Tourisme alternatif – LOIN DES SENTIERS BATTUS… (Juin 2021)
Paul Blanjean et Laurence Delperdange, Contrastes juin 2021, p 15 à 17
Aéroports bondés, autoroutes saturées, plages « noires de monde » : ce sont les habituelles images présentées et commentées – en dehors de la période covid, bien entendu – quand les vacances arrivent et que de nombreuses personnes ou familles partent à la recherche du soleil et du dépaysement. Mais les formules alternatives de voyage se développent et il semble que les touristes commencent à bouder les plages bondées.
Une première mise au point essentielle s’impose. Les congés payés représentent une victoire sociale majeure. Loin de nous l’idée d’adopter une position paternaliste et culpabilisante à l’encontre de celles et ceux qui optent pour des vacances traditionnelles afin de prendre du bon temps au soleil, sur les plages… Mais cela n’empêche pas de réfléchir à des modes de tourisme « alternatif ».
Pour définir le concept, nous nous baserons, entre autres, sur un article de Pauline Jaunet[1]. Celle-ci précise d’abord que le tourisme alternatif a vu le jour pour répondre aux « dérives » du tourisme de masse tel qu’il s’est illustré dans la seconde moitié du XXème siècle.
Il se veut une « alternative saine » aux voyages « purement consuméristes ». La Plateforme belge du Voyage équitable [2], par exemple, regroupe 17 membres belges et étrangers engagés dans l’organisation de voyages solidaires. Elle se donne pour mission, outre l’organisation concrète de séjours, d’informer et de sensibiliser. Les opérateurs de ce type de tourisme insistent sur le fait que le tourisme, considéré comme un secteur économique majeur, se développe souvent au détriment des droits économiques, sociaux ou culturels. Dans la majorité des cas, le tourisme traditionnel organisé depuis le « Nord » vers les pays du « Sud », ces derniers ne profitent que de 20% des revenus générés par ces activités. Ces entreprises « classiques » utilisent parfois un langage éthique bien éloigné de leurs pratiques.
Tourisme équitable
Le tourisme équitable doit quant à lui respecter différents critères pour ses séjours dans les pays du nord ou du sud de la planète. Le concept de tourisme équitable défend et développe l’objectif de faire du tourisme un outil non seulement économique mais aussi social et écologique prenant en compte à la fois les écosystèmes et les populations locales.
Le premier élément essentiel est que les populations locales soient toujours au cœur du processus d’accueil comme acteurs, partenaires. L’opérateur choisit des partenaires organisés autour de projets et maximalise l’impact sur l’économie locale tout en respectant les équilibres environnementaux et sociaux.
L’échange et la rencontre sont au cœur de la philosophie de ce type de voyages. Les participants sont sensibilisés aux réalités sociales, économiques et culturelles des populations « visitées » avec une connaissance et un respect des traditions ou habitudes culturelles.
Le prix payé ne doit pas profiter au seul opérateur touristique mais aussi aux populations de façon directe et au travers de fonds de développement. Enfin, les opérateurs qui s’engagent dans ce type de processus garantissent aussi la transparence.
Ces principes et remarques ne s’appliquent pas aux seuls pays du Sud. Chez nous aussi, penser le tourisme autrement, découvrir la beauté des paysages, les richesses culturelles et favoriser le contact avec la population ont tout leur sens et participent à l’initiation de changements, en vue d’une « économie durable ».
La pandémie du covid a largement réduit les longs voyages et les possibilités de tourisme à l’étranger. A la sortie de la pandémie, grande est la tentation de mettre un coup d’accélérateur du côté du tourisme classique, de « rattraper le temps perdu » plutôt que de privilégier des séjours alternatifs et de qualité. Mais cette étrange période peut aussi servir d’accélérateur pour de nouvelles pratiques de voyage. Le changement climatique devrait également nous amener (nous obliger) à revoir notre manière de voyager.
Mais une question centrale est sans doute le risque de dualisation qui réserverait, non seulement pour des raisons culturelles mais surtout financières, les formes alternatives de tourisme à celles et ceux qui disposent de revenus relativement élevés. En conséquence, une réflexion pour dégager et concrétiser des pistes d’un tourisme alternatif accessible à tous est un enjeu majeur non seulement pour la protection de l’environnement mais aussi pour plus de justice sociale.
Pédaler tout confort
Parmi les formules de vacances qui ont le vent en poupe (ce qui est préférable à un vent de face lorsqu’il s’agit de pédaler) : les itinéraires vélo conçus pour répondre aux souhaits de chacun. Nombre de kilomètres par trajet, durée du séjour, région choisie, lieux à visiter le long du trajet font partie d’un programme « clé sur… vélo » proposé par les associations qui organisent ce genre de périple.
C’est ainsi qu’un couple de quinquagénaires a par exemple enfourché sa bicyclette pour faire le tour du Lac de Constance situé sur le territoire de trois pays : Autriche, Allemagne et Suisse.
Côté bagages : la formule permet de voyager léger. Les valises suivent les cyclistes sans que ceux-ci aient à s’en préoccuper. Découvrir, en fin de journée, son bagage à l’accueil du lieu d’hébergement du jour semble relever du miracle. Il reste alors à se rafraîchir avant de prendre un repas du soir dans un petit hôtel tout confort qui aura été réservé avant le départ, cela faisant partie de ce « all inclusive » cycliste itinérant. Un carnet de route reprenant toutes les informations relatives à l’itinéraire de chaque journée et des propositions de lieux à visiter sur votre parcours, vous sera adressé avant le départ.
Votre seule préoccupation : votre vélo et l’enchantement de la découverte des sites bordant les pistes cyclables traversant des champs, des villages, des bosquets…
Une manière de quitter son véhicule énergivore et polluant, durant quelques jours, pour opter pour une mobilité douce. Durant le confinement, la vente de vélos a explosé et on a frôlé la pénurie… Pour qu’à la sortie du confinement, les vélos continuent à prendre l’air, de nombreuses formules existent et les pistes cyclables européennes se multiplient !
www.levelovoyageur.com et www.francevelotourisme.com
Etre comme chez soi, chez toi
Parmi les formules hors des sentiers battus, les échanges de maison ont la cote.
Il est en effet possible, l’avènement d’Internet facilitant la pratique, de séjourner dans de nombreux endroits du monde en entrant dans les pantoufles ou les tongs de ceux qui s’assoiront dans votre divan durant quelque temps. Pour des destinations proches, cet échange peut se pratiquer en week-end tandis que pour des destinations plus lointaines, la durée sera à convenir avec vos « échangistes ».
Partir loin en famille avant que les enfants, devenus grands, quittent la maison. Destination : Québec. Avec dans la poche de chacun : un aller/retour Bruxelles-Montréal acheté longtemps à l’avance au prix le plus avantageux. Coût de la location sur place ? Néant.
Du vécu… Québec-Belgique
Sylvie et François : « Après avoir lu votre annonce sur « échange de maison.com », j’ai décidé de vous écrire un petit mot. Avec nos deux petits garçons de 2 et 3 ans, nous habitons une maison qui compte sept chambres à coucher, deux cuisines complètes, deux salles de bain, un petit jardin ceint de cèdres… Nous vivons à Alma, la plus grande ville du lac Saint-Jean… Nous pourrions fournir pour l’échange une voiture de marque… Nous aimerions échanger maison, voiture, et bataclan-bébé. Nous aimerions que l’échange démarre le 1er juillet et qu’il dure au moins trois ou quatre semaines. Au plaisir de vous lire bientôt. »
Laurence et Pol : « Bonjour, nous avons bien reçu votre mail mais voilà, nous ne sommes plus équipés du matériel bébé étant donné que nos enfants sont âgés de 12, 14 et 17 ans. Ils s’assoient sur de grandes chaises, dorment dans de grands lits et mangent dans de grandes assiettes maintenant ! Dommage, votre région nous plaît beaucoup. »
Sylvie et François : « Ici, vos grands trouveraient toutes les chaises et tous les lits nécessaires à leur confort et nos petits mecs peuvent s’asseoir sur de grandes chaises. Le seul détail pour lequel ils ont besoin d’un siège particulier, c’est pour l’auto. Mais si ce n’est que ça nous retient, on peut très bien les emporter avec nous dans l’avion… Au plaisir de vous lire bientôt. »
Ainsi a débuté un échange de mails (et de photos) qui allaient permettre de mieux connaître nos futurs « hébergés ». Le ton était donné et leur rencontre, à leur arrivée en Belgique, n’allait pas démentir nos premières impressions. Sens de l’humour, décontraction, sens de l’accueil, souplesse dans les décisions à prendre seraient au rendez-vous. Et durant les semaines qui allaient précéder l’échange, en Belgique comme au Québec, l’occasion était trop belle pour réparer enfin ce qui devait l’être depuis si longtemps, acquérir ces chaises de jardin dont nous reportions l’achat, bref, faire le « tour du propriétaire » pour que tout soit au point le jour J… Nos futurs amis seraient accompagnés de quelques étudiants musiciens pour lesquels nous trouverions des chambres d’étudiants. Et au programme du séjour de la petite équipe : café philo et deux concerts de musique québécoise dans des lieux que nous avions réservés pour eux. Et puis aussi, des moments conviviaux avec nos amis « relais » durant notre absence.
A l’aéroport de Montréal, une voiture, identique à celle que nous avions laissée à François et Sylvie, nous attendait. En route donc pour Alma et la maison de la famille où nous allions découvrir un frigo rempli pour notre première soirée et un mot de la famille proche que nous allions bientôt rencontrer. Tout avait été prévu pour que nous passions un séjour riche en rencontres, en découvertes, avec un chez eux, chez nous confortable et accueillant. Et vice versa.
Cette formule qui pourrait effrayer les personnes qui craignent de voir des inconnus s’installer chez eux a pourtant cet avantage : si vous souhaitez que l’on respecte votre maison, respectez celle dans laquelle vous allez vivre quelques semaines. Un échange équitable qui vous plonge dans une manière de vivre différente, avec toutefois les balises bien tracées de vos hôtes pour que chacun se sente vite à l’aise dans un quotidien, dans ce cas, outre Atlantique.
Et en route pour la cueillette des bleuets avec un grand-père québécois affable, pour la rencontre des baleines au Saguenay (en logeant dans un centre « classes vertes » géré par un ami de nos hôtes), pour la découverte du vieux Québec à partir du pied-à-terre d’un couple de leurs amis, absents pour quelques jours, visite dans l’Outaouais chez les parents de l’un des jeunes étudiants séjournant dans notre ville…
Grâce aux réseaux sociaux, nous avons gardé le contact et des années plus tard, nous nous sommes tous retrouvés avec beaucoup de bonheur à Québec.
Cette manière de voyager a l’avantage de permettre la découverte d’un pays, d’une ville en dehors des guides touristiques, en rencontrant des personnes qui vous proposent leurs itinéraires, les points forts de leur région… Faire découvrir à ceux qui vivront chez vous, ce qui vous paraît intéressant, remarquable autour de chez soi passe ici par l’affectif, les émotions, les centres d’intérêt et c’est cela aussi qui fait l’intérêt de la formule : le lien entre soi et chez soi et son environnement proche aussi amical, familial, culturel que « touristique »… et vice versa… Une réelle richesse. Redécouvrir la beauté, la richesse de son milieu de vie et le partager. Pour découvrir celui de l’autre.
Plusieurs sites existent pour organiser ces échanges.
[1] Pauline Jaunet : « Quelles sont les différentes formes de tourisme alternatif » ?, Double Sens, Voyage et Partage, 23/09/2020
[2] www.altervoyages.org
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