UNE ALIMENTATION SAINE, DURABLE ET EQUITABLE POUR TOUS (Juin 2022)
Françoise Caudron, Contrastes juin 2022, p 34 à 36
Si les Equipes Populaires n’ont jamais mené une campagne de sensibilisation vers le grand public directement sur le thème de l’alimentation, cette thématique n’en est pas moins fondamentale pour le mouvement. Cet enjeu est travaillé depuis longtemps au sein de nos groupes et projets.
Comme de nombreux sujets abordés en éducation permanente, c’est souvent l’actualité qui nous pousse à nous saisir d’un enjeu. En 1980 déjà, l’équipe de Falisolle veut réagir à l’installation d’un Delhaize dans sa localité. Elle en vient à se préoccuper du fonctionnement du secteur de la grande distribution et de son impact sur les magasins de proximité. Très vite, le groupe va plus loin et remet en question le modèle économique des grandes surfaces organisées en grands groupes financiers.
En 1993, l’EP Magazine (l’ancêtre de la revue « Contrastes ») est consacré aux « mutations agricoles ». L’avenir de l’agriculture est interrogé. Les risques d’une hyper industrialisation du secteur également. Le magazine présente un modèle alternatif, qui développe une autre manière de produire, de transformer et de commercialiser, notamment via des coopératives ou des ASBL.
Des scandales alimentaires vont successivement éclater à partir de cette période. Rappelez-vous… 1986 et le scandale de la vache folle. On se souvient encore des images de troupeaux entiers abattus. Ou encore, en 1999, le poulet à la dioxine qui va faire la une de l’actualité. Ces scandales illustrent dramatiquement les excès du système agroalimentaire industriel.
Quelle agriculture voulons-nous ?
Cette actualité explique qu’un numéro de Contrastes (nov. 1999) est consacré à la sécurité alimentaire : « Sécurité alimentaire : regarde dans ton assiette ! ». Le problème de fond de l’agriculture s’y dessine : les prix payés à l’agriculteur sont tellement bas suite à la pression du marché mondial que les marges de manœuvre sont minimes pour les exploitations agricoles. L’enjeu est donc bien de savoir où sont les priorités et quel type d’agriculture nous voulons. Il apparaît urgent de restaurer une alimentation de qualité, de redonner confiance aux consommateurs et d’assurer la pérennité de nouvelles filières agroalimentaires.
C’est à ce moment-là que va débuter un travail de proximité au sein des groupes locaux sur la question de l’alimentation à travers la thématique n°1 du mouvement : « Consommation et développement durable ». Une double approche est privilégiée :
• Se préoccuper de l’accès de tous à une alimentation saine
et durable ;
• Dénoncer les excès engendrés par nos modes de production et de consommation et ses effets néfastes sur l’environnement, sur la santé, sur les petits producteurs, sur les populations du Sud, etc.
Dans ce cadre, le Contrastes n°105 (nov-déc. 2004), « Alimentation : produire moins, manger mieux ! » va mettre l’accent sur le lien entre alimentation, santé et environnement. On y voit apparaître la notion « d’empreinte carbone ». En consommant nos aliments, nous consommons surtout du pétrole : le pétrole nécessaire pour produire les engrais, pour les machines, le chauffage des serres, la transformation des produits, leur transport.
Les évolutions des habitudes de consommation sont également analysées : l’augmentation exponentielle de plats préparés, la diminution constante de la part du budget des ménages consacrée à l’alimentation, ou encore le jeu de la grande distribution sur les prix bas pour attirer le client, au détriment soit des producteurs, soit des travailleurs.
La qualité de notre alimentation est aussi passée sous la loupe. Le constat est sans appel : nous mangeons trop sucré, trop salé et trop gras ! Nous mangeons également trop de viande. Or, nourrir le bétail nécessite une consommation importante de céréales qui pourraient nourrir la population des pays producteurs des céréales.
En 2005, le Point de repères sur « l’insécurité alimentaire » veut approfondir la réflexion. Il se centre sur deux revendications : un étiquetage clair sur la composition des produits et la mise en place de campagnes d’information sur le rapport entre alimentation et santé, dans la perspective d’un changement des schémas culturels alimentaires de la population.
Pour une alimentation saine et durable
C’est donc la question de l’accès à l’alimentation saine et durable pour tous qui apparaît comme essentielle et qui va par ailleurs guider une série d’initiatives menées au sein de notre mouvement.
En 2011, l’article « Produire et consommer autrement » du Contrastes (nov-déc. 2011) fait le point sur les initiatives de transition liées à l’agriculture. En effet, sont expérimentés un peu partout à travers la planète des modes de production respectueux de l’environnement (permaculture ou agroforesterie, par exemple), des jardins partagés ou communautaires voient le jour, des groupes d’achats collectifs et des coopératives se développent. Autant de projets qui visent à relocaliser l’agriculture, à rapprocher le consommateur du producteur et qui
répondent à la volonté de se nourrir en produits locaux, sains et à penser le monde de l’après-pétrole.
Toujours dans les mêmes objectifs, un numéro de Question de point de vue « Alimentation : une assiette bien indigeste », paru en 2013, propose un bilan global des impasses du système agro-alimentaire mondial. Il insiste à nouveau sur la nécessaire remise en question de nos habitudes alimentaires, de la financiarisation du système, du déséquilibre Nord-Sud. Il attire l’attention sur le risque de renvoyer à la seule responsabilité individuelle du consommateur.
Des fiches d’animation :
- « Ingrédients et étiquettes… en savoir plus sur ce que
l’on a dans nos assiettes ! ». Travailler les représentations que l’on a de produits alimentaires courants (2009) - « L’alimentation durable à la portée de tous ! ». Pour se rendre compte des impasses de notre système d’alimentation et découvrir des pistes d’action (2014)
- « Un potager collectif pour favoriser l’alimentation durable… » : des conseils méthodologiques pour l’intégrer au cœur d’un processus d’éducation permanente (2014)
Une variété de projets sur l’alimentation
Des animations multiples dans les groupes locaux
Petit à petit, dès le début des années 2000, une multitude de groupes (Luxembourg, Mons – La Louvière, Hautrage, Beaumont, Jumet, Gozée, Momignies, Verviers, Comines), dont les ateliers conso ou les écoles de consommateurs, vont s’intéresser aux pratiques de marketing de la grande distribution, à la complexité de la composition des produits alimentaires, à leur étiquetage, aux risques que présentent les OGM, à l’accessibilité du bio, à la relocalisation des commerces. Ces groupes vont
aussi articuler leurs réflexions à la recherche de solutions pour gérer des budgets souvent étriqués. On va y organiser des ateliers de cuisine, des ateliers de techniques de conservation de légumes (lacto-fermentation), etc.
Des groupes spécifiques comme les groupes « Astuce nature » de Gozée, « Semer le futur » de Thimister, « Changeons demain » de Malmedy ou encore le groupe bruxellois « Quel autre développement ? » vont approfondir les concepts de développement durable et de transition juste et articuler les enjeux sociaux et environnementaux.
Une ouverture vers le grand public
Des moments de débat, notamment via des projections de documentaires, sont organisés dans chaque régionale, avec la volonté de sensibiliser le grand public sur les enjeux de l’alimentation, sur l’avenir de l’agriculture ou encore sur le droit des peuples à la souveraineté alimentaire. C’est le cas, par exemple, du partenariat avec le centre culturel de Hannut puis de Remicourt qui va permettre pendant des années d’interroger l’avenir de l’agriculture dans une région de production intensive comme la Hesbaye, à travers l’organisation de soirées-débats régulières. Ces soirées vont déboucher sur l’organisation d’un marché de producteurs locaux à Remicourt.
La participation à des festivals comme le festival « Alimenterre », « Nourrir Liège » ou encore « Nourrir Bruxelles » sont aussi des occasions de toucher le grand public.
En 2017, deux documentaires vidéo propres aux Equipes Populaires sont également réalisés : « Elles racontent leur agroécologie en Wallonie » et « Elles racontent leur agroécologie. Guédé, Sénégal ». Ces films proposent une réflexion sur l’agriculture au Nord et au Sud, avec la technique des « histoires digitales ».
Une construction de projets alternatifs
Des Groupes d’achats collectifs (GAC) vont voir le jour à Charleroi (groupe « Vivre autrement »), à Hautrage, à Tournai, à Huy et à Waremme dès le début des années 2000. Le GAC de Waremme va ainsi fonctionner pendant plus de 10 ans pour finalement se transformer en coopérative (« Hesbicoop »), en 2017, grâce au travail acharné de bénévoles.
Des expérimentations par le faire soi-même
Des potagers collectifs vont naître dans plusieurs régionales. Le jardin « Verts savoirs », à Trazegnies dans un quartier populaire, est créé en 2005 (il n’existe plus aujourd’hui). Le groupe jardin « labo denrées et moi » est mené en collaboration avec l’espace citoyen de Dampremy depuis 2016. Le « jardin des solidarcités » a été créé par les bénévoles de l’école de la rue de Baudour. Ce projet renforce l’entraide et la solidarité entre les habitants et apporte une nouvelle dynamique dans la cité. Ci tons encore le jardin « Bouillon de culture » à Luingne dans le Hainaut occidental, le jardin d’Aumale à Anderlecht, ou le projet « Permacity » en cours de construction à Verviers.
Un souci permanent de l’accessibilité de tous à une alimentation de qualité
Des « Tables d’autres », des « autres tables », des soupes populaires se sont mises en place ces dernières années à Court-Saint-Etienne, à Charleroi, à Anderlecht, à Philippeville… Ces projets apportent une réponse au souci de l’accès pour tous à une alimentation de qualité. A partir d’invendus récoltés sur les marchés hebdomadaires, des repas sont préparés collectivement et partagés le temps d’un moment d’échange et de débat où chacun est le bienvenu, surtout les plus démunis. Ces projets sont une façon d’éviter le gaspillage alimentaire mais aussi d’initier d’autres manières de consommer tout en favorisant une réelle mixité sociale.
Juin 2022, un nouveau « Points de repères »
« Cultiver notre propre nourriture nous donne notre pouvoir », Karen Washington
Au sein des régionales des Equipes Populaires et un peu partout en Belgique et dans le monde, fleurissent depuis quelques années des jardins communautaires et des potagers collectifs.
Ils sont cultivés directement par les citoyen·ne·s et répondent à des objectifs divers : remettre la convivialité au cœur de l’action, mieux se nourrir, réduire son budget, contribuer à la sauvegarde de l’environnement.
Pour mieux comprendre comment et jusqu’où ces projets posent des jalons vers un système alimentaire qui remette au centre de l’assiette une alimentation saine pour tou.te.s, le numéro de Points de repères : « Les potagers collectifs, comment être mieux dans son assiette planétaire », aborde les dérives d’un système agricole né dans l’après-guerre et synthétise les questions soulevées par celles et ceux, « potagistes » amateurs, qui cultivent ensemble un terrain laissé en friche jusque-là.
C’est ainsi que le document nous invite notamment à la découverte des potagers de Baudour, Mouscron, Bruxelles, Charleroi ou Verviers. Analyses et partage d’expériences d’ici et d’ailleurs apportent des pistes pour (re)visiter les projets, les (re)dynamiser parfois, les repositionner, les multiplier… et leur apporter peut-être le fertilisant pour un changement salutaire. Ce numéro est mis à disposition dans les régionales. Il est également disponible à la vente ou téléchargeable par ici.