L’ÉNERGIE, UN PROBLÈME PARTI POUR DURER… ET NOTRE COMBAT AUSSI !
Nous sommes aujourd’hui en pleine crise d’approvisionnement en énergie, avec une flambée des prix et des incertitudes sur l’avenir. Malgré ce contexte extrêmement difficile, nous pouvons nous réjouir que les Equipes Populaires aient été depuis longtemps très lucides et très résolues dans ce combat, avec une conscience aiguë des intersections entre les enjeux d’accès à l’énergie et les enjeux climatiques. La crise risque de durer, comme notre combat. Une interview de Christine Steinbach, Présidente du Réseau Wallon pour un Accès Durable à l’Énergie, directrice du CIEP et de la FTU, et ancienne présidente des Equipes Populaires (2011–2017).
Comment les Equipes Populaires en sont-elles venues à se
préoccuper des enjeux liés à l’énergie ?
C’était, je pense, au tout début des années 2000. Je me souviens
de discussions en Comité communautaire. Des militants interpellaient le mouvement sur le développement durable et la consommation, sur la pollution. C’est donc par la porte d’entrée du développement durable que l’énergie est venue sur le tapis. Nous avons réalisé une grande enquête dans le mouvement qui posait des questions sur la consommation. Cinq grands chan tiers ont émergé de ce questionnaire : développement durable, publicité, crédits, énergie et habitudes de consommation.
Ces cinq chantiers ont occupé le mouvement une bonne quinzaine d’années, et certains se poursuivent encore aujourd’hui, en particulier l’énergie. À l’origine, comment les choses se sont-elles présentées ?
C’était d’abord : comment articuler la question du nécessaire accès pour tous avec l’augmentation des gaz à effet de serre et le changement des habitudes ? Cela a débouché notamment sur la campagne « Au chaud, mais pas trop ! ». Ce slogan évoque bien cette tension, cet équilibre à trouver « entre accès et excès ». Un souci est apparu très fortement : comment aborder les choses sans culpabiliser les gens ? Beaucoup de choses se disaient alors dans les médias, mais sans questionner la production ! Nous-mêmes l’avions pris par la porte d’entrée de la consommation, mais une fois que la démarche critique était enclenchée, on s’est posé d’autres questions.
Quels types de questions par exemple ?
Je me souviens d’une animation sur la sensibilité à la chaleur. L’objectif était de déculpabiliser d’emblée, en montrant qu’il y a une grande part de subjectivité dans le rapport au froid et au chaud. Cela permettait de relativiser les messages globaux du genre « baissez votre radiateur ». Nous ne sommes pas tous égaux face à de telles injonctions. Nous avons aussi vite remarqué que les gens sont familiarisés aux économies d’énergie de façon spontanée, pour des raisons financières ou de bon sens. Nous avons donc choisi de partir des trucs et astuces du quotidien que les gens, en fait, connaissaient déjà ! Cela dégageait l’horizon pour s’attaquer aux problèmes de fond. C’était, par exemple, le fait que des logements sociaux étaient mal situés et demandaient de dépenser en
déplacements, ou encore d’insalubrité, de vétusté, de mauvaise
isolation. Un exemple montre bien l’absurdité d’une stratégie centrée sur les trucs et astuces individuels, en particulier pour les locataires. À la fin d’une animation de ce type, quelqu’un a dit : « et quand va-t-on remplacer mes châssis ? ». Tout était dit.
La thématique s’est donc déployée sur le terrain et dans tout
le mouvement…
Oui, c’est par exemple à ce moment que la régionale du Luxembourg a commencé à beaucoup travailler sur l’énergie. On s’apercevait de l’intrication des problèmes, par exemple pour un propriétaire-bailleur qui veut rénover son bien : cela augmente la valeur cadastrale, mais donc par ricochet… le loyer. Nous participions à cette époque à des assemblées du CFDD (Conseil fédéral du développement durable), un séminaire par-ci, une journée d’étude par-là. C’était le moment où l’on se demandait comment faire vivre la question du développement durable dans les médias, par exemple. On s’interrogeait aussi sur l’impact des campagnes de sensibilisation.
Il y a eu aussi tout un travail sur les factures d’énergie avec la construction d’outils pédagogiques. La conclusion à laquelle nous ne pouvions qu’arriver est toujours d’actualité : ce sont les populations les plus pauvres qui habitent dans les passoires énergétiques. Le fond du problème est donc ailleurs que dans les trucs et astuces : il faut des aides.
Comment est né le RWADÉ, le Réseau wallon pour un accès
durable à l’énergie ?
À Bruxelles, où les questions de logement et d’énergie ont toujours été très présentes, la Coordination Gaz-Électricité-Eau était née dès les années 80 au sein du MOC, avant de devenir pluraliste. Cette coordination a fait un travail remar quable. Un militant des EP, Claude Adriaenssens, y participait beaucoup et il s’est construit une fameuse expertise. Plusieurs années avant la libéralisation, un colloque avait été organisé, qui anticipait les questions que celle-ci allait poser en termes de justice sociale. Puis, lors d’une semaine sociale du MOC consacrée à l’énergie en 2003, le président François Martou a eu ces mots : « il faudrait créer des mutuelles de l’énergie comme on a créé des mutuelles de la santé ». Michele Di Nanno, alors président des EP, s’est lancé dans l’aventure avec deux préoccupations en tête : peut-on faire quelque chose de ce genre, et comment se construire une expertise anticipée sur la libéralisation annoncée pour 2007 en Wallonie. Il a donc pris contact avec Inter-environnement, avec les syndicats, mais aussi la Ligue des familles, le CRIOC… Le RWLP et Solidarités Nouvelles étaient aussi autour de la table. À ce moment, la Région wallonne annonçait qu’elle avait trouvé un système qui allait mettre fin aux coupures : les compteurs à budget. Nous sommes donc allés, notamment Paul Trigalet de Solidarités Nouvelles, Michele Di Nanno et moi, au cabinet du ministre Écolo de l’époque qui vantait les mérites de ces compteurs à budget. Nous n’avions pas d’idée préconçue. C’est plus tard, en creusant les choses, que nous avons pris conscience des effets pervers de ce système.
Le RWADÉ est donc né, directement aux prises avec les compteurs à budget…
Le RWADÉ est né un an avant la libéralisation, avec la volonté de constituer un interlocuteur politique qui défende les consommateurs, et en particulier les consommateurs les plus vulnérables. Les compteurs à budget ont été un enjeu de bataille dès le début. Pourquoi ? Car ce système infantilise les consommateurs et nie les situations catastrophiques des gens.
C’est en réalité une garantie de paiement pour les fournisseurs mais ça ne renverse pas du tout le rapport déséquilibré qui existe entre fournisseurs et consommateurs. En outre, cela pose un problème de séparation des pouvoirs : les sanctions ne viennent pas de la justice mais d’acteurs du marché de l’énergie. Ce fut une première grosse bataille.
Qui a connu un aboutissement avec le fameux décret « Juge de paix », adopté en février 2022 et qui entrera en vigueur à l’automne… C’est l’une des belles avancées permises par le combat en faveur de l’accès à l’énergie, non ?
En effet, même si ce décret ne va pas aussi loin que la logique qui prévaut à Bruxelles (pas de coupure sans passage devant la justice de paix), c’est une avancée ! Cela montre bien que l’existence d’organisations de défense des consommateurs d’énergie, comme la CGEE à Bruxelles et le RWADÉ en Wallonie, permet d’obtenir des législations plus protectrices et des services supplémentaires. Notons, parmi les victoires obtenues par le RWADÉ, certaines obligations de service public renforcées pour les fournisseurs, un meilleur accompagnement des ménages et des intermédiaires sociaux grâce à la création d’Energie Info Wallonie. Il faut bien se dire que la libéralisation de l’énergie a été un bouleversement énorme du paysage. Aux EP, on se demandait comment aider les citoyens à digérer ce changement, comment les accompagner et les défendre. Le RWADÉ a été l’un des outils essentiels, en plus du travail propre au mouvement.
Propos recueillis par Guillaume Lohest