PAROLES DE MILITANT.E.S : « Il faut détricoter les préjugés »
Ce mois-ci, pour le portrait du militant, nous avons donné la parole à Lydia Buckley, bénévole à la Régionale du Hainaut occidental. Installée depuis 27 ans dans la région de Tournai, elle ne regrette absolument pas son choix. Comme elle ne regrette pas d’avoir, il y a 8 ans, poussé la porte d’une réunion des Equipes Populaires, où elle s’est directement sentie à sa place. Elle nous reçoit, sur la Grand Place de sa ville, pour nous parler de ses combats, ses projets et de sa vision de l’éducation permanente. Avec Lydia, le mot « militante » prend tout son sens, tant elle a dans le cœur et l’âme la motivation de se battre pour un monde plus juste.
Comment et pourquoi avez-vous rejoint les Equipes Populaires ?
A l’époque, j’étais déjà militante à la CSC, où je suivais des cours d’informatique. Je ne sais plus qui m’a conduit vers une réunion des Equipes, mais j’ai tout de suite accroché, surtout aux « Midi-Ciné » ! Cette âme de militante a toujours été en moi, déjà quand je travaillais. J’étais dans le domaine des huissiers de justice, et je ne pouvais pas m’empêcher d’aider et de conseiller les gens. Mais je suis contente d’avoir découvert les Equipes Populaires. L’arrivée de Maryse comme Secrétaire Régionale a marqué un tournant pour moi, je me suis impliquée davantage dans les projets car sa vision des choses correspondait vraiment à mes attentes. Dans « Equipes Populaires » tout est dans le nom : la base du mouvement, ce sont les militants.
Quelle est votre approche personnelle du rôle d’un militant ?
Le rôle principal du militant est de sensibiliser les gens à des sujets importants pour qu’ils puissent exercer leurs droits et leurs devoirs de citoyen. Quand on aborde un sujet, certaines personnes nous disent n’y avoir jamais réfléchi. Or, il n’y a rien de pire que quelqu’un qui parle d’un sujet qu’il ne connait pas et qui va avoir des opinions personnelles biaisées.
Par exemple, à la CSC, j’allais vers les gens pour leur demander s’ils savaient ce que c’était la sécurité sociale. Ils avaient du mal à répondre. Je prenais un ticket de la pharmacie et je leur montrais la part prise en charge par la mutuelle, cela devenait alors très concret pour eux ! Ce sont des exemples comme ceux-là qui parlent aux gens. Il faut ramener le problème à la réalité, à la situation de la personne pour voir avec elle comment on peut arriver à changer les choses. Je me bats pour sensibiliser les gens, leur ouvrir l’esprit. L’éducation permanente, c’est amener les gens à réfléchir.
Pourquoi s’investir précisément aux Equipes Populaires ?
J’aime m’impliquer dans ce mouvement car cela me met en contact avec un public très fragilisé. Les Equipes Populaires permettent de créer du lien entre les gens, mais aussi de vulgariser des questions importantes auprès d’un public fragile. Le groupe dans lequel je m’investis le plus est celui des « Midi-Ciné ».
Nous rassemblons une dizaine de personnes en réinsertion, dans la région de Tournai. La séance commence par la projection de petites vidéos, pas trop longues, et, avec des questions simples, nous lançons un vrai débat. Nous apprenons aux participants à se poser des questions, à débattre. Ce qui m’a frappée, c’est que les participants, très timides au début, ont commencé petit à petit à parler, échanger, converser entre eux. Pour moi, c’est une réussite. Surtout quand ils sortent en disant « on reviendra ! ».
Nous amenons des sujets, mais le public nourrit aussi les échanges en proposant des thématiques qui l’intéresse, ou via des questions qu’il se pose. Lors des débats, quand on remarque qu’un sujet fait réagir les gens, on en prend note et on revient dessus lors d’une autre séance. La préparation d’un midi-ciné, c’est beaucoup de travail : regarder les vidéos à l’avance, chercher les images sur internet, préparer les questions… mais cela vaut la peine.
Vous participez à la formation politique organisée par les Equipes Populaires. Pourquoi était-ce important pour vous ?
Il faut toucher à tout, essayer de comprendre les choses. Certaines personnes disent ne pas aimer la politique, mais la politique est importante : nous sommes tous des citoyens, nous avons tous le droit de vote. C’est pourquoi il faut sensibiliser le public sur ce qu’est la démocratie, l’importance d’exercer son droit de vote, et donner assez d’éléments aux gens pour qu’ils puissent prendre des décisions en tant que citoyens responsables.
Quelles sont, pour vous, les valeurs des Equipes Populaires ?
Le respect de l’autre. La solidarité. L’entraide. Ce sont des valeurs énormes, la base de la citoyenneté. Le contact humain est important et cela se perd. Les gens sont reclus dans leurs angoisses, leurs peurs, leurs problèmes, or il faut aller vers les autres, créer du lien, montrer que nous sommes tous solidaires. Il faut détricoter les préjugés. Nous sommes dans un cycle infernal : le travailleur en veut au chômeur, le chômeur en veut au CPAS, le CPAS en veut à quelqu’un d’autre… alors que le problème est que tous les types de revenus, que ce soit les salaires ou les revenus d’intégration, sont trop bas.
J’aimerais faire passer le message que cela ne sert à rien de se battre l’un contre l’autre mais, qu’ensemble, on est plus forts. Plus il y a du lien, plus il y a d’idées qui naissent. C’est nous qui avons le pouvoir en main. Les gens ont peur, mais si on se mettait tous collectivement pour combattre un problème, vous imaginez l’impact ? Quand j’additionne tous les gens qui me disent « je veux bien mais ça n’a pas de sens » lorsque je participe à une action de sensibilisation, je me dis que ces dizaines de personnes, ensemble, ça ferait du poids.
Quels sont les combats de société qui vous touchent ?
Il y a énormément de sujets qui me révoltent, mais il y en a trois qui me touchent plus particulièrement : le gouffre entre les riches et les pauvres, la fracture numérique et le droit au logement. Mais chaque fois qu’on rencontre de nouvelles personnes, qu’on prend le temps de discuter avec elles, on découvre de nouveaux problèmes. C’est à l’infini ! Il faudrait deux vies pour tous ces combats.
Je pense aussi aux jeunes, qui sont dépassés, paumés. Quand je leur parle de manifester, de se battre pour leur pension, ils me répondent « quelle pension ? ». Ils sont pessimistes pour l’avenir. Je les comprends, moi-même je peux être découragée à certains moments, mais je ne peux pas m’empêcher de me battre. Je suis comme ça, c’est dans ma nature.
Après notre rendez-vous, je pars faire du porte-à-porte avec des tracts dans un quartier où un champ va être bétonnisé et transformé en 115 logements. Pendant la réunion d’information, ils ont mis en avant les jardins collectifs, mais il n’y a rien de collectif là-dedans. Tout le monde possèdera sa petite partie, payante, et il n’y aura aucune interaction entre les gens. C’est une manière d’embellir le projet sur papier pour que cela passe. Lutter contre ce projet de bétonisation me tient à cœur, je vais me battre ! Tournai est la ville qui a bâti le plus ces dernières années.
Parmi toutes les actions auxquelles vous avez participé, l’une d’entre elles vous a-t-elle marqué particulièrement ?
Oui, il s’agit d’une action réalisée notamment en partenariat avec Lire et Ecrire, sur la thématique de la pauvreté. Nous avons arpenté la Grand Place de Tournai à la période de Noël, quand les chalets du marché s’installaient. Par groupe de deux, nous avons abordé les gens pour recueillir leurs témoignages et leurs ressentis sur le problème de la précarité.
J’ai été frappée par le nombre de personnes qui s’emparaient du sujet, les drames qu’ils énonçaient, que ce soit des personnes de la région, des néerlandophones ou même des Français. Il y a tellement de pauvreté, partout, et on n’en parle pas assez. L’action a aussi été suivie d’une journée spéciale intitulée « La pauvreté sous les bombes ». Près du Beffroi de Tournai, des grapheurs transformaient en œuvre les phrases et les mots récoltés sur la pauvreté, tandis que nous distribuions des cartes de sensibilisation. Mais cela remonte à avant la crise du Covid.
Vous avez ressenti assez fort les effets de la crise du Covid ?
Le Covid a eu un impact très négatif. Cela a poussé les gens à se renfermer sur eux-mêmes, à ne plus rechercher le contact humain. Se voir, parler ensemble, c’est important. La fracture numérique s’est aussi creusée. Maintenant, tout doit se faire par Internet ou sur rendez-vous, c’est un frein à la démocratie. Un service public devrait rester un service public. Vous arrivez avec votre question, vous devez être reçu. La spontanéité n’a plus sa place dans le système actuel. De plus, des groupes de citoyens se sont défaits avec le Covid, et redémarrer un groupe, ça prend du temps. Le Covid a fait du tort à tous niveaux : aux personnes âgées, aux jeunes… Nous subissons plusieurs crises successives, et avec ce qu’il se passe actuellement au niveau de l’économie, les gens sont certainement en train de s’endetter, on va au-devant de problèmes importants.
Pour préparer les « Midi-Ciné », Lydia et son groupe utilisent notamment les vidéos de la série « décodage », sur la chaîne Youtube « info ou mytho ». Cette chaîne, initialement réservée aux jeunes, parle aussi aux moins jeunes grâce à la qualité de ses montages, à ses explications simples, tout en étant claires et complètes. Biais cognitifs, théories du complot, éducation aux médias et à l’information, conséquences des fake news dans l’actu, désinformation, démocratie… Autant de sujets traités qui peuvent être très utiles pour lancer une discussion dans un groupe d’Education Permanente.
Au niveau personnel, que vous a amené votre parcours aux EP ?
Vous n’allez pas le croire, mais j’étais quelqu’un de très timide ! Quand je suis arrivée à Tournai, je ne connaissais personne et je ne faisais rien. A force de fréquenter les réunions des Equipes Populaires, de voir comme l’animation se déroulait… je me suis dit que moi aussi je pouvais le faire ! Pourtant ce n’est pas une posture évidente. Il faut gérer la diversité du groupe, laisser aux gens la liberté d’être eux-mêmes tout en maintenant le dialogue au sein des débats. Certaines personnes ont plus difficile à verbaliser les choses, d’autres prennent un peu de trop la parole…
J’ai appris beaucoup en observant Maryse, la Secrétaire Régionale, notamment qu’il n’y avait pas besoin d’utiliser un langage très compliqué, qu’il suffisait de dire simplement les choses. J’ai gagné en confiance en moi, je fais des choses que je n’aurais pas osées avant, et cette audace m’amène à avoir encore plus de confiance, à rencontrer plus de gens, cela fait boule de neige. C’est grâce aux Equipes et à cette confiance que je m’investis dans d’autres projets.
Quels sont vos prochains projets ?
D’un point de vue personnel, je vais m’investir dans un jardin collectif derrière la gare de Tournai. Le MOC y a acheté un terrain, avec le projet d’y construire ses bureaux, mais le budget est trop élevé. Ils s’engagent donc à nous laisser le terrain pour trois ans, et il y a un groupe de voisins très motivés qui veulent y passer du temps. Cela m’intéresse beaucoup car un jardin c’est vraiment l’idéal pour rassembler, communiquer, créer du lien entre les gens.
Au mois de juin, nous avons fait notre première fête des voisins et nous avons invité tout le quartier. Ce genre de projet prend généralement de l’ampleur et donne vie à plein d’autres initiatives citoyennes. Outre la CSC et les Equipes Populaires, je suis dans quatre autres projets et je participe à des groupes de discussions philosophiques. On me sollicite encore pour d’autres actions, mais si je n’ai pas la possibilité de m’investir complètement, je préfère refuser. Mon agenda est rempli, rempli, rempli ! Mais j’aime ça, et quand je reviens de ces différentes activités, mon mari me dit que je rayonne comme un soleil.
Un souhait pour votre avenir aux Equipes Populaires ?
J’aimerais beaucoup pouvoir parler et échanger avec les autres régionales, par exemple pour savoir qui fait aussi des « Midi-Ciné », sous quelle formule… Pour le reste, j’espère rester encore longtemps aux Equipes Populaires, j’aime la façon dont nous fonctionnons à Tournai. L’éducation permanente est un combat de tous les jours et j’ai très envie de continuer à le mener, de m’approcher au plus près des gens.