Une réforme fiscale en 2023, vrai changement pour l’égalité ? (Avril 2023)
Au mois de juin 2023, les organisations membres du Réseau pour la Justice Fiscale organiseront un colloque intitulé « Pas de justice climatique et pas de justice sociale sans justice fiscale ». Pour préparer cette rencontre, quatre lunchs-débats sont proposés lors de ce printemps 2023. Le premier d’entre eux s’est tenu le 17 mars à Namur et portait sur les enjeux de la réforme fiscale promise par le gouvernement de la Vivaldi.
Ces dernières années, la population a eu à faire face à plusieurs crises. La pandémie, les inondations, le déclenchement de la guerre en Ukraine, l’augmentation du coût de la vie… Ces événements ont mis en lumière le manque d’investissements dans les services publics, la fragilité de certaines populations face au défi climatique, le nécessaire besoin de régulation du marché. C’est le constat que fait Daniel Puissant, un des secrétaires du RJF. Pour rencontrer les exigences de justice fiscale et de justice climatique, il souligne qu’il faut une réponse fiscale et une véritable ré- forme qui mette à contribution les capitaux et les revenus du capital par rapport aux revenus professionnels large- ment taxés chez nous. Une véritable réforme en faveur des revenus du travail, c’est ce que le gouvernement avait promis. Christophe Quintard, directeur du service d’études de la FGTB et Nicolas Van Nuffel, responsable plaidoyer au CNCD et président de la coalition climat, ont analysé avec nous, au cours de ce lunch-débat, les premières mesures annoncées par ce gouvernement.
MESURES QUI TOUCHENT L’IMPÔT DES PERSONNES PHYSIQUES (IPP)
La partie de revenus sur laquelle le contribuable ne paie pas d’impôt, c’est la quotité exemptée. Elle est actuellement fixée à 10 000 euros et la réforme propose de passer cette quotité à 14 000 euros environ. Cette mesure, qui réduira de plus de 800 euros les impôts de tout un chacun, est présentée comme positive pour les personnes aux plus bas revenus. Pour Christophe Quintard, c’est une fausse bonne idée : cela bénéficie à tout le monde, donc aussi à ceux qui en ont le moins besoin et qui déclarent des revenus plus importants. Et cela va coûter à l’Etat. Prise isolément, cette mesure n’atteint pas ses objectifs et Christophe Quintard lui préférerait alors un crédit d’impôt ciblé pour les bas et moyens salaires (crédit d’impôt progressif entre 10 000 et 25 000 euros de revenus). Par contre, il souligne qu’une des mesures positives qui est sur la table, c’est le renforcement du werkbonus -ou bonus à l’emploi-, qui est une réduction des cotisations personnelles sur les bas et moyens revenus. Une partie de ces réductions de cotisations donnent aussi droit à une réduction fiscale. Cela permet que les bas et moyens salaires aient plus de salaire net. C’est une bonne chose, bien ciblée.
Une autre mesure concerne l’élargissement de la tranche taxée à 45% et qui touche actuellement les revenus situés entre 25 000 et 46 000 euros. Ce plafond va être augmenté à 60 000 euros. On parle ici de personnes dont le revenu mensuel brut se situe entre 4250 et 5400 euros. Christophe Quintard questionne : Est-ce que ces gens en ont vraiment besoin, sachant que l’Etat et les autorités publiques vont avoir besoin de ressources budgétaires pour investir dans la transition écologique ? Par ailleurs, cette mesure profite aussi à ceux qui touchent plus de 60 000 euros par an puisque la part de leurs revenus située entre 45 000 et 60 000 euros ne sera plus taxée qu’à 45% et non à 50% comme c’est le cas actuellement.
La limite de l’imposition des revenus à 50% pose d’ailleurs la question de la création de tranches d’imposition supérieures. Aujourd’hui, cette question est un tabou idéologique. Nicolas Van Nuffel rappelle que dans l’Amérique des Trente Glorieuses, la tranche la plus élevée était à 95%, on parle là de taxer des milliardaires. Dans le monde franco- phone, c’est Nicolas Sarkozy qui a définitivement imposé cette idée du bouclier fiscal à 50%. C’est une aberration éco- logique et sociale. On doit, dans le cadre d’une réforme fiscale, pouvoir discuter d’un taux d’imposition plus élevé pour les plus hauts revenus.
CALCUL DE LA BASE IMPOSABLE ET RÉMUNÉRATIONS ALTERNATIVES
Un des problèmes de la base imposable, c’est qu’elle ne prend pas en compte toutes les rémunérations alternatives : chèques-repas, écochèques, voitures de société… A court terme, ces produits renforcent le pouvoir d’achat, mais en termes de niveaux de contribution du financement public, c’est une catastrophe reprend Christophe Quintard et malheureusement on n’arrive pas à remettre en cause ces régimes. Par contre, il est proposé de réformer le système des stock-options qui avait été créé à la fin des années 90 pour donner aux travailleurs la possibilité d’achat d’une action de leur entreprise. Actuellement cela entraine de moindres recettes sociales et la proposition sur la table vise à mettre fin à un certain nombre d’abus liés à ce système.
HAUTS REVENUS, PATRIMOINE ET SOCIÉTÉS
Certaines mesures annoncées semblent a priori toucher davantage les revenus du capital. Mais c’est essentiellement sur des mesures qui concernent l’impôt des sociétés (ISOC) que porte la réforme, et non pas directement sur l’impôt des personnes physiques. La première mesure, l’impôt minimum des multinationales, est en fait une obligation européenne. La deuxième mesure, c’est la réforme de la déduction des revenus définitivement taxés qui concerne les dividendes reçus par une entreprise. Et la troisième mesure, c’est le doublement de la taxation des comptes-titres, pour lesquels la taxation passe à 0,3%. Pour Nicolas Van Nuffel, on passe ici de beaucoup beaucoup trop peu à… beaucoup trop peu. L’impact de cette dernière mesure est difficile à évaluer. Une personne qui possède pour plus d’un million d’euros sur un compte-titres sera taxée, une personne qui possède deux comptes-titres avec 500 000 euros chacun ne le sera pas. Et même si les mesures anti-abus existent, l’administration n’a pas les moyens de contrôler si certains revendent, attendent un peu, rachètent dans plusieurs banques… Sur le papier c’est une belle mesure mais, entre la théorie et la pratique, en fiscalité, il y a souvent un grand hiatus, conclut Christophe Quintard.
En termes de rééquilibrage des contributions entre les revenus du travail et les revenus du capital, très peu de résultats sont donc attendus de ces mesures. Le rapport Delanote, du nom du professeur d’université qui a coordonné un groupe d’experts travaillant sur la réforme fiscale, défendait pourtant une plus grande globalisation : taxer les loyers réels, avoir une certaine connaissance des revenus du patrimoine… une série de choses qui montrent qu’il faut de la transparence par rapport aux revenus des citoyens, quelle qu’en soit l’origine.
RÉDUCTION ET HARMONISATION DES TAUX DE TVA
La réforme prévoit de faire passer certains produits, comme les fruits, les légumes, les transports en commun ou les médicaments à 0% de TVA et de fusionner les taux de 6% et 12% à un taux unique de 9%. En ce qui concerne les diminutions de TVA, Christophe Quintard rappelle tout de même que, quand les restaurants ont diminué la TVA de 21% à 12%, la différence n’a malheureusement pas été répercutée sur la note du client. En sera-t-il de même pour les fruits, légumes et médicaments ? Le passage de la TVA de 6 à 0% pour les médicaments a été budgétisé à 300 millions, mais est-ce le consommateur qui va en bénéficier ou le secteur pharmaceutique ? Pour les transports en commun, le système est différent car le prix est régulé par une instance d’Etat.
La fusion des taux, elle, va également toucher le secteur de la rénovation énergétique. Actuellement, lorsqu’un particulier rénove son habitation, c’est un taux de 6% qui est appliqué. Dorénavant, il passera à 9%, ce qui pose question dans une période où on dit aux Belges de rénover leur maison et où nous devons tripler le rythme de rénovation des bâtiments pour répondre aux exigences européennes à l’horizon 2050…
ENJEUX CLIMATIQUES
Les vastes mobilisations de 2018–2019 semblent avoir porté leurs fruits et entrainé de vrais changements aux niveaux belge et européen dans l’ambition climatique et les investissements dans la transition. Cela se marque au niveau européen par le Green Deal et par le plan de relance Next Generation UE. Cela se traduit en Belgique par quelques mesures, certes insuffisantes, mais néanmoins présentes dans cette phase de la réforme fiscale.
On trouve, par exemple, la réduction des subsides aux énergies fossiles. Bien sûr, souligne Nicolas Van Nuffel, il manque une trajectoire. Il ne faudrait pas baisser mais supprimer les énergies fossiles qui coûtent, à cause du climat mais aussi en émission de microparticules (9000 décès par an en Belgique dus à la qualité de l’air). On trouve aussi le renforcement de l’aide à l’investissement durable, c’est-à-dire l’exonération d’impôt pour ces investissements. A nouveau, Nicolas Van Nuffel remarque que si cette mesure sert à donner l’argent à de grosses multinationales, cela semble inadapté. Mieux vaudrait soutenir nos PME, c’est essentiel.
Les mesures concernant la réduction et l’harmonisation des taux de TVA peuvent également être analysées avec le regard des enjeux climatiques. Sur les fruits ou les légumes, que ce soit cultivé par un petit producteur local en agro-écologie ou qu’il s’agisse de tomates pleines de pesticides, cultivées en Andalousie et récoltées par des personnes sans papiers exploitées, il y aura une TVA à 0%. Et il en va de même pour la viande, alors que le Belge moyen consomme trop de viande pour sa santé et pour la planète.
Nicolas Van Nuffel insiste également sur le fait d’une nécessaire augmentation de la progressivité de l’impôt et d’une taxation du patrimoine pour que les plus riches contribuent à hauteur de la pollution qu’ils engendrent. Nos inégalités dans les émissions de CO2 sont plus que proportionnelles à nos inégalités de revenus. C’est-à-dire que la consommation de luxe consomme beaucoup plus de CO2. Par exemple, 50% des émissions liées à l’aviation sont le fait du pourcent le plus riche de la planète. L’absence de TVA sur les billets d’avion ou de taxation du kérosène est une aberration écologique et sociale. Par ailleurs, la taxation des comportements les plus polluants doit différencier un comportement polluant choisi – un jet privé – et un comportement polluant subi – un logement social d’un locataire qui ne peut pas changer lui-même sa chaudière.
CONCLUSION
La justice fiscale est l’idée d’une fiscalité qui permet de re- mettre de l’égalité entre les personnes, mais c’est aussi une fiscalité qui est un outil au service du bien commun et au service d’investissements bénéfiques pour toutes et tous. Pour nos deux intervenants, le combat est aussi et toujours culturel et ils insistent sur l’importance, dans l’utilisation des mots, de parler de contributions fiscales et sociales puisqu’elles contribuent de fait au bien-être fiscal et social.
Cette vaste réforme fiscale n’en est qu’à ses premiers pas et la perspective des élections de l’année prochaine ne peut pas empêcher les élus d’avancer sur la question. Le court terme, reprend Nicolas Van Nuffel, c’est qu’il y ait des décisions sous cette législature. Et le moyen terme, c’est le combat électoral de 2024. Nous devons nous assurer que le débat ne soit pas le confédéralisme mais la justice fiscale, la justice sociale, la justice climatique. Et c’est notre rôle, en tant que société civile, de refaire le coup de 2018–2019 : c’est nous qui avons fixé le programme électoral en descendant dans la rue.