Logement | Loyers négociés ! (Octobre 2018)
Derrière le nom de la nouvelle asbl Loyers négociés, c’est toute une dynamique de défense de dizaines de milliers de locataires bruxellois qui est en jeu. Une démarche initiée par les Equipes Populaires qui a pour ambition d’accompagner les locataires à revenus modestes en les aidant à renégocier les clauses de leur contrat lorsque celles-ci sont clairement abusives.
A Bruxelles, pour une partie sans cesse croissante d’entre nous, trouver logement décent à prix abordable devient une vraie gageure. Ces vingt dernières années, les prix de vente ont été multipliés par quatre, et les offres locatives par deux. Pourquoi en est- on arrivé là ? Quelles réponses publiques et associatives à apporter à de telles difficultés ?
Evolutions démographiques
Entre 1965 et 1995 rappelons-nous que Bruxelles se vidait de sa population. La classe moyenne, surtout, s’est mise au vert de sa périphérie brabançonne. En même temps, Bruxelles est restée une ville d’accueil des migrants. L’un dans l’autre, la population « officielle », c’est-à-dire le nombre de personnes y ayant élu domicile, est passé de 1.080.000 à 950.000. Aujourd’hui, après avoir accueilli de nombreux migrants, une série d’institutions internationales, des exilés fiscaux français, après avoir vu un net regain dans la natalité, Bruxelles compte près de 1.200.000 habitants. Et c’est sans compter une série de fonctionnaires internationaux, étudiants, et sans-papiers, qui vivent à Bruxelles, qui occupent un logement, sans y élire domicile.
Pénurie de logements modestes
Pour loger décemment tout ce petit monde, il aurait fallu accélérer la production de logements. Ces vingt dernières années, à l’analyse des demandes de permis d’urbanisme, on estime ce rythme à 4.000 logements par an, dont 70% de neuf et 30% de subdivision d’immeubles existants. On estime qu’il aurait fallu en construire 6.000 par an.
De plus, le privé, qui a fourni 90% de ces nouveaux logements, s’est centré sur le haut de gamme ! Sur ce segment du marché, il y a sur-offre locative comme acquisitive. En conséquence, aujourd’hui, les logements qui restent vides, ce n’est plus tellement les chancres, c’est aussi, et peut-être surtout, les logements neufs et confortablement équipés : les appartements « une chambre » de 80 m2, avec garage, belle terrasse, salle de bain rutilante ne trouvent pas preneur. Conséquence aussi, sur ce segment du marché, les loyers baissent. Relayant les inquiétudes des acteurs de ce segment de marché, « Le Soir » du 20 octobre 2014 titrait « Net repli des loyers en Belgique ! ».
Mais, sur le segment des logements modestement équipés (un appartement une chambre de 30 m2, disposant d’une simple salle de douche), il y a pénurie. La situation est similaire au marché de l’emploi. Pour une offre disponible, des dizaines de candidats. La pénurie est plus sévère encore pour les trois chambres et plus. Certes, l’offre globale des logements trois chambres a considérablement augmenté, mais sur le haut de la gamme seulement. Conséquence, les candidats locataires qui subissent des discriminations, à savoir les personnes d’origine subsaharienne et maghrébine et les personnes à faibles revenus, restent souvent sur le carreau. « On cherche, on cherche, on ne trouve pas. Du coup, on doit se rabattre sur des logements trop petits, ou de mauvaise qualité, et trop chers. »
Vous dites « logements trop chers » ou « revenus insuffisants » ?
L’histoire de Yasmina, femme seule, 63 ans, d’origine marocaine, disposant du revenu d’intégration sociale, illustre parfaitement les difficultés rencontrées par des dizaines de milliers de Bruxellois. Suite à des conflits familiaux, Yasmina, quitte le logement familial, et s’installe provisoirement à l’hôtel. Avec le soutien d’un garant, elle finit par trouver un logement pour un loyer de 690€. Avec les charges, le téléphone, les cotisations mutuelles, il lui reste 60€ pour vivre ! Son loyer est donc inabordable. Il est clairement trop cher par rapport à ses revenus. Outre les deux mois de garantie, le bailleur a donc conditionné la signature du bail à la présence d’un garant.
Yasmina se rend à son CPAS pour demander une intervention financière dans le paiement du loyer, son disponible ne lui permettant pas de mener une vie conforme à la dignité humaine. Estimant qu’il s’agit d’une dépense « somptueuse », arguant que des offres moins onéreuses sont disponibles, le CPAS refuse d’intervenir dans le loyer, et invite Yasmina à trouver logement plus adapté à ses revenus.
C’est ce que fait Yasmina depuis trois ans. Elle s’est inscrite comme candidate à un logement social, dans plusieurs AIS, au Fonds du Logement, et consulte régulièrement les offres disponibles sur le marché locatif privé. Elle a même sollicité la Régie foncière et le service logement du CPAS de la ville, propriétaires de près de 5.000 logements. Là, le règlement d’attribution prévoit que le candidat doit avoir des revenus supérieurs à 250% du montant du loyer et des charges. Et, malheureusement, aucune offre locative à moins de 350€ n’est disponible… Bref, le CPAS, en tant que bailleur, refuse de louer à Yasmina. Et c’est légal. Les propriétaires ont en effet le droit de veiller à ce que le locataire dispose des ressources suffisantes pour faire face au loyer demandé. On pourrait même plaider qu’il s’agit d’une règle de prudence, voire d’une obligation dans le chef du bailleur, à l’instar des organismes de crédit qui sont tenus de vérifier les capacités de remboursement de leurs clients avant de leur octroyer un prêt. Si le refus du CPAS de louer à Yasmina semble légal, n’y a-t-il pas quelque chose d’hypocrite d’enjoindre Yasmina à chercher auprès du privé, ce qui lui est refusé par un bailleur public ? Faute de mieux, et espérant que le CPAS ferait bien la distinction entre logement modeste et loyer somptueux, nous avons soutenu Yasmina à contester le refus d’aide sociale devant le Tribunal du travail. Jugement attendu pour novembre.
Pour une allocation loyer…
Non, on ne peut pas exiger des propriétaires qu’ils adaptent le montant du loyer aux revenus des locataires. Pallier à l’insuffisance des revenus pour garantir le droit à un logement décent, c’est le job des pouvoirs publics. La Région a donc mis en place, et s’apprête à généraliser, une politique d’allocation loyer pour celles et ceux qui, inscrits comme candidats au logement social, attendent depuis longtemps. Pour obtenir telle allocation, il faut en outre que le logement soit décent, et que le loyer soit raisonnable. Des plafonds sont ainsi précisés : 507€ pour un studio, 589€ pour un appartement une chambre, 678€ pour un « deux chambres », etc. Demain, ce sont les références de la grille indicative, désormais officielle, qui seront utilisées… A juste titre, les pouvoirs publics refusent d’intervenir si le logement est somptueux ou si le propriétaire exagère dans le prix demandé. En effet, l’allocation loyer doit soulager le budget des ménages à faibles revenus, et non pas alimenter les poches des propriétaires… Mais cela ne fait pas l’affaire de Yasmina. Avec son loyer de 690€, elle est privée d’allocation loyer.
Vous avez dit « logement somptueux »?
Pourtant, Yasmina a fait sa part du boulot. Elle a trouvé logement décent. Situé dans un quartier populaire, à proximité du canal, son logement est correct (double vitrage…) et en bon état. Ce n’est pas le cas de tout le monde. De ce point de vue, Yasmina est donc bien logée. Mais son logement n’a rien de somptueux : point de salle de bain, mais simple salle de douche. Point de parquet, mais un modeste vinyle. Point de frigo ou de cuisine« américaine », juste une petite cuisine modestement aménagée. Pas de point de vue splendide sur le canal. Pas de terrasse. Yasmina ne vit pas non plus dans 80 m2, mais seulement dans 30 m2. Son logement est donc modeste. Ses caractéristiques sont parfaitement adaptées à ses revenus. Rien de somptueux.
Quand la qualité du logement baisse, le loyer monte !
Si on ne peut pas obliger les bailleurs à adapter le loyer aux revenus des locataires, cela ne veut pas dire qu’ils soient exempts de toute obligation en la matière. A côté des difficultés liées à la faiblesse des revenus, il convient de mettre en évidence les problèmes de prix, de mesurer l’ampleur du phénomène des loyers abusifs ! C’est ce qu’a fait le très officiel observatoire des loyers : le loyer d’un appartement « une chambre » de « très bonne » qualité tourne le plus souvent autour de 730€. 650€ pour ceux présentant de « bonnes qualités ». 600€ quand les qualités sont « assez bonnes ». 550€ pour des qualités très « moyennes », et… 595€ quand les qualités sont franchement « mauvaises ». A Bruxelles donc, 30.000 logements sont loués à des prix disproportionnés par rapport à leurs qualités. Certains bailleurs abusent de la pénurie de logement et exagèrent d’une bonne centaine d’euros dans leurs prétentions en matière de loyer.
Pour que les pouvoirs publics puissent faire leur part du boulot, il faut que les bailleurs fassent la leur : proposer un loyer adapté aux caractéristiques du logement, et conforme au prix habituellement pratiqués sur le marché. La grille de loyer, désormais officielle, fournit une telle indication. Pour le logement de Yasmina, celle-ci indique un loyer de 540€. Son propriétaire en demande 690€. Aucun élément de confort ne justifie ces 150€ de différence avec les valeurs locatives habituelles. Le logement est donc trop cher, pas seulement au regard des revenus de Yasmina, mais aussi au regard de ses caractéristiques !
Pour des loyers négociés !
Que faire d’autre que de soutenir Yasmina à renégocier les clauses de son contrat, manifestement abusives ? C’est précisément ce que les Equipes Populaires de Bruxelles ont fait, en cherchant, avec une dizaine de locataires dont nous tenons ici à saluer le courage et la détermination, à trouver une solution amiable avec le propriétaire, et, à défaut, en soumettant l’affaire devant la justice. D’ici à la fin de l’année, plusieurs jugements sont attendus. Aujourd’hui, on ignore totalement comment les juges de paix feront place, dans leurs décisions, aux arguments déployés dans les plaidoiries audacieuses, solides et innovantes de nos avocats. Affaire à suivre donc, à Laeken, à Saint-Gilles, à Ixelles, à 1000 Bruxelles, à Anderlecht…
Reste que la situation de Yasmina est loin d’être exceptionnelle. Plusieurs dizaines de milliers de ménages bruxellois vivent des situations identiques. De l’enquête menée par les Equipes Populaires ces dernières années sur base du questionnaire « 600€ pour ça », il ressort que 80% des candidats en attente d’un logement social seront exclus du bénéfice de l’allocation loyer s’ils ne parviennent pas à négocier avec leur bailleur des travaux (40%), une révision du loyer (70%) ou les deux (30%) !
La demande sociale de soutien à de telles négociations est donc énorme. Afin d’y apporter une réponse, les Equipes Populaires, soutenues par une douzaine de Bruxellois actifs dans le Mouvement ouvrier chrétien et sensibles au droit au logement, ont créé une nouvelle association. Baptisée « Loyers Négociés », celle-ci a pour ambition de fournir un service d’accompagnement des locataires à de telles négociations. L’enjeu est de taille. Si, comme tant d’autres, Yasmina parvenait à renégocier son loyer à 590€, elle pourra bénéficier d’une allocation loyer de 104€. Son « disponible » passera alors de 80€ à 284€ par mois. Une vraie différence. Celle qui permet de mener une vie conforme à la dignité humaine.
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