de parti- cipation citoyenne ressemblent parfois davan- tage à une campagne de communication de la part des autorités locales qu’à une réelle volon- té de dialogue avec les habitants. Par exemple, Inter-environnement /Bruxelles a récemment dénoncé le fait que des séances d’information et de consultation portant sur dix plans d’aména- gement ont été organisées en six jours de temps, avec une marge de manœuvre très étroite pour la discussion. “Alors que la majorité des re- marques des habitants concernent une tour de logements privés démesurée et écrasante, on sait déjà que cet aspect du projet ne pourra être remis en question dès lors que l’accord avec l’investisseur a été conclu depuis bien longtemps”, regrette Inter-environnement Bruxelles.
Cet exemple illustre le fait que « les résultats sont souvent mitigés, car de nombreux pro- blèmes surviennent lorsque le processus de participation n’est pas suffisamment réfléchi et cadré : objectifs peu clairs ou peu transparents, méthode et rôle des acteurs mal définis, moyens humains et matériels mal calibrés… Cela risque d’augmenter les frustrations et le sentiment d’un fossé entre les citoyens et le politique », comme l’expliquent Ludivine Damay et Chloé Merce- nier dans la revue de l’Union des villes et des communes de Wallonie2.
Dans un livre intitulé « Le marché de la dé- mocratie participative », Alice Mazeaud et Magali Nonjon vont même jusqu’à dénoncer la standardisation, la bureaucratisation et la marchandisation des politiques participatives à tous niveaux : « Les militants d’hier sont pour l’essentiel concurrencés par des professionnels (agents publics, consultants,) qui vivent de l’offre de participation ».
QUELQUES DISPOSITIFS DE PARTICIPATION CITOYENNE
- Ce sont les régions qui sont compétentes pour déterminer les règles en matière de gestion communale et de participation citoyenne. La consultation populaire : La commune a l’obligation de l’organiser si un certain nombre d’habitants en font la demande. Le vote n’est pas obligatoire. Le dépouillement ne se fait que si la participation est significative. Les autorités communales ne sont pas tenues de prendre en compte le résultat.
- L’enquête publique : Elle est obligatoire dans certains domaines, notamment l’aménagement du territoire, les taxes communales. Elle est suivie d’une procédure de concertation entre la commune et les habitants si ceux-ci ont déposé minimum 25 plaintes
- Les commissions consultatives : Les communes sont libres de mettre en place des commissions sur des matières précises (urbanisme, seniors, culture…). Elles n’ont qu’un pouvoir consultatif, mais leur avis pèse souvent dans les décisions prises par la commune.
- Le droit d’interpellation du conseil communal : Il n’est pas prévu dans la loi communale, mais certaines communes l’autorisent dans un cadre précis. Les questions doivent être envoyées préalablement et concerner l’intérêt général.
- Les associations « spontanées » : De nombreux groupes de citoyens se mobilisent sur des problématiques locales et spécifiques. Ce sont des moteurs de la démocratie locale qui obligent souvent le pouvoir communal au dé- bat. Un exemple : le budget participatif.
Ambivalence des citoyens et des élus
Les dispositifs légaux de participation ci- toyenne sont souvent peu activés, peu connus, et leurs résultats peuvent être décevants. Mais y-a-t-il une réelle prédisposition naturelle ou une réelle volonté des citoyens de participer activement à la vie communale ?
Pour Jean Faniel, directeur du CRISP, « Notre cadre, mental, conceptuel, celui qu’on a un peu tous en tête, reste la démocratie représentative, la démocratie par délégation. L’implication n’est pas nécessairement souhaitée par une partie importante de la population. Parce que s’impliquer demande du temps et de l’énergie, mais aussi un état d’esprit, une forme d’habitude ou d’entraînement. Et donc quand on se dit que la démocratie représentative nous permet de voter et d’élire nos représentants, on leur délègue une tâche. A eux de bien l’exercer ! La majorité de la population se retrouve placée – et se place elle-même – dans une position plus passive. Une des vertus généralement prêtées à la démocratie participative est justement d’impliquer les citoyens et, ce faisant, de les habituer à le faire, de changer leur culture et leur rapport au politique, en se plaçant plus dans une position d’ac- teur que de spectateur ou de simple mandant par rapport à des mandataires. »
De leur côté, les élus ont souvent des difficultés à “jouer le jeu” de la concertation. Malgré le fait qu’ils acceptent, voire même sont initiateurs de dispositifs de participation, ils perçoivent souvent les citoyens comme défenseurs d’intérêts personnels ou comprenant mal les enjeux politiques. « Si, du côté des citoyens, il n’y a pas toujours la culture ou la disponibilité à se lancer dans une forme d’association à la prise de décision politique, poursuit Jean Faniel, on voit bien que ce même cadre mental de la démocratie représentative par délégation fait aussi qu’au niveau des élites politiques, on n’est pas toujours très décidé à partager ce pouvoir. »
Entre les citoyens et les élus, le rôle des associa- tions est essentiel pour faire vivre la démocratie participative. « Le rôle des associations reste bien un rôle de pression. De manière organisée, bien sûr. Mais ça n’empêche pas d’avoir aussi un rôle qui est moins un rôle de coordination d’une mobilisation par rapport au politique qu’un rôle d’incitation de ses membres à s’investir, tout en leur donnant le cadre de réflexion. L’idée est de dire “Engagez-vous pour défendre les valeurs du mouvement auquel vous appartenez”. Ce qui peut avoir pour effet d’éviter le risque d’atomisation de la participation. Car si ce sont vraiment des citoyens isolément qui interpellent qui participent, il y a possibilité ou risque que le monde politique choisisse les voix qu’il veut bien entendre… C’est pour cela qu’il est important qu’il y ait à la fois des processus de participation organisés, et en même temps d’autres qui permettent d’être à l’écoute des électrons libres moins organisés », conclut Jean Faniel.
Pour John Pitseys3, la démocratie participative doit répondre à trois défis : assurer l’égalité des ressources et la volonté de participer des deux parties, élargir la portée des expériences, et renforcer l’articulation entre les individus et le secteur associatif.
Dans une analyse du Crisp, John Pitseys et Hervé Pourtois vont jusqu’à se demander si la démocratie participative, en étant réservée aux citoyens les plus actifs, n’induit pas des inégalités dans la participation encore plus forte que dans celles qui affectent les élections. De plus, « les dispositifs participatifs prennent place au sein de communautés de discussion plutôt restreintes. Comment articuler ces dynamiques locales au débat public au sens large, à l’échelle de la société ou à celles des institutions publiques nationales ? Enfin, la démocratie participative permet-elle de donner un nouveau souffle aux institutions existantes ou doit-elle conduire à en contester la logique ? » 4.
Cette dernière question divise souvent les promoteurs de la démocratie participative, expliquent-ils. Ils citent un collectif d’auteurs qui ont rédigé une analyse suite à la consulta- tion populaire et le panel citoyen à Louvain- la-Neuve concernant le projet d’extension du centre commercial. Pour ce collectif, « l’avenir de la démocratie participative passe par la création de dispositifs hybrides reposant à la fois sur des techniques référendaires et sur des processus de consultation, sur l’initiative des citoyens et sur une réforme institutionnelle, voire constitutionnelle, des mécanismes de la représentation. »
Le constitutionnaliste Marc Verdussen pense également qu’il faut faire évoluer le modèle démocratique, mais en préservant les fonde- ments de la démocratie représentative. « La démocratie évoluera inéluctablement vers une démocratie plus directe. Cependant, quelle que soit la forme qu’elle prendra, celle-ci devra tou- jours s’accommoder d’une logique représentative qui, au-delà de ses défis actuels a encore d’in- déniables vertus. Elle a en effet un caractère délibératif et compromissoire qui la rend indé- passable, même si le dialogue démocratique n’a plus nécessairement lieu au cœur des hémicycles parlementaires, mais autour et alentour » 5.
Le débat est loin d’être clos, et c’est tant mieux…
QUESTIONS DE DÉBAT
• Sommes-nous plutôt dé- fenseurs de la « démocratie d’élevage » ou de la « démo- cratie sauvage » ? Sont-elles complémentaires ?
• Pensons-nous que la démocratie participative permettra de donner un nouveau souffle à la démocratie représentative, ou doit-elle plutôt conduire à en contester la logique ?
DÉMOCRATIE D’ÉLEVAGE ET DÉMOCRATIE SAUVAGE
Face à la désillusion envers l’action des institutions et de leurs représentants, face au galvaudage de la notion de démocratie participative, nombreux sont ceux qui prônent le développement d’une démocratie informelle. C’est le cas de Loïc Blondiaux6 qui reprend à son compte la distinction faite par Laurent Mermet entre la démocratie d’élevage et la démocratie sauvage. La première correspond aux dispositifs institutionnalisés de participation dans lesquels le poli- tique invite la population à donner son avis, selon des règles précises. La démocratie sauvage, quant à elle sous-entend une vision plus spontanée de la démocratie dans laquelle les citoyens, mais aussi les collectifs se mobilisent, interpellent les élus, démontrent leurs capacités d’action.
La campagne du CIEP « Agis, t’es du local », qui met en avant des super-citoyens en action dans leur commune, ne s’inscrit-elle pas dans cette forme de démocratie sauvage ? Pour le CIEP, « L’existence d’initiatives citoyennes qui proposent des alternatives positives dans l’autonomie par rapport aux institutions indique qu’il est possible de s’engager et d’entre- prendre des projets utiles en dehors de l’action des élu.e.s. (…) Les réponses à la désaffection électorale engendrent soit plus d’éloignement des citoyen.ne.s (populisme), soit un nouveau type d’engagement qui ne passe plus par les partis politiques traditionnels. C’est dans le sens de cette deuxième voie que le CIEP mène campagne pour les élections communales. Même si nous ne sommes pas indifférents aux résultats des élections, notre travail d’éducation permanente vise à modifier la relation entre les citoyen.ne.s engagé.e.s qui entretiennent avec les institutions, une relation critique qui veut faire peser les intérêts des citoyen.ne.s, des associations et des mouvements sur les politiques publiques7« .
1. Marc Verdussen, vers une démocratie plus directe ?, Démocratie n° 11, novembre 2015
2. Ludivine Damay et Chloé Mercenier, Démocratie par- ticipative, dossier publié dans la revue Mouvement communal n° 924, janvier 2018.
3. Intervention de John Pitseys à la Semaine sociale du MOC en avril 2018.
4. Hervé Pourtois, John Pitseys, « La démocratie parti- cipative en question », Les @nalyses du CRISP en ligne, 1er novembre 2017, www.crisp.be.
5. Marc Verdussen, « Vers une démocratie plus di- recte ? », Démocratie n° 11, novembre 2015
6. Loïc Blondiaux, Métamorphose de la démocratie : vers une démocratie réelle. Semaines sociales de France 2011
7. L’Esperluette n° 96, avril-juin 2018. Téléchargeable sur www.ciep.be
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