ENSEMBLE, DÉCONSTRUISONS LE RACISME STRUCTUREL (Octobre 2021)
Interview réalisée par Françoise Caudron et Laurence Delperdange, Contrastes Octobre 2021, p 13 à 15
Le 21 septembre, le MOC démarrait sa campagne sur le thème du racisme structurel par une journée d’étude.
Chaque organisation du MOC était invitée à présenter les actions menées ou programmées autour de cet enjeu. Ce fut l’occasion de rencontrer Ariane Estenne, présidente du MOC pour lui demander les raisons qui ont motivé ce choix de campagne.
Contrastes : Pourquoi le MOC a-t-il décidé de lancer cette campagne sur le racisme structurel ? Quelles ont été les motivations qui ont conduit à cette journée de lancement : Raciste, malgré moi ?
Ariane Estenne : En 2019, il a été décidé au bureau politique du MOC de devenir membre de la coalition NAPAR, une coalition qui regroupe tous les acteurs de la lutte antiraciste. Nous avons donc organisé une rencontre avec des membres de NAPAR. Suite à cela, il nous a paru évident qu’il ne suffisait pas d’être membre : qu’il fallait qu’on traduise cette décision en actes. D’où l’idée d’une campagne dans tout le mouvement autour de cet enjeu. On a vite réalisé qu’il fallait prévoir, au préalable, un temps de formation en mouvement pour pouvoir s’outiller, appréhender les concepts. On a donc organisé des formations à la fois pour les animateurs, les militants, les secrétaires de fédération du MOC : le public le plus large possible du MOC. Cette journée d’étude du 21 septembre vient clôturer un an de formation et lance la campagne éducation permanente.
Nous avons décidé de mettre ce sujet à l’agenda parce que depuis le dernier Congrès du MOC, en 2011, lors duquel les options fondamentales du mouvement avaient été votées, intégrant les trois systèmes de domination dans notre grille de lecture – féminisme, anticapitalisme et antiracisme – peu de choses avaient été réalisées en matière de lutte antiraciste. Il était donc nécessaire de s’approprier cet enjeu-là. Construire une campagne autour de celui- ci, c’était s’obliger, s’astreindre à traiter cette question qui parfois peut paraître plus éloignée mais à tort, de nos autres préoccupations. L’anticapitalisme est la lutte qui paraît la plus évidente pour un mouvement ouvrier. Il s’agit de lutter à partir de la situation des travailleurs pour une meilleure répartition des richesses. Le féminisme, s’il est loin d’être acquis et pose encore beaucoup de questions dans le mouvement, est porté par Vie Féminine, l’une de nos organisations constitutives qui amène ces enjeux aux bureau journalier et bureau politique du MOC.
Alors que « personne ne nous force », a priori, à travailler concrètement l’antiracisme. Le risque était donc que ce soit simplement un principe qu’on décrète, comme on épinglerait un pin’s à notre chemise mais que cela ne se traduise par aucune action, aucun fait concret, n’étant ni formés ni outillés pour le faire. Pourtant, quand on regarde nos assemblées, on constate que nous sommes encore un mouvement très blanc. Alors qu’aujourd’hui au sein des publics des milieux populaires, il y a de plus en plus de personnes racisées. Mais nous avons du mal à toucher ce public. Il y a donc là un réel enjeu qui doit devenir pour nous une préoccupation permanente.
Sentez-vous une adhésion de toutes les composantes du mouvement pour entrer dans la phase de sensibilisation et s’emparer des analyses pour les traduire en actions concrètes ?
Le MOC vient de se donner une stratégie d’action politique pour les cinq ans à venir et l’antiracisme est l’une de nos transversales. Nous nous sommes fixé cinq priorités politiques qui intègrent l’analyse des trois dominations. Sur le principe, tout le monde s’accorde à dire qu’il faut travailler l’antiracisme et cette campagne est un moyen de le mettre à l’ordre du jour au niveau des organisations constitutives mais surtout et d’abord au niveau des fédérations. Nous sommes au début d’un processus qui implique une déconstruction permanente. Rien n’est figé, il s’agit d’une démarche qui nécessite de se former, de s’approprier les concepts. Cela demande à chacune et chacun de décaler son point de vue.
Il est important de comprendre collectivement qu’il ne suffit pas de se déclarer antiraciste. Il faut aussi changer nos pratiques. Par exemple, cela passe par nos pratiques de recrutement. Nous devons être attentifs à ne pas reproduire des discriminations malgré nous. C’est vrai aussi en ce qui concerne nos prises de positions politiques. Par exemple, il faut comprendre l’importance de garder une priorité sur le travail au niveau international, sur la problématique des migrations. Il faut aussi articuler les pratiques du mouvement autour de cet enjeu, refuser toute lecture qui établirait une hiérarchie entre les êtres humains. Réaffirmer tout le temps ces enjeux est fondamental.
Au sein même du MOC, mis en place avant-guerre dans un contexte colonial et constitué principalement d’hommes blancs à son origine, y aurait-il un travail à mener ?
Le mouvement s’est plutôt constitué autour des luttes syndicalistes portées à l’époque par des hommes blancs, autour desquelles se sont greffées les luttes des femmes, les luttes des jeunes, les luttes internationales… mais qui étaient maintenues à la marge. On peut d’ailleurs faire l’hypothèse que c’est pour cette raison que se sont constitués ensuite un mouvement de femmes (Vie Féminine) et un mouvement de jeunes (JOC). Ils devaient avoir l’impression que leurs préoccupations n’étaient pas assez intégrées aux priorités du MOC.
Aujourd’hui, au sein d’un mouvement comme le MOC, l’enjeu est de pouvoir changer de paradigme et de passer « des préoccupations du centre aux préoccupations de la marge ». On pourrait faire l’hypothèse que, quand on lutte pour les droits des personnes les plus à la marge, on renforce les droits de tous. Ce n’est pas en luttant à partir du centre que l’on touche les personnes à la marge. Par contre, quand on lutte pour les personnes à la marge, on approfondit aussi les droits de ceux qui sont au centre. C’est un changement de point de vue important pour le MOC aujourd’hui.
Si on lutte pour les droits des sans-abri ou les droits des personnes migrantes, on renforce les droits de tous. Si on fait en sorte que les trottoirs soient adaptés aux personnes handicapées ou aux personnes qui poussent des poussettes, on améliore la mobilité de tous. Ça simplifie la vie de tout le monde. Cette image-là, on peut l’utiliser pour la plupart des luttes. C’est un changement de paradigme important qui nous force aujourd’hui à intégrer beaucoup plus les questions de racisme dans nos luttes.
Les personnes racisées sont clairement sous- représentées dans les espaces médiatiques. Un média public tel que la RTBF aurait-il un rôle à jouer pour remédier à cela ? A l’instar de l’initiative « Les grenades » sur les questions de genre, pourrait-on imaginer le même genre d’initiative, un espace médiatique qui donne la parole aux personnes racisées ?
J’élargirais le propos et parlerais de l’accès et de la visibilité des personnes racisées au niveau politique, au niveau associatif, au niveau académique, bref, dans toutes les institutions. Aujourd’hui, tous les lieux d’organisation de pouvoir restent des lieux très blancs. Même si des personnes peuvent bien surporter la parole d’autres personnes, une forme de reproduction de certains privilèges est perpétuée. Parce que les personnes qui ont la parole ou le pouvoir ne connaissent pas les problèmes vécus par les personnes racisées. On appelle ça le privilège blanc. L’association BePax parle du concept de « l’ignorance blanche »1. Les Blancs font toujours comme s’ils ne savaient pas. Il y a un enjeu réel à donner la parole et la visibilité aux personnes racisées, à diversifier tous les lieux de pouvoir. Et ça vaut pour les personnes racisées, mais aussi pour les femmes, pour les personnes porteuses d’un handicap…
Pour aller un peu plus loin sur ce sujet, il y a l’enjeu de pouvoir : celui de nommer des personnes racisées dans des fonctions visibles. Mais aussi d’accompagner collectivement cette transformation. Sinon, ça se retourne contre les personnes elles-mêmes qui sont victimes de racisme violent et qui doivent se retirer pour se protéger, comme ce fut le cas avec Ihsane Haouach et Cécile Djunga2. Il faut légitimer la décision de diversifier. Les associations d’éducation permanente, entre autres, ont un rôle à jouer à ce niveau. Il faut mettre à l’ordre du jour de nos associations ce travail d’évolution culturelle avec notre public.
Que pourrait-on faire pour aider à changer le regard porté sur les personnes racisées ?
En luttant contre le racisme ! C’est-à-dire la réduction d’une personne à une appartenance infériorisante, et pour cela les considérer comme des personnes égales et des interlocutrices à écouter. Ainsi, se rendra-t-on compte qu’elles ont énormément de différences entre elles, que leurs identités sont plurielles, et qu’il n’existe pas « la » femme voilée, mais qu’il y a autant de parcours et de motivations à porter le foulard, qu’à faire tout un ensemble d’autres choix. Rien n’est acquis.
Déboulonner les statues de Léopold II, bonne ou mauvaise idée ?
Cela me semble assez simpliste de présenter la question comme ça : est-ce que la décolonisation se réduit à déboulonner les statues ? Non. Est-ce que le déboulonnement répond à un besoin symbolique de faire entrer la question de la décolonisation dans l’espace public, oui !
Par rapport à la montée de l’extrême droite en Flandre, as-tu l’impression que le racisme est en train de gagner du terrain ?
Ce 16 septembre, Christiane Taubira était l’invitée de Léa Salamé et Nicolas Demorand dans la matinale de France Inter. J’ai envie de vous partager ses propos. On observe aujourd’hui dans les médias l’expression d’une pensée xénophobe qui est largement tolérée. Personne n’arrête la haine de toute une série de personnes super médiatisées. Christiane Taubira fait le lien entre le fait que les jeunes en France sont humiliés et n’ont pas l’espace pour exprimer leur colère et, en même temps, la xénophobie des personnes médiatisées a libre cours dans les médias. Elle parle d’une xénophobie tranquille. Tranquillement, on peut déverser une pensée xénophobe qui percole dans la culture et repousse les limites de ce qui est acceptable. Dans ce contexte, le racisme joue sa part. Cette pensée xénophobe repose sur toutes les discriminations, s’appuie aussi sur le racisme et remet en question l’égalité entre tous les êtres humains.
En septembre 2021, le CIEP a lancé sa campagne d’éducation permanente sur le « racisme structurel » en association avec les organisations constitutives du MOC. Nous voulons dénoncer l’impact de ce système dans la vie quotidienne des personnes racisées, au travers de thématiques spécifiques telles que le travail, la santé, l’enseignement, la police…
Entre septembre et décembre, diverses activités seront programmées en région. Une page Facebook sera également créée pour visibiliser la campagne, relayer les événements et partager des articles ou vidéos.
Des fiches pédagogiques ont été réalisées pour mieux appréhender la complexité de cette problématique.
Plus d’infos sur le site du CIEP : www.ciep.be
1. Etre blanc.he : le confort de l’ignorance. Racisme et identité blanche, Nicolas Rousseau, décembre 2019.
2. Ihsane Haouach a été commissaire du gouvernement auprès de l’Institut pour l’égalité entre les femmes et
les hommes. Elle a démissionné de cette fonction l’été 2021. Il lui était reproché d’entretenir des contacts avec les frères musulmans. Nadia Geerts et Ihsane Haouach, jouer la balle, pas la joueuse (carte blanche de Patrick Charlier, directeur d’Unia, dans Le Vif, 19/08/2021) Cécile Djunga, comédienne, humoriste et animatrice d’émissions télévisées, a été la cible de propos racistes sur les réseaux sociaux. Elle avait intenté un procès pour le cyberharcèlement d’incitation à la haine dont elle était victime. Les plaintes pour propos racistes sont en augmentation ces cinq dernières années.
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