L’Europe, ça sert à quoi ? (Février 2019)
Auteure : Claudia Benedetto, Contrastes février 2019, p 3 à 5
Contrairement à ce que l’on pense généralement, la cote de popularité l’Union européenne (UE) est en hausse. Cependant, son rôle et ses champs d’action restent flous dans la tête des citoyens. Mis à part l’argument souvent avancé – et non des moindres – du maintien de la paix, que nous apporte l’Union européenne de positif dans notre vie quotidienne ?
Politiques d’austérité, harmonisation fiscale et sociale inabouties, rebondissements dans l’affaire du glyphosate, gestion migratoire catastrophique, institutions technocratiques, démocratie relative, puissance des lobbys, sans compter le controversé dossier TTIP, les arguments négatifs envers l’UE ne manquent pas, au point de pousser les Anglais au divorce. Mais quand on regarde de plus près cet ensemble abstrait, parfois insaisissable, on peut alors se rendre compte de l’étendue de l’influence de l’Europe dans notre quotidien. Les lois européennes nous accompagnent partout ; que ce soit dans notre caddie lorsque nous faisons nos courses, quand nous nous déplaçons en voiture, sur notre lieu de travail, pendant nos études et même quand nous partons en vacances.
Au supermarché
L’affichage des prix à l’unité (kilo ou litre) des marchandises qui occupent les rayons des magasins a été imposé par l’Europe. Cela permet au consommateur de comparer plus facilement les prix d’une marque à l’autre.
L’Europe effectue des contrôles-qualité des produits qui sont vendus sur son territoire comme les jouets, les appareils électriques… Ceux-ci sont estampillés par le marquage CE. L’étiquetage des aliments doit contenir des informations essentielles sur les allergènes, la valeur nutritionnelle et énergétique ainsi que la teneur en matières grasses, en graisses saturées, en glucides, sucres et sel. Et notamment pour la viande doivent être mentionnés : le lieu de naissance et d’élevage de l’animal, mais aussi le lieu d’abattage et de découpage.
Pour les OGM, l’obligation d’étiquetage existe depuis 1997. La législation n’est pas parfaite mais prémunit le consommateur d’excès. Tout d’abord, seule la culture d’un maïs transgénique est autorisée en Europe (le maïs MON 810 du semencier américain Monsanto). Or, ce dernier est très peu cultivé car la législation permet aux Etats membres de refuser la culture d’OGM sur leur territoire. 17 pays ont interdit leur culture. En Belgique, seule la Wallonie leur a emboité le pas1. La présence « fortuite » ou accidentelle d’OGM supérieur à 0,9 % doit être obligatoirement mentionnée dans les aliments destinés à l’alimentation humaine ou animale. Par contre, les produits d’origine animale (viandes, œufs, lait, etc.) provenant d’animaux nourris avec des aliments génétiquement modifiés ne doivent pas être étiquetés2.
De manière générale, l’Union européenne a adopté une série de directives contre les pratiques commerciales malhonnêtes, telles que la vente forcée, les pratiques commerciales trompeuses et la publicité déloyale. Elle a par exemple imposé un délai de réflexion de 14 jours (droit de rétractation) pour tous les achats effectués (ou les contrats signés) en dehors du magasin : en ligne, à domicile, dans une foire commerciale, en rue…
Sur internet
Les ventes en ligne doivent répondre à une série de contraintes pour éviter les arnaques, notamment concernant l’identification des vendeurs, les frais annexes… Le fameux Règlement général pour la protection des don- nées (RGPD) adopté en mai dernier par l’UE constitue également une avancée en matière de protection de la vie privée, et contribue à contrôler l’usage des données personnelles à des fins commerciales. Ce règlement est donc censé mettre des bâtons dans les roues des GAFAM, dont le modèle économique est basé sur la vente de nos données personnelles à des annonceurs publicitaires.
Aux études
Le programme Erasmus permet aux étudiants, via une aide financière, de poursuivre leurs études dans une université ou une haute école étrangère. La modification des cursus universitaires sur le modèle Bachelier – Master – Doctorat a permis de faciliter l’équivalence des diplômes entre pays européens et indirectement la mobilité des jeunes travailleurs et l’accès à l’emploi.
Dans notre porte-monnaie
En 2002, l’euro est entré dans nos vies et dans celle des citoyens européens issus de 18 pays qui forment la Zone Euro : Autriche, Belgique, Chypre, Estonie, Finlande, France, Allemagne, Grèce, Irlande, Italie, Lettonie, Lituanie, Luxembourg, Malte, Pays-Bas, Portugal, Slovaquie, Slovénie, Espagne. Notre monnaie unique essuie régulièrement des critiques, notamment, par rapport à la diminution du pouvoir d’achat. Les pro-euro expliquent l’utilité de l’euro de plusieurs façons : cette monnaie unique apporte un plus grand choix et des prix stables pour les consommateurs et les citoyens ; une plus grande sécurité et davantage de débouchés pour les entreprises et les marchés ; une stabilité économique et une croissance plus fortes ; des marchés financiers mieux intégrés ; une présence renforcée de l’UE dans l’économie mondiale ; un signe tangible de l’identité européenne. D’autres prônent une refonte des institutions de la zone euro qui devraient notamment assurer une coordination des politiques économiques afin d’éviter la concurrence fiscale entre les Etats.
REPÈRES CHRONOLOGIQUES
Dès 1950, la Communauté européenne du charbon et de l’acier unit progressivement les pays européens sur les plans économique et politique afin de garantir une paix durable.
25 mars 1957 : Le traité de Rome est l’acte de naissance symbolique de la Communauté économique européenne (la future Union européenne). Il est signé par 6 pays : Allemagne de l’Ouest, Belgique, France, Italie, Luxembourg et Pays-Bas.
1er janvier 1973 : Le Danemark, l’Irlande et le Royaume-Uni adhèrent à l’Union européenne, portant le nombre d’États membres à neuf.
1974–1975 : Les dernières dictatures de droite en Europe prennent fin avec le renversement du régime de Salazar au Portugal en 1974 et la mort du général Franco en Espagne en 1975.
1979 : Le Parlement européen accroît son influence sur les affaires européennes et pour la première fois, en 1979, les députés sont élus au suffrage universel direct.
1981 : La Grèce devient le dixième membre de l’UE.
7 février 1992 : La signature du Traité de Maastricht marque la fondation de l’Union européenne par 12 États membres de la Communauté économique européenne (Allemagne, Belgique, Danemark, Espagne, France, Grèce, Irlande, Italie, Luxembourg, Pays-Bas, Portugal et Royaume-Uni), puis 15 en 1995 et 28 aujourd’hui : Allemagne, Italie, Autriche, Lettonie, Belgique, Lituanie, Bulgarie, Luxembourg, Chypre, Malte, Croatie, Pays- Bas, Danemark, Pologne, Espagne, Portugal, Estonie, Roumanie, Fin- lande, Royaume-Uni, France, Slovaquie, Grèce, Slovénie, Hongrie, Suède, Irlande, Tchéquie.
Dans nos communications téléphoniques
Depuis le 1er juillet 2017, l’UE a mis fin au système de Roaming. Lorsqu’on contacte sa fa- mille alors qu’on est en vacances en Europe, on ne paie plus de suppléments. Le plan tarifaire de l’abonnement que vous avez contracté est d’application.
Dans nos valises
L’abolition des frontières internes (1995) a facilité la mobilité des Européens à l’intérieur de l’espace Schengen. Travailleurs et vacanciers européens peuvent depuis lors plus facilement circuler, travailler, vivre, séjourner dans un autre pays européen.
Cette libéralisation du transport aérien européen survenue en 1997 a provoqué des remous du côté des compagnies existantes qui ont dû s’habituer à la concurrence de nouvelles compagnies à bas coûts. Ce qui a sans doute contribué aux difficultés économiques rencontrées par plusieurs d’entre elles.
Dans nos poumons
C’est également grâce ou à cause de l’Europe – selon où on se situe – que l’on ne peut plus fumer dans les lieux publics (restaurants, cafés, bureaux, transports en commun…). C’est également au niveau européen qu’on a décidé d’ajouter aux paquets de cigarettes en 2001 des avertissements de type « Fumer tue » ou « Fumer nuit gravement à votre santé et à celle de votre entourage ».
REACH, le règlement de l’Union pour mieux protéger la santé humaine et l’environnement contre les risques liés aux substances chimiques, a permis de responsabiliser les entreprises vis-à-vis de la santé des consommateurs. Cela concerne notamment toutes les substances chimiques qui sont employées dans notre vie de tous les jours, par exemple dans les produits de nettoyage, les peintures et des articles tels que les vêtements, les meubles et les appareils électriques.
Dans nos assiettes
L’UE encourage une agriculture biologique par le moyen d’aides financières directes mais aussi par la mise en place d’un programme « fruits et légumes bio » dans les écoles. Par ailleurs, le label bio de l’UE promeut ce type d’agriculture dans tous les Etats membres. Plus largement, les standards européens en matière d’alimentation sont plus élevés qu’aux USA par exemple. « D’un point de vue alimentaire, ce qui compte pour les Américains c’est d’obtenir un goût uniformisé. Pour y arriver, ils peuvent utiliser légalement des organismes génétiquement modifiés, de la viande aux hormones et nourrir leur bétail avec des farines animales3. »
L’Europe est connue pour sa conscience plus écologique par rapport aux autres puissances mondiales. « L’Union européenne sur ces sujets est pionnière, dans le fait de mettre en avant une vision planétaire de ces enjeux et de hisser le débat au niveau des biens communs de l’humanité. Elle peine cependant à convaincre d’autres pays comme l’Inde, les États-Unis ou la Chine, qui portent des visions très différentes de ces enjeux.4 »
L’Europe constitue par ailleurs (mais pour combien de temps encore ?) un modèle pour ses voisins en termes de démocratie et de va- leurs. « Pour une majorité des Ukrainiens par exemple (descendus dans la rue en 2013 alors que leur président ne voulait pas signer d’accord d’association avec l’UE), se rapprocher de l’Union européenne signifie d’abord et avant tout l’aspiration à être un jour gouvernés par des leaders qui appliquent les principes de démocratie5 ». Cependant, la montée des partis populistes au pouvoir modère cette vision positive de l’Europe. Rappelons au passage que le poids des Etats membres dans les décisions européennes est capital. « Les normes européennes ne sont pas le produit des seules cogitations des fonctionnaires de la Commission européenne, mais d’un processus d’intégration qui implique des représentants des Etats à tous les stades et à tous les niveaux de décision6 ». Autrement dit, l’Europe c’est nous. Et c’est à nous, citoyens, d’orienter l’Europe vers un avenir plus écologique, plus égalitaire et plus social. C’est à nous, le 26 mai, de lui indiquer dans quel monde nous voulons évoluer.
INFO OU INTOX ? « 80% DES LOIS SONT IMPOSÉES PAR L’UE »
Combien de fois n’avons-nous pas entendu « C’est l’Europe qui décide de tout. On ne peut rien faire ! » ? Un « fact-checking » réalisé par la RTBF prouve par A+B que les lois nationales ne sont pas majoritairement imposées par l’UE.
Certaines études avancent le chiffre de 15,5% au Royaume-Uni, de 14% au Danemark, de 10,6% pour l’Autriche, de 3 à 27% pour la France… L’Allemagne affiche le taux le plus important : 39,1%. De plus, on ne peut pas affirmer catégoriquement que l’Europe nous impose ses décisions puisque le Parlement européen est composé de députés élus au suffrage universel direct, qui représentent les citoyens européens. Le Conseil de l’Union européenne, lui, est composé de ministres nationaux de chaque pays de l’UE. Ils se rencontrent au sein du Conseil afin d’examiner, de modifier et d’adopter des lois et de coordonner les politiques. Ils négocient et adoptent la législation de l’UE avec le Parlement européen, sur la base des propositions présentées par la Commission européenne. Enfin, la Commission européenne (exécutif) représente les intérêts de l’Union dans son ensemble. Elle est composée d’une équipe de commissaires (un par État membre), qui for- ment ensemble le « collège ». En principe, la Commission présente des propositions de directives qui sont adoptées par le Parlement et le Conseil. Une fois adoptées, les directives sont mises en œuvre par les États membres et la Commission, qui est chargée de veiller à ce qu’elles soient correctement implémentées dans les lois nationales.
QUESTIONS DE DÉBAT
• Connaissons-nous d’autres domaines d’influence (positive ou négative) de l’UE dans notre vie quotidienne ?
• L’UE tire-t-elle la protection des consommateurs, des travailleurs (et de tous les citoyens de manière générale) plutôt vers le haut ou vers le bas ? En Belgique, et dans d’autres pays européens ?
• Partage-t-on l’impression trop largement répandue que « l’Europe décide de tout » ?
1.www.lemonde.fr/planete/article/2018/02/21/l-eu- rope-cultive-tres-peu-d-ogm-mais-en-importe-beau- coup_5260430_3244.html
2.www.ogm.gouv.qc.ca/reglementation/etiquetage/ etiquetage_ue.html
3. Frédéric Moray, Chronique 90 secondes pour comprendre, 2015, www.rtl.be/info/monde/interna- tional/90-secondes-pour-comprendre-pourquoi-les- normes-europeennes-et-americaines-sont-elles-si- differentes–762530.aspx
4. Où en sommes-nous de notre conscience éco- logique ? Carine Dartiguepeyrou, dans Vraiment durable 2013/2 (n° 4), pp. 15–28.
5. Christian Lequesne, Ce que l’Europe nous a apporté, Esprit (Paris, France : 1932), Editions Esprit, 2014, pp.1–8.
6. Sylvain Brouard, Olivier Costa, Éric Kerrouche, Les lois françaises sont-elles écrites à Bruxelles ? : l’européanisation limitée de l’activité législative en
France, Revue de l’Union européenne, Dalloz, 2012, pp.503–515.
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