Les droits humains en sursis (Contrastes Septembre-Octobre 2020)
Un 200ème numéro au cœur de l’actualité
(La revue est téléchargeable en bas de page.)
Nous avons choisi de consacrer ce 200e numéro de Contrastes aux droits humains, qui sont de plus en plus malmenés. Plusieurs évolutions ou événements récents laissent en effet craindre une accélération de la dilution du concept fondamental de Droits humains, qui protège les individus et les communautés de l’arbitraire du pouvoir. Nous avons tenté d’en développer quelques-uns dans ce numéro.
Tout d’abord, les pays occidentaux, jusqu’ici considérés comme les fondateurs de ce concept, semblent y accorder de moins en moins d’importance, tous régimes politiques confondus. Les raisons sont multiples : l’influence grandissante de la Chine, qui est le contre-exemple en matière de droits humains et devant qui la plupart des pays s’aplatissent pour des raisons économiques ; la montée des partis populistes, pour qui les droits humains sont la dernière des préoccupations ; et une opinion publique qui déconsidère de plus en plus ce droit universel au profit des droits individuels.
La pandémie de coronavirus est également un moment particulier qui questionne les droits et libertés. Au-delà des ravages sanitaires, le Covid va-t-il aussi tuer les droits humains ? Aujourd’hui, nous sommes confrontés en permanence à des débats virulents (entre amis, dans les médias) à propos de deux droits qui sont tous deux légitimes mais qui ne font pas bon ménage dans ce contexte de crise sanitaire : celui du droit à la santé et celui des droits et libertés individuelles. Les méthodes de surveillance (suivi de contacts, traçage numérique) illustrent cette difficulté à combiner l’obligation qu’ont les Etats à prendre toutes les mesures pour protéger la santé publique de leurs citoyens mais aussi à respecter leur vie privée.
Une autre tragédie qui bafoue bien davantage les droits humains, c’est l’attitude scandaleuse de l’Europe face au phénomène migratoire. Dans l’interview qu’il nous a accordée, Jean Ziegler nous livre son opinion sans concession sur la stratégie de l’UE, incapable de se mettre d’accord lorsqu’il s’agit d’accueillir la détresse humaine et de respecter ses valeurs et ses engagements.
Sur tous les continents et dans notre pays aussi, les personnes qui vivent dans la précarité et la pauvreté sont confrontées quotidiennement à des situations de « non-droits », ceux qui sont pourtant fondamentaux pour vivre de manière digne et conformément aux principes de la Déclaration
universelle des droits de l’Homme (article 25) : le droit à la nationalité, à la santé, au logement, à un revenu décent, à l’alimentation… Force est de constater que les droits sociaux conditionnent l’accès à tous les autres droits et libertés, ce qui constitue une double peine pour celles et ceux qui en sont privés.
La place nous a manqué pour développer encore bien d’autres situations préoccupantes en matière de droits humains, notamment celles des minorités ethniques ou de genre, la recrudescence de la violence policière, la maltraitance dans les lieux d’enfermement, l’accès à l’alimentation et à la protection sociale, etc. Nous y reviendrons sans doute dans nos prochains dossiers, car le risque est réel de ne plus y porter attention, compte tenu des défis socio-économiques et climatiques qui attendent tous les pays du monde dans les mois qui viennent.
Monique Van Dieren
SOMMAIRE
QUI VEUT ENCORE DÉFENDRE LES DROITS HUMAINS ? (P.3–6)
Alors qu’il semblait acquis, dans la seconde moitié du 20e siècle, que le monde entier allait progresser en matière de démocratie et de droits humains, on dirait que l’inverse est en train de se produire. La Chine impose son modèle autoritaire, les populismes fleurissent et la diplomatie occidentale semble avoir abandonné cette préoccupation universelle. Peut-être même l’opinion publique. Où en sommes-nous ?
LE COVID VA-T-IL AUSSI TUER LES DROITS HUMAINS ? (P.7–10)
Alors que le consensus était quasi général sur l’impérieuse nécessité de prendre des mesures qui restreignent nos droits et libertés, de nombreuses voix s’élèvent aujourd’hui pour remettre en question la pertinence de maintenir des restrictions aussi contraignantes pour notre vie privée et sociale. En réalité, ce sont deux droits fondamentaux qui se percutent de plein fouet : celui du droit à la santé et celui des droits et libertés individuelles. Comment maintenir le difficile équilibre ?
NOS VIES SONT-ELLES SOUS SURVEILLANCE RAPPROCHÉE ? (P.11–12)
Avec la nécessité de contrôler la pandémie et assurer le suivi des contacts, le numérique connaît une ascension fulgurante dans nos vies quotidiennes, ce qui provoque de grosses interrogations chez de nombreux citoyens et associations soucieuses de la protection de la vie privée. Le débat fait rage entre ceux qui estiment qu’ils n’ont rien à cacher et ceux qui craignent que, sous prétexte de lutte contre la pandémie, le mode de surveillance à la chinoise s’impose dans nos pays occidentaux. Entre les deux, la nuance s’impose…
UNE EUROPE SOURDE À « TOUTE LA MISÈRE DU MONDE » (P.13–16)
JEAN ZIEGLER est un infatigable défenseur des humains en souffrance. Dans son ouvrage « Lesbos, la honte de l’Europe », il témoigne de sa visite, en 2019, du camp de Moria situé sur cette île grecque de la mer Egée. Ce camp n’a pas été épargné par le Covid-19 et a été ravagé, en septembre dernier, par un terrible incendie. Dans l’interview qu’il nous a accordée, Jean Ziegler nous livre son opinion sans concession sur la stratégie européenne. Car pour lui, Lesbos restera pour longtemps encore le symbole de l’échec d’une Europe incapable de faire l’unanimité lorsqu’il s’agit d’accueillir la détresse humaine.
LES DROITS HUMAINS A DEUX VITESSES (P.17–19)
Les droits humains sont-ils solubles dans la pauvreté ? En d’autres termes, est-on exclus de leur application quand on vit en situation de pauvreté ou de précarité ? Même si elles disposent sur papier des mêmes droits, les personnes qui vivent des situations d’exclusion et des fractures multiples ne peuvent pas les traduire dans la réalité de leur vie.