Audition à la Commission logement du Parlement bruxellois
Partant du constat que le « Droit à un logement décent, le droit à la protection d’un environnement sain » (Article 23 de la Constitution), n’est pas appliqué ni respecté et que la situation des habitants et habitantes de Bruxelles ne cesse de se dégrader, Action logement Bruxelles1 a lancé à la sortie du confinement une pétition réclamant la baisse des loyers. La pétition ayant récolté plus de 1.000 signatures, ALB a été auditionnée ce jeudi 2 février par la commission logement du Parlement bruxellois. Voici en résumé le contenu de leur intervention.2
LE CONTEXTE BRUXELLOIS
Tout d’abord, quelques chiffres rappellent l’urgence de la situation. À Bruxelles, le nombre de ménages en attente d’un logement social ne cesse d’augmenter : 46.000 à la sortie du confinement, 51.000 aujourd’hui. […] Certains ménages (des plus précarisés) consacrent plus de 70% de leurs revenus au logement. […] Aujourd’hui plus de 5.000 personnes dorment quotidiennement en rue à Bruxelles. Il apparaît évident que le marché immobilier exclut, fragilise, menace la santé physique et mentale des habitant·e·s, sans compter que s’y exerce un racisme et un sexisme décomplexé, puissamment appauvrissant pour les personnes et les ménages concernés. […]
LES IMPENSÉS SOCIAUX-SANITAIRES DES POLITIQUES PUBLIQUES
ALB insiste sur le fait que le mécanisme d’indexation des loyers n’a de sens que dans un marché régulé. En effet, l’essence de l’indexation des loyers est de les faire évoluer en fonction du niveau de vie. Mais quand on s’attarde sur les chiffres, on se rend très vite compte que les loyers augmentent au-delà de l’indexation. En fait, c’est entre les baux que les augmentations de loyer se font sentir, elles sont dès lors complètement déconnectées du niveau de vie. Les bailleurs gagnent sur les deux plans : indexation ET fixation libre du loyer. Ces 10 dernières années, les loyers ont augmenté de minimum 20% au-delà de l’indexation.
À cela s’ajoute la crise énergétique, qui s’est accélérée avec la guerre en Ukraine mais existait bien avant. […] Face à cette situation, de nombreux ménages ont décidé d’arrêter de chauffer leur logement. Décision qui a des conséquences désastreuses sur la santé de ces personnes évidemment, mais aussi sur l’état de leur logement. […]
La solution passe notamment par une amélioration de la performance énergétique du parc locatif privé. Mais […] cela ne peut se faire sans un gel du loyer en contrepartie. Car sinon nous savons sur quelles épaules l’amélioration du bâti va retomber : les locataires, encore et toujours. En effet, dans un marché locatif privé, les logements rénovés valent plus cher que les logements qui ne sont pas rénovés. […]
LES MYTHOLOGIES SUR LESQUELLES SONT FONDÉES LES POLITIQUES PUBLIQUES
Les politiques publiques sont fondées, aujourd’hui et depuis quelques décennies, sur des croyances largement répandues et pourtant tout aussi largement mises à mal par l’expérience. En matière de logement, il en est une qui a la vie dure à Bruxelles, c’est que la production de logements neufs par la promotion immobilière privée ferait baisser les prix. Force est de constater que ça ne marche pas : les prix n’ont jamais été aussi élevés malgré l’orientation des politiques publiques vers cette non-politique : laisser faire le marché. Et de fait, les études le prouvent : laisser le privé construire plus de logements neufs ne fait pas baisser les prix3. […] Ce résultat est parfaitement logique : vous ne verrez pas des promoteurs privés s’engager sur un marché s’ils pensent que les prix vont stagner, ce n’est pas bon pour leurs marges. Donc s’ils sont là, c’est pour que les prix montent. […]
FINANCIARISATION DE LA CONSTRUCTION / PRODUCTION
La région de Bruxelles-Capitale a donc fait le choix de confier la construction de logements à des promoteurs privés : Atenor, Immobel, BPI, Triple Living… […] Des promoteurs privés notamment de cette envergure, n’investissent dans une ville que s’ils estiment que les prix du foncier et des loyers vont augmenter. C’est la possibilité de cette augmentation qui leur permet d’anticiper des plus-values conséquentes et de les annoncer à leurs actionnaires, leurs investisseurs et leurs créanciers. […]
Les promoteurs privés ont besoin que les prix montent, les locataires qui composent 2/3 de la population bruxelloise ont besoin qu’ils baissent. Les promoteurs privés n’offriront donc à aucun moment une réponse aux problèmes de logement énoncés ci-dessus. […]
FINANCIARISATION DE LA PROPRIÉTÉ
[…] Selon le professeur de la KU Leuven Manuel Aalbers, éminent spécialiste de la financiarisation du logement, si la propriété des logements par des fonds d’investissement est encore minoritaire à Bruxelles, tout est prêt pour que cela change. Il existe ainsi des dispositifs légaux favorables à l’achat de logements en grande quantité par des acteurs financiers, les sociétés immobilières réglementées (SIR). […] Ces SIR lèvent des capitaux sur les marchés financiers internationaux, via la bourse de Bruxelles. Leur pouvoir d’achat sur la ville est donc potentiellement immense. […] Est-ce que cela signifie qu’il faut arrêter de produire des logements neufs ? Non, mais il faut les confier à des acteurs qui agissent selon des principes de production et de propriété non spéculatifs. La production publique de logement social, et les formes de propriété collective et coopérative incluant des mécanismes anti spéculatifs sont les meilleures réponses à ces enjeux.
LISTE DES EXIGENCES REPRISES DANS LA PÉTITION
Nous réclamons :
1. Une baisse des loyers immédiate de 25% par rapport à la grille indicative existante des loyers. Soit un retour aux loyers de 2004 augmentés de l’indexation depuis lors. Nous refusons de payer la spéculation immobilière.
[…] Il s’agit d’acter clairement que les loyers ne vont pas baisser d’eux-mêmes par une force magique du marché, ils vont même très probablement continuer à augmenter. Si on ne décide pas d’agir sur la valeur des loyers, nous allons simplement voir se développer une ville trop chère, dans laquelle la majorité des habitant·e·s ira de plus en plus mal. […]
C’est possible, des baisses et des gels des loyers ont déjà eu lieu par le passé. 72 fois pour être précise. Ces lois temporaires sont documentées dans un article d’Isabelle Brandon4.
2. Une renégociation des crédits hypothécaires octroyés aux
propriétaires-occupants
Cette mesure était proposée dans le cadre de la crise-covid. Nous pensons qu’il faut éviter à tout prix que des personnes s’appauvrissent. Pour autant, il ne s’agit pas nécessairement à la collectivité à en payer le prix.
3. Une interdiction formelle de spéculer sur les loyers pendant
au moins cinq ans avec un gel des loyers imposé après la baisse
Faire activement du logement un droit passe par l’affirmation du logement comme une nécessité vitale. A l’inverse, il s’agit d’interdire que le logement ne fasse l’objet de préemption spéculative. Dans un contexte de très faible fiscalisation des rentes immobilières, il s’agit ainsi d’interdire l’achat pour la mise en location de courte durée, comme certaines villes ont décidé de le faire (en Hollande notamment). Ainsi que la pure spéculation, entendue comme l’achat de bâtiments ou de terrains qui seront revendus plus cher plus tard après une sous-occupation et/ou un sous-investissement des propriétaires.
4.Une transparence sur les données du cadastre. Nous ne savons pas à qui appartient Bruxelles. Quelles sont les entreprises immobilières ou fonds d’investissement qui rachètent nos logements et font augmenter les prix ?
Sans aucune idée de l’évolution de la propriété privée, nos décideurs politiques sont condamnés à travailler à l’aveugle. […] De plus, après la disparition du recensement de 2001, sans aucun remplacement exhaustif, nous ne sommes plus capables de produire des statistiques sur les habitations bruxelloises.
5. Une contribution financière des multipropriétaires pour aider les locataires en difficulté, les personnes sans abri et les personnes avec ou sans papiers qui ont perdu leurs revenus à cause de la crise sanitaire. Les fonds publics prévus dans le PUL (plan d’urgence logement) doivent être financés par les riches propriétaires rentiers de la capitale.
De façon générale, il s’agit de penser finement les catégories de propriétaires bailleurs, afin notamment de se doter d’une politique fiscale sur la propriété immobilière capable d’un minimum de justice sociale.
6. Une réquisition immédiate et gratuite des bâtiments vides pour l’hébergement des personnes sans abri / sans chez-soi et une expropriation des propriétaires qui laissent délibérément leur bâtiment à l’abandon, en vue de les transformer en logements sociaux (gérés par les SISP, sociétés immobilières de service public). Ces bâtiments doivent impérativement être investis et rénovés avant d’être occupés. Les personnes sans abri, et sans papiers ne sont pas des sous-catégories d’humain·e·s. […]
7. L’arrêt des expulsions. Des propositions et des idées existent, c’est au gouvernement de les mettre en œuvre
Rappelons que les conséquences financières et psychologiques des expulsions sont graves et ne sont pas « justement » distribuées socialement. […] Comme l’ont démontré récemment des chercheurs […], la cause profonde des expulsions n’est pas les loyers impayés mais les loyers impayables. Par ailleurs, des expulsions illégales (dites aussi « expulsions sauvages ») ont lieu à la pelle. […] Des marchands de sommeil agissent violemment en toute impunité, tandis que la justice de paix expulse à tour de bras des locataires pauvres.
CONCLUSION
Aujourd’hui, des personnes s’enrichissent en spéculant pendant que d’autres meurent en rue, ou vivent dans des conditions indignes. Il n’y aura pas de solution consensuelle sur la question du droit au logement. Il faut aller plus loin, et les moyens pour garantir le droit au logement et lutter contre la spéculation immobilière existent, comme ceux évoqués ci-dessus. […]
Il faut rompre avec cette logique marchande du logement, rompre avec ces choix politiques mortifères, et mettre les habitantes et les habitants au centre des préoccupations et des perspectives politiques. Ce n’est pas le cas aujourd’hui. La pétition, ainsi que l’audition auprès des parlementaires n’étaient pour ALB qu’une étape […] Par la force des choses, la mobilisation continue, il ne peut en être autrement.
Le groupe Action Logement Bruxelles
1. Action Logement Bruxelles (ALB) est un collectif apartisan issu du secteur associatif et militant pour le droit au logement dont les Equipes Populaires de Bruxelles font partie. ALB travaille tous les jours avec des personnes mal logées, non logées, des personnes en risque d’expulsion ou déjà expulsées, des personnes sans abri ou anciens sans-abri. Voir site : www.actionlogementbxl.org
2. Le texte complet de leur intervention est disponible à l’adresse : www.actionlogementbxl.org/2023/02/03/la-petition-au-parlement
3. https://fonciers-en-debat.com/promotion-immobiliere-le-mirage-du-choc-doffre
4. Isabelle Brandon, Droit au Logement et Politique des Loyers, Ebauche d’un droit au logement effectif, La Charte, 1997, pp.165–204.