Factures d’énergie – LE DÉSARROI DES CONSOMMATEURS (Février 2022)
Françoise Caudron, Contrastes février 2022, p 6 à 9
Depuis le début de l’année 2022, la peur et le stress commencent à être perceptibles auprès des consommateurs qui s’inquiètent de savoir comment ils pourront continuer à se chauffer, à cuisiner, à s’éclairer à l’avenir.
Dans un contexte de crise sanitaire et d’explosion du prix de l’énergie, les demandes affluent dans les services sociaux concernant le montant et la compréhension des factures, les pratiques déloyales des fournisseurs et la difficulté d’avoir accès aux aides sociales.
Au service Energie Info Wallonie (EIW)1, le téléphone ne cesse de sonner. Les travailleuses témoignent de l’explosion des demandes d’aide et de la complexité croissante des situations vécues par les citoyen.ne.s. face à la flambée des prix de l’énergie.
Des pratiques abusives et déloyales qui se généralisent
Du démarchage abusif
Pourtant dénoncé depuis des années, le démarchage téléphonique ou à domicile existe toujours. Profiter de la naïveté de certains consommateurs, considérer comme conclu un contrat suite à une conversation téléphonique, faire signer un contrat en faisant croire au client qu’il s’agit d’une offre, les pratiques douteuses sont légion. La prudence est toujours de mise.
Des offres parfois fantômes
Les offres proposées sur les sites de comparaison sont parfois alléchantes. Mais lorsque le consommateur veut essayer d’en bénéficier, il n’est pas rare que cette offre soit tout simplement introuvable sur le site du fournisseur concerné. Il s’agit d’appâter le client avant tout, et tous les moyens sont bons.
Des décisions de modification d’acompte imposées
L’acompte mensuel payé est calculé sur base- d’une estimation de consommation d’énergie qui prend en compte la composition du ménage et le type d’équipement du logement. Chacun est libre de demander une révision de cet acompte à la hausse ou à la baisse auprès de son fournisseur. Cet acompte doit être en fait discuté entre les deux parties. En aucun cas, le fournisseur ne peut vous imposer unilatéralement
une adaptation de votre acompte. C’est pourtant ce que certains fournisseurs se sont empressés de faire il y a quelques mois, parfois même auprès de clients qui avaient un contrat à prix fixe et qui n’allaient donc pas devoir faire face à une augmentation de prix pendant la durée de leur contrat.
Des conditions de contrat volatiles
A la date d’échéance d’un contrat, le fournisseur peut décider d’en changer complètement les conditions sans que le client ne s’en rende compte. Et ça marche ! C’est ainsi que le fournisseur Mega a transformé tous ces contrats à prix fixe en des contrats à prix variable. Et tant pis pour celui qui ne l’a pas remarqué. Pire, certains fournisseurs essaient parfois de modifier les conditions en cours de contrat, ce qui est totalement illégal.
Les fournisseurs profitent de l’inertie du consommateur qui « oublie » d’être attentif à la date d’échéance de son contrat et se voit prolonger dans un contrat dont les conditions ont été complètement changées. Cela nous rappelle l’esprit de la libéralisation et de la libre concurrence. Le consommateur se doit d’être proactif et passer son temps à analyser, comparer les offres et penser à changer à temps de fournisseur.
Des factures de régularisation parfois problématiques
La facture de l’énergie repose sur le relevé d’index que le client est censé remettre à son gestionnaire de réseau (GRD) une fois par an.
Chaque mois, nous payons une provision, un acompte sur notre consommation d’énergie. Après 12 mois, suite au relevé d’index, une facture de régularisation détermine le montant à payer pour notre consommation réelle d’énergie.
Plusieurs problèmes sont cependant régulièrement rencontrés. Certains locataires n’ont tout simplement pas accès à leur compteur, ou ne savent pas où il est. L’encodage des index est parfois manquant ou erroné, entraînant des factures de régularisation incorrectes. Il n’est pas rare de voir des factures de régularisation
atteindre des milliers d’euros. Mais faire corriger une facture erronée relève souvent du parcours du combattant ! Et si après deux rappels, le consommateur ne paie pas sa facture, il se voit placer de force un compteur à budget.
Une sanction cachée et illégale
Tous les contrats d’énergie (électricité et gaz) prévoient une redevance fixe à payer annuellement. Cette redevance, dont le montant augmente au fil des années, peut atteindre jusqu’à 80€. Dans un marché libéralisé, le consommateur est censé pouvoir changer facilement de fournisseur sans être sanctionné. C’est le principe même de la concurrence, objectif de la libéralisation du secteur décidée en 2007.
Mais… plusieurs fournisseurs n’hésitent pas à facturer la totalité de la redevance annuelle dès que vous décidez de rompre votre contrat avec eux, même si vous n’êtes restés que 2 ou 3 mois chez eux. La logique et la loi voudraient pourtant que cette redevance soit calculée au prorata des mois que vous avez passés chez votre fournisseur mais les fournisseurs outrepassent allègrement cette logique.
Cette pratique douteuse se généralise. Quasiment tous les fournisseurs l’appliquent aujourd’hui. Pire, cette mesure sera bientôt validée dans une loi en cours d’élaboration sans qu’il y ait une prise de conscience de cet enjeu.
Ces problèmes sont méconnus du grand public et parfois des décideurs politiques. Dans 90% des cas, les gens ont payé sans se rendre compte. La légalité de ces pratiques est contestable mais c’est rentable.
Un gestionnaire de réseau à la fois juge et partie
Il arrive que le client soupçonne une défectuosité de son compteur. Une situation récemment relevée par EIW faisait part d’une consommation de 25.000 kWh pour un client moyen dont l’installation électrique n’aurait pu supporter une telle consommation. Malgré l’avis des électriciens et les réclamations du client, le gestionnaire de réseau reste sourd et refuse de considérer les arguments du client et des électriciens. Pour vérifier un compteur, le gestionnaire de réseau le fait vérifier lui-même par un de ses techniciens et par un étalonnage2 souvent de trop courte durée. L’idéal serait pourtant de placer un compteur test pendant plusieurs semaines.
Dans certaines situations, comme dans celle présentée ci-dessus, le consommateur se retrouve face à un mur. Il n’arrive pas à faire entendre sa voix. La parole du GRD est d’office validée même si rien ne peut l’attester, et la parole du client est souvent considérée soit comme erronée (puisque le client n’y connaît rien !), soit comme mensongère (puisqu’il est bien connu que le client est un fraudeur potentiel !). Le gestionnaire de réseau se fait à la fois juge et partie.
Des plans d’étalement de paiement difficiles à négocier
Un ménage en difficulté financière peut toujours négocier avec son fournisseur un plan d’étalement de paiement. Mais certains fournisseurs rechignent parfois à les accorder et privilégient plutôt l’installation d’un compteur à budget, ce qui permet aux fournisseurs de se débarrasser des risques de non-paiement des factures, mais ce qui reporte aussi la responsabilité de coupure et de privation d’énergie sur les épaules des ménages.
Les compteurs à budget, une manière de fermer les yeux sur la précarité énergétique
Un compteur à budget est parfois placé pour des montants dérisoires de factures impayées. Ces compteurs à budget (qui existent en Wallonie, pas à Bruxelles) sont dénoncés depuis longtemps pour leur caractère antisocial.
Leur seul objectif est d’éviter aux fournisseurs d’énergie la gestion des factures impayées. En Région wallonne, cette décision est prise de manière unilatérale par le fournisseur sans objectivation de la situation du ménage et sans décision de justice. Le fournisseur, un acteur privé du marché se fait seul juge.
Un accès difficile aux mesures sociales exceptionnelles
Pour faire face au problème évident d’explosion des prix, une série de mesures sociales ont été prises, d’autres sont aujourd’hui en cours de discussion. Mais les mesures prises sont loin de pouvoir rassurer et apaiser les craintes des consommateurs. Voici quelques observations faites par le service Energie Info Wallonie (EIW).
Les aides sociales mises en place pour faire face à la crise actuelle, notamment la possibilité d’accéder au statut de client protégé exceptionnel sont complexes et peu lisibles.
De manière générale, pour bénéficier de ces mesures, il est nécessaire de passer par le CPAS, par une mutuelle ou par un service social agréé. Or de nombreux services sociaux ne sont pas informés correctement des mesures ou rajoutent parfois des conditions pour y accéder. Beaucoup de personnes sont déçues car elles se voient refuser les aides.
En 2020, 40.000 ménages avaient droit au statut de client protégé exceptionnel. Or, seulement 1.000 ménages en ont fait la demande. On est donc très loin des abus !
Des effets pervers
Toutes les personnes BIM (bénéficiaire de l’intervention majorée) bénéficient actuellement du tarif social et ce jusque fin juin 2022. Mais étonnamment, cela peut créer un effet pervers.
Ces personnes disposaient parfois de très bons contrats d’énergie à prix fixe et à temps long. Elles passent au tarif social pendant quelques mois, ce qui est positif en soi. Mais elles ne pourront plus récupérer leur contrat avantageux d’avant. Les négociations au sein du secteur avaient pourtant prévu cette situation mais les fournisseurs ont refusé que le contrat du client soit simplement suspendu pendant le
temps où la personne a droit au tarif social. Le contrat est en fait clôturé et chaque consommateur doit ensuite renégocier un nouveau contrat dont les conditions sont évidemment moins avantageuses pour lui. On donne d’un côté (en accordant le tarif social pendant quelques mois) et on reprend de l’autre côté (en l’obligeant à aller vers un nouveau contrat moins avantageux).
Des démarches multiples et épuisantes
Globalement, EIW constate que les démarches exigées et les documents à rassembler pour faire valoir les droits aux aides mises en place sont exagérés. On est face à une « surcouches » de démarches administratives, ce qui décourage certains qui finissent par ne pas faire valoir leurs droits. Rendre l’accès aux aides compliqué suscite du non-recours aux droits de la part de personnes qui auraient pourtant bien besoin d’un coup de pouce !
Cette réalité est d’autant plus prégnante pour les victimes des inondations de l’été dernier. La multiplication des déménagements que vivent certains ne fait que démultiplier les démarches à faire (assurances, changement d’adresse, suivi du courrier…) notamment dans le domaine de l’énergie. De plus, toutes les aides auxquelles les personnes peuvent prétendre sont conditionnelles et soumises à un contrôle. Rien n’est automatique. Les gens sont épuisés. Cinq mois après les inondations, beaucoup n’ont pas encore de système de chauffage en état de fonctionnement.
“On a eu l’impression d’être de mauvais payeurs”
Jean-Marc et Nathalie vivent dans une maison d’une société de logement social, en Hainaut, avec leurs trois enfants. Ils travaillent tous les deux à temps plein.
« Apparemment, il y aurait eu un souci avec le compteur. Il n’y avait pas eu assez de consommation pendant deux ans et puis, la troisième année, on a reçu toute la consommation des trois années précédentes. Nous, on est certains d’avoir envoyé les relevés. D’ailleurs, ils sont quand même censés recevoir un index tous les ans. Or, ils ne nous ont jamais contactés ou signalé que la consommation était trop basse. Quant aux index de gaz, ils les ont reçus ! Mais évidemment, on ne garde jamais la trace des index qu’on envoie. On payait 80 euros de gaz et 11 euros d’électricité.
L’agent de relevé disait que ce n’était pas beaucoup, mais quand on lui donnait les index, ça correspondait. D’autant qu’on n’allait pas se plaindre, parce que l’on ne consommait pas beaucoup ! Et puis, quand en novembre 2018, j’ai encodé les chiffres pour l’année 2017–2018, le site me disait qu’il y avait une erreur dans le relevé. Il devait y avoir un problème quelque part. J’ai vérifié, l’index était correct. Et c’est là que nous avons reçu toute la consommation des trois ans en une fois, plus de 24.000 kWh sur un an ! Résultat : une facture de plus de 7.000 euros.
Ils nous ont alors demandé de régler ce qui, pour eux, était le résultat de relevés précédents incorrects. En décembre, ils ont même envoyé quelqu’un pour vérifier le compteur et il n’a rien trouvé. […] Il aurait fallu payer 840 euros d’acompte d’électricité par mois plus 160 euros d’acompte de gaz. À ce moment-là, on les a contactés en disant qu’on était incapables de payer 840 euros d’électricité par mois, mais qu’on voulait bien payer 150 euros en plus de la facture mensuelle. Ils n’étaient pas d’accord. […] Quand nous avons demandé un plan de paiement sur un an, jusqu’à la facture suivante, ils ont refusé. Ils voulaient un paiement sur 3 mois, 6 mois maximum. […] Ils ont alors rappelé pour annoncer qu’ils avaient décidé de placer un compteur à budget. Nous, on n’en voulait pas. On travaille tous les deux, on n’est pas disponibles pour aller recharger les cartes pour le compteur. […]
On ne nous écoute pas
En faisant une recherche sur internet pour savoir comment annuler la décision de placer un compteur à budget, on est tombés sur le site Énergie Info Wallonie. Directement, quand ils ont appris que mon compagnon était en médiation de dettes, ils nous ont dit qu’on avait le droit d’être clients protégés. […] Il faut savoir aussi que quand l’assistante sociale d’Énergie Info Wallonie a défendu notre dossier, le fournisseur a tout de suite accepté de diminuer l’acompte mensuel à 150 euros à la place de 840 euros. Alors qu’avec nous, ils ne voulaient rien entendre ! Comme consommateurs individuels, on ne nous écoute pas. En fait, on a prouvé que la régularisation que le fournisseur nous imposait portait sur trois ans de consommation et il s’est révélé qu’il ne pouvait pas, légalement, réclamer d’argent pour une consommation de plus de 2 ans en arrière. […]
Ce qu’on retient de l’expérience, c’est que comme consommateurs individuels, on ne nous écoute pas, qu’on a besoin du soutien de quelqu’un ».
Extrait de « F®acture énergétique :
Témoignages de personnes en défaut de paiement »,
Carine Vassart, Fondation Roi Baudouin, 2019
Des conséquences dramatiques pour les ménages
Il ne faut pas oublier que ces décisions ont parfois des conséquences dramatiques pour les ménages. Le client qui se voit facturer 25.000 kWh sur une année se retrouve avec une dette d’environ 10.000€ qu’il est incapable de rembourser et qui va le plonger dans des problèmes de surendettement et de précarité.
L’augmentation actuelle des prix de l’énergie va évidemment mettre de nombreux ménages dans une situation compliquée. Aux difficultés financières, il faut rajouter le stress, la fatigue morale, la surcharge mentale qu’engendre ce genre de situation.
L’accès à l’énergie, bientôt un luxe ?
Rappelons que l’énergie est un droit fondamental qui participe à la dignité humaine. Les plus précarisés d’entre nous sont de nouveau les premières victimes de cette explosion de prix.
Ils sont doublement sanctionnés car vivant souvent dans des logements généralement mal isolés. Quand on ne sait plus payer sa facture, quand on ne sait plus chauffer son logement, on se prive d’un confort de vie minimum. C’est le bien-être qui dégringole, le mal-être qui s’installe et la colère qui commence à gronder…
Une libéralisation à repenser
C’est le principe même de la libéralisation qu’il paraît essentiel de questionner. Cette libéralisation nous a fait la promesse de lendemains heureux où le consommateur serait le maître du marché, faisant jouer la concurrence entre les fournisseurs et pouvant bénéficier de tarifs intéressants. La réalité paraît un tout petit peu plus nuancée que cela. Les situations présentées dans cet article en témoignent.
Dans le marché de l’énergie, le consommateur est confronté à son fournisseur, à son gestionnaire de réseau et parfois à son propriétaire.
Tous ces rapports lui sont défavorables. Le rapport de force est donc totalement injuste. Les fournisseurs imposent leurs conditions, en les cachant parfois, développent des pratiques douteuses, voire illégales et le consommateur se retrouve souvent seul à essayer de faire valoir ses droits. C’est ce qui s’appelle être le dindon de la farce !
Cette réalité nous ramène à l’urgence d’un débat démocratique sur l’intérêt d’une libéralisation et sur une reprise en main par l’Etat de la gestion du secteur de l’énergie, un service de base essentiel à tou.te.s.
1. Énergie Info Wallonie est un service de soutien aux consommateurs wallons d’énergie. https://www.energieinfowallonie.be/fr
2. L’étalonnage est un ensemble de mesures permettant de définir l’erreur d’un compteur d’énergie électrique à une charge donnée.
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