Un « Plan Marshall » européen pour le climat (février 2019)
Auteur : Guillaume Lohest, Contrastes février 2019, p 14–15
Le Pacte Finance-Climat est une initiative séduisante lancée par un collectif à l’échelle européenne. Ses deux axes principaux : mettre la création monétaire de la Banque Centrale Européenne (BCE) au service de la lutte contre le dérèglement climatique et contre le chômage, et créer en parallèle un impôt européen sur les bénéfices.
En décembre 2017, Pierre Larrouturou et le climatologue Jean Jouzel lancent le collectif « Pacte Finance-Climat » dans la foulée de l’écriture d’un livre à quatre mains1. Leur idée ? Combiner trois carences politiques évidentes à leurs yeux et les articuler dans une proposition forte de réponse à l’échelle européenne. La première de ces carences est l’urgence absolue d’engager des actions d’envergure pour lutter contre le réchauffement climatique. Les mobilisations de la jeunesse pour cette cause nous le rappellent chaque semaine : le temps de la croyance dans les petits gestes de la responsabilisation individuelle est terminé. « On veut des mesures politiques radicales ! » clament les étudiants, conscients que ces mesures impacteront leur mode de vie.
La seconde carence est le constat de l’inefficacité des politiques monétaires européennes, qui ne servent pas l’économie réelle. « Depuis avril 2015, la BCE a créé près de 2.500 milliards d’euros et les a mis à disposition des banques commerciales. Dans le même temps, les prêts de ces banques au secteur privé (entreprises et ménages augmentaient de moins de 300 milliards. L’essentiel des liquidités alimente la spéculation (…).2 » Enfin, troisième problème, le dumping fiscal à l’intérieur de l’Europe est un contresens, qui agit comme facteur de désintégration et de détricotage de l’emploi et des solidarités.
Comment le Pacte Finance-Climat parvient-il à articuler ces trois enjeux ? Tout simplement en proposant de mettre la création monétaire et la lutte contre le dumping fiscal au service de la lutte contre le réchauffement climatique. Il est possible de dégager des moyens financiers importants via ces leviers d’action. Le tout, en créant des emplois nouveaux. Mais cela implique un changement de cap politique radical, une vision européenne claire, coordonnée, assumée.
« Puisque c’est ‘au nom de l’emploi américain’ que les Etats-Unis ont décidé de se retirer de l’Accord de Paris, il est fondamental que l’Europe fasse la preuve ‘grandeur nature’ qu’il est possible de diviser par 4 ses émissions de gaz à effet de serre tout en créant massivement des emplois. Il est fondamental aussi que l’Europe prenne pleinement sa part pour cofinancer la lutte contre le réchauffement climatique dans les pays du Sud.3 »
Tout de suite, ou jamais
Le Pacte Finance-Climat ressemble bien à une tentative de la dernière chance. Du point de vue unanime des climatologues (99% au moins), pour atteindre l’objectif de rester sous la barre des 1,5°C de réchauffement, le changement de société doit être radical. Or à l’échelle mondiale, jamais les émissions de gaz à effet de serre n’ont été aussi élevées. La fenêtre temporelle pour inverser la tendance est très petite, selon Jean Jouzel, et c’est tout de suite, ou ce sera trop tard. « Il faut bien avoir en tête que le changement climatique, désormais, ne concerne pas les ‘générations futures’, mais bien des jeunes qui sont déjà nés. Pour éviter à ces jeunes un climat dans lequel il leur serait difficile de vivre, j’estime qu’il ne nous reste que trois ans pour inverser la courbe des émissions de gaz à effet de serre. Nous n’avons pas le droit de laisser les bras. Nos générations font preuve d’un grand égoïsme.4 »
Une économie de guerre pour le climat
Star parmi les pancartes dans les manifestations pour le climat, ce slogan désormais bien connu : « Si le climat était une banque, il serait déjà sauvé ». La question de l’argent est primordiale, assène Pierre Larrouturou. Même avec toute la bonne volonté du monde, les ministres en charge de l’écologie dans les différents États sont totalement impuissants s’ils disposent de marges budgétaires minuscules. « Quand Nicolas Hulot démissionne, il explique qu’il voulait 5 milliards d’euros pour un Plan hydrogène et qu’il a eu 200 millions. Il demandait 7 milliards pour l’isolation des bâtiments et il n’a obtenu que des budgets totalement insuffisants… On n’est pas du tout au niveau ! Et le problème est le même dans tous les pays5 », précise Larrouturou.
La philosophie de ce pacte se situe au contraire dans la logique d’un véritable « effort de guerre ». Il s’agit de « faire la guerre au changement climatique » pour atteindre le « facteur 4 », c’est- à-dire diviser par quatre les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2050. Cela rejoint la teneur des propos tenus par Jean-Pascal van Ypersele lors d’une conférence organisée par les Equipes Populaires en février 2018. Ce dont il s’agit, c’est de mobiliser toute la société, de réorienter l’économie dans le sens de la lutte contre le changement climatique. Un effort de reconstruction comparable dans son ampleur au Plan Marshall qui a permis à l’Europe de se relever économiquement de la Seconde Guerre mondiale. Mais concrètement, par où commencer ? Par le fonctionnement des institutions financières, donc.
Création monétaire et impôt européen
Premier levier d’action possible : les mécanismes de création monétaire. Inutile, pour cela, de modifier les statuts de la BCE selon les promoteurs du Pacte Finance-Climat : « Il ‘suffit’ de faire de la Banque Européenne d’Investissement, une Banque du Développement Durable chargée de fournir aux États membres des financements qui seront intégralement utilisés pour la transition énergétique. Un Traité européen donnerait à chaque pays un droit de tirage correspondant à 2% de son PIB : la France aurait chaque année 45 milliards à taux 0%, l’Allemagne près de 65 milliards.6 » Dans le même temps, la création d’une Banque du développement durable serait un moyen de dégonfler la bulle spéculative, qui fait craindre une nouvelle crise financière bien pire encore que celle de 2008. Plusieurs économistes ont déjà tiré la sonnette d’alarme.
Outre une taxe sur les transactions financières et une taxe sur le CO2, l’autre levier financier envisagé dans le Pacte est la création d’un impôt européen sur les bénéfices, sous forme d’une Contribution Climat de 5%. « Cet impôt européen sur les bénéfices permettrait de dégager chaque année plus de 100 milliards d’euros, une somme qui permettrait d’abonder le budget européen pour cofinancer le chantier ‘Facteur 4’ sur le territoire européen, investir massivement dans la recherche (sur le stockage de l’énergie, les transports ou une nouvelle génération d’ordinateurs, plus sobres en électricité…) et augmenter très nettement l’aide aux pays d’Afrique et du pourtour méditerranéen.7 » Cette proposition restitue à la fiscalité sa noble fonction de création de solidarité, aux antipodes de la vision actuelle de l’impôt comme une « charge ».
Un leadership européen à saisir
Celles et ceux qui veulent faire la révolution s’en désoleront peut-être : le pacte proposé n’envisage pas une sortie radicale des institutions politiques et financières actuelles. Il repose néanmoins sur une reprise en mains par le politique de certains leviers fondamentaux de l’économie, ce qui n’est pas rien. Il bénéficie aussi du soutien de nombreux élus locaux et il a le mérite de mettre en résonance deux domaines explosifs souvent pensés indépendamment : la crise écologique et les injustices fiscales, voire même les risques de crise financière. Enfin, le Pacte Finance-Climat se présente comme opportunité de réveiller l’Europe, et il est temps. « Il n’y a qu’à l’échelle européenne que ce combat a un sens. Notre continent doit montrer le chemin. Je suis d’ailleurs convaincu que le pays qui prendra le leadership sur la transition écologique sera la véritable puissance de demain. J’aimerais que ce soit l’Europe, qui manque tant de grands projets.8 ». ■
QUESTIONS DE DÉBAT
• Partagez-vous l’idée qu’il faut agir urgemment et à l’échelle européenne pour éviter un réchauffement climatique catastrophique ?
• Pourquoi ce genre d’idées arrive-t-il si tardivement, selon vous ?
• Comment amener cette idée de l’état de proposition à une mise en pratique ? Comment pour- rions-nous y contribuer ?
1. Jean Jouzel & Pierre Larrouturou, Pour éviter le chaos climatique et financier, Éditions Odile Jacob, décembre 2017.
2. https://www.pacte-climat.eu/fr
3. Idem.
4. Climat : « Il ne nous reste que trois ans pour inverser la courbe », interview de Jean Jouzel par Sébastien Billard dans L’Obs., le 8 octobre 2018.
5. Pierre Larrouturou : « Sauver le climat, la seule guerre qui ne fera aucune victime », interview par Vittorio De Filippis, Libération, 1er janvier 2019.
6. https://www.pacte-climat.eu/fr
7. Idem.
8. Climat : « Il ne nous reste que trois ans pour inverser la courbe », interview de Jean Jouzel par Sébastien Billard dans L’Obs., le 8 octobre 2018.
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