Réforme aide juridique | Chronique d’une victoire associative (décembre 2018)
Auteure : Claudia Benedetto, Contrastes décembre 2018, p 17 à 19
De l’eau a coulé sous les ponts depuis la réforme de l’aide juridique (ex pro deo). Depuis 2016, on a pu assister à une vague de mécontentements qualifiant cette réforme d’injuste pour les plus précaires. Aujourd’hui, que reste-t-il de la loi défendue par Koen Geens ?
Qui au final a droit à l’aide juridique ?
L’accès à la justice est un droit fondamental, tout citoyen.enne doit pouvoir se défendre lorsqu’il/elle se retrouve face à une situation difficile au cours de sa vie. L’aide juridique est précieuse pour assurer une égalité d’accès à la justice quels que soient ses moyens financiers. Il existe deux types d’aide juridique : celle que l’on qualifie de première ligne (voir encadré page 18) et l’aide de seconde ligne qui permet aux personnes qui ont des ressources limitées d’avoir recours à un avocat.
Dans un passé pas si lointain, si on n’avait pas beaucoup de moyens et qu’on avait besoin d’un avocat, on avait recours à un avocat pro deo payé par l’Etat. Mais bardaf ! Voilà qu’en 2016, le ministre Geens chamboulait brusquement un système déjà fragile.
Une réforme en 2016
L’histoire commence l’été 2016, date à laquelle la réforme de l’aide juridique entre en vigueur. Le recours à ce système devient dès lors beaucoup plus compliqué pour les personnes défavorisées. En effet, la complexification administrative et l’instauration d’une contribution financière (ticket modérateur), y compris pour ceux et celles qui vivent sous le seuil de pauvreté, ont créé une inégalité sans précédent. La réforme prévoit que le justiciable doit débourser 20€ par désignation d’avocat et 30€ par procédure devant un juge. En cas d’opposition ou d’appel, il faut donc prévoir à nouveau 30€. Mis à part les mineurs, tout justiciable, même les SDF, les personnes handicapées, les bénéficiaires de l’aide sociale ou les étrangers et pensionnés…, doit démontrer son manque de moyens en constituant un dossier à destination du Bureau d’Aide Juridique (BAJ) habilité à déterminer si on a le droit à une aide juridique.
Avant 2016, l’examen des ressources pour déterminer si un candidat a droit à une aide juridique de deuxième ligne se basait sur les revenus professionnels. Désormais, il se base sur la notion de « moyens d’existence », incluant notamment les revenus de biens immobiliers, les revenus de biens mobiliers, ou l’épargne. Dans leur dossier, les personnes doivent détailler leurs ressources, les biens qu’elles possèdent (maison, voiture…), si elles bénéficient d’une aide alimentaire, d’une pension alimentaire ou de toute autre aide financière de la part de quelqu’un et préciser les ressources de ces dernières. Donc en clair : si un SDF est hébergé chez une personne, cette dernière doit faire part de ses ressources dans le cas où le SDF voudrait avoir recours à un pro deo. La constitution de ce dossier complique le travail des avocats qui doivent souvent rencontrer plus d’une fois leurs clients pour rassembler la paperasse. Et pour couronner le tout, si le dossier ne reçoit aucune suite de la part du BAJ, l’avocat n’est pas indemnisé. Le système de leur rémunération a également été modifié de façon telle qu’ils n’ont connaissance du montant de leur rémunération pour les prestations effectuées que quelques mois après celles-ci.
A cela s’ajoute la lenteur administrative : un avocat peut attendre quelquefois plusieurs semaines avant d’être désigné pro deo. Du coup, certains, forts de leur conscience professionnelle, introduisent tout de même des requêtes bénévolement pour éviter que leurs clients ne soient déboutés pour ne pas avoir respecté les délais de recours.
Résultat des courses, en 2017, 17% des justiciables ne faisaient plus appel à une aide juridique. D’après la plateforme Justice pour tous, ce chiffre ne faisait que traduire « le découragement des personnes qui ne parviennent pas à payer les frais de justice où qui ne parviennent pas à remplir les formalités administratives incohérentes par rapport à la pratique ». Et c’était sans compter la diminution du nombre d’avocats pro deo, découragés eux aussi par la quasi impraticabilité de leur métier. (Diminution de 25% pour 2016–2017 par rapport aux années précédentes1)
7€
C’est le budget de l’aide juridique par an, par habitant en Belgique. Contre 28€ par exemple aux Pays-Bas.
0.06%
Part dévolue à l’aide juridique dans le budget de l’Etat.6
L’AIDE JURIDIQUE DE PREMIERE LIGNE, PREMIERS PAS DANS L’ARENE JUDICIAIRE
Vous avez droit à une première aide juridique, quelle que soit votre situation financière. C’est l’aide juridique de première ligne. Concrètement, cette aide peut être : des renseignements pratiques ; des informations juridiques ; un premier avis juridique ; un renvoi vers une instance ou une organisation spécialisée.
Il s’agit donc d’une première consultation ouverte à tous, mais limitée à une première aide sans assistance concrète. Cela doit en principe vous permettre d’évaluer l’opportunité d’aller plus loin dans une procédure ou non. L’aide juridique de première ligne est organisée par les avocats, qui tiennent des permanences dans les palais de justice, dans les Maisons de Justice, dans les CPAS, ou dans certaines associations agréées ; et certaines associations (asbl, syndicats, etc.).
Quand elle est organisée par les avocats, cette aide est toujours gratuite. Quand elle est organisée par d’autres associations d’aide juridique, l’aide est soit entièrement gratuite ; soit payante, en fonction
Extrait : www.droitsquotidiens.be/fr/question/puis-je-recevoir-une-premiere-information-juridique-gratuite?o=1290
Les associations se mobilisent
Suite à une forte mobilisation, une trentaine d’associations2 dont la Ligue des droits de l’Homme, ont déposé un recours le 17 janvier 2017 auprès de la Cour constitutionnelle contre cette loi du 6 juillet 2016 qui avait réformé l’aide juridique. Et en particulier contre le « Ticket modérateur » (contribution financière) obligatoire de 30 à 60€. Selon ces associations, une telle réforme accroitrait les inégalités quant à l’accès de tous à la justice. Une autre mesure prise par le gouvernement avait également fait beaucoup de remous : l’instauration d’une TVA de 21% sur l’aide juridique de deuxième ligne.
Le 24 mars 2018, on assiste à un premier revirement du ministre. Celui-ci annonce une revalorisation des indemnités reversées aux avocats pro deo. Ceux-ci sont payés par l’Etat en fonction d’un nombre de points fixés par prestation. La valeur du point (à savoir l’équivalent d’une heure de travail) passe dès lors de 25 à 75€.
Sur cette note positive, le temps fait son chemin et c’est l’été 2018, plus précisément le 21 juin que la Cour constitutionnelle rend son verdict quant au recours déposé quelques mois auparavant par des associations (Voir plus haut). « L’obligation de s’acquitter de contributions forfaitaires envers l’avocat pro deo implique un recul significatif de la protection du droit à l’aide juridique, garanti par l’article 23 de la Constitution, sans qu’existent des motifs d’intérêt général pour justifier ce recul de la protection juridique3 », estime-t-elle. En d’autres termes, le ticket modérateur est illégal et les avocats pro deo ne pourront plus à l’avenir demander une contribution forfaitaire. Un mois plus tard, le 31 juillet, autre bonne nouvelle : Le projet de TVA à 21% sur les honoraires d’avocats pro deo tombe aux oubliettes.
Aujourd’hui, les personnes qui bénéficient gratuitement d’un avocat sont les mineurs, les bénéficiaires du CPAS, les étrangers uniquement dans le cadre des procédures concernant leur statut (qui souhaitent demander un titre de séjour ou l’asile ou qui veulent contester un ordre de quitter le territoire), les détenus.es ou personnes internées, les bénéficiaires de la GRAPA (Garantie de Revenus aux Personnes Âgées), les personnes endettées qui souhaitent introduire une demande de règlement collectif de dettes, les personnes handicapées ainsi que les personnes souffrant d’une maladie mentale, les locataires d’un logement social et les personnes qui bénéficient d’allocations familiales garanties. Par contre, les personnes qui se reconnaissent dans l’un de ces profils mais qui disposent de ressources d’existence considérées comme suffisantes n’en bénéficieront pas. C’est le cas par exemple pour une personne qui a des économies ou dont le conjoint a des ressources4.
Et les personnes qui ne se retrouvent pas dans ces conditions mais qui disposent de peu de revenus auront droit à une réduction d’honoraires. (Voir graphique)
Le cauchemar des justiciables ne serait-il plus qu’un lointain souvenir ? Il semblerait tout du moins que la mobilisation des associations ait porté ses fruits. Se réjouissant, dans un communiqué du 25 juin, de ce qu’elles considèrent être une « victoire importante » pour l’aide juridique, les associations de la plateforme Justice pour tous tempèrent : « Malgré l’avancée importante réalisée par cet arrêt, le droit d’accès à la justice reste une illusion pour de nombreuses personnes. » Elles rappellent que toute une série de personnes qu’elles rencontrent sur le terrain éprouvent des difficultés d’accès : « Les personnes qui ne trouvent pas à temps les documents nécessaires pour prouver qu’elles ont droit à un avocat pro deo, les personnes qui, en raison de la disponibilité limitée de conseils juridiques de première ligne accessibles, ne savent pas qu’elles ont droit à un avocat pro deo… »
Et elles concluent : « La Plateforme demande donc au ministre de la Justice d’ouvrir rapidement le débat sur la manière dont nous pouvons créer en Belgique une aide juridique qui puisse garantir à chacun le droit d’accès à la justice5. » Affaire à suivre…
1. www.rtbf.be/info/belgique/
detail_bruxelles-manifestationcontre-
la-reforme-de-l-aide-juridique?
id=9833437
2. Dont l’Association Syndicale des
Magistrats, ATD Quart Monde
en Belgique – la Ligue des
droits de l’Homme, la Ligue des
familles, Médecins du Monde, le
Réseau Wallon de Lutte contre
la Pauvreté, le Service d’action
sociale bruxellois, les Equipes
Populaires..
3. www.rtbf.be/info/belgique/
detail_aide-juridique-les-avocats-
pro-deo-ne-peuvent-pasdemander-
de-contributions-forfaitaires?
id=9952148
4. www.droitsquotidiens.be
5. www.laligue.be/association/communique/
cp-acces-a-la-justice-annulation-
du-ticket-moderateur
6. www.lalibre.be/debats/opinions/laide-
juridique-est-un-droit-il-esttemps-
d-agir-opinion-5ae89af-
3cd704297e75738c1
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