Bail de colocation. Une timide avancée en faveur des locataires (août 2019)
Auteure : Christine Steinbach (FTU), Contrastes août 2019, p8 à 10
Dans le contexte du transfert des règles relatives au bail vers les Régions, il a notamment été débattu de la création d’un régime de bail spécifique pour la colocation. Il s’agissait de lui donner une assise juridique de sorte qu’elle aiderait les colocataires dans la défense de leurs droits.
En matière de logement, la défense des droits de la partie plus faible au contrat de bail n’a pas toujours été la boussole prioritaire des décideurs politiques. Le bail de colocation illustre cette contradiction, de même que le droit accordé aux bailleurs d’exiger une composition de ménage des candidats à la location.
Le bail et le pacte de colocation1
Ce nouveau régime a donc été introduit dans l’Ordonnance bruxelloise comme dans le Décret wallon. Rappelons que, en pratique, la colocation n’a rien de neuf. Le régime spécifique introduit-il des avancées ? La réponse doit être nuancée. Il permet avant tout de rassurer le bailleur en imposant, à celles et ceux qui signent un bail de colocation, une solidarité obligatoire pour le paiement du loyer ou de frais liés à des dégâts locatifs éventuels. De ce fait, le bailleur ne doit poursuivre qu’un seul des colocataires pour exiger son dû, en cas d’arriéré. Celui-ci devra se débrouiller ensuite pour obtenir des autres ce qu’il a déboursé pour eux. Un tel système, déjà pas simple entre colocataires qui se connaissent, s’avère d’autant périlleux quand ce n’est pas le cas. Et dans la pratique, bien souvent, les colocataires vont et viennent. Il est d’ailleurs surprenant de constater qu’un bail « étudiant » a également été créé, sans prévoir d’articulation avec le bail de colocation. Nombre de colocataires sont pourtant des étudiants2.
L’intention initiale de ce nouveau régime global était d’assurer une base juridique à la pratique de la colocation pour soutenir les colocataires dans l’accès à leurs droits sociaux. Afin d’éviter qu’ils soient considérés comme formant un ménage au sens légal du terme, un document spécifique a été créé pour le bail de colocation.
C’est le « pacte de colocation ». Dans ce régime de bail, le pacte est désormais obligatoire. Ce document doit donc être rempli par les signataires en précisant les modalités de vie commune, en particulier le partage des frais et des espaces d’habitation.
En principe, l’introduction de ce nouvel instrument juridique est une bonne chose. Car il est vrai que la Loi opère une distinction en établissant qu’il y a cohabitation entre deux personnes si elles vivent sous le même toit ET si elles règlent en commun les questions ménagères. Mais dans la réalité, c’est plus compliqué. Le pacte de colocation relève de la législation sur le bail, non sur la sécurité sociale, et ce sont les Régions qui sont compétentes, et non le fédéral. Or les différents niveaux de pouvoir ne se parlent pas beaucoup et coopèrent encore moins. Ensuite, la définition légale du ménage demeure assez floue pour que les institutions l’interprètent et elles ne s’en privent pas.
A l’épreuve de la Justice
Et c’est bien là le problème. Car du côté de la jurisprudence, on constate que les tribunaux, lorsqu’ils sont saisis d’une plainte à propos du statut de cohabitant, veillent à pratiquer cette distinction et ont renforcé le prescrit légal3. Pour la Justice, en effet, la manière dont l’es- pace d’habitation est partagé et investi est très importante pour déterminer s’il y a ou non vie commune à la manière d’un ménage. On regardera par exemple si certaines portes se ferment à clé et pas seulement s’il y a une toi- lette commune. Pour la répartition des frais, le juge ne regardera pas seulement les chiffres, il s’intéressera au sens des dépenses communes : se répartir le loyer est moins significatif que contribuer en commun à la nourriture et l’habillement. Le partage des ressources l’est tout autant sinon plus. Dans une analyse de la jurisprudence, notamment un arrêt du Tribunal du travail de Charleroi du 22 mai 2007, Philippe Versailles relève : « Il n’y a pas de ménage commun lorsque les deux cohabitants (une mère et son fils majeur) sont en conflit quasi permanent et ne mettent en commun ni leurs ressources ni leurs charges, la communauté de vie entre eux étant limitée à la nourriture qu’accepte de fournir la mère à son fils, sous les formes qu’elle détermine unilatéralement »4.
Le pacte de colocation est donc un document utile pour préciser tous ces détails. Mais on aura compris que son utilité sera surtout importante dans la perspective d’une action en justice. Ce qui n’a rien d’évident pour une grande partie de la population potentiellement concernée. Et comme la justice analyse la situation précisément jusque dans les petits détails, cela implique que les signataires du pacte soient bien outillés et/ou accompagnés pour le remplir avec toute la subtilité nécessaire. Faute de quoi, il peut s’avérer un piège. Or, pour beaucoup de personnes qui louent à plusieurs un logement sans être un ménage pour autant, le problème commence dès l’inscription dans la commune. Luc Tholomé, de l’administration wallonne du logement (DGO4) attire ainsi l’attention sur la pratique trop courante d’agents communaux qui, chargés du contrôle à domicile, s’empressent bien souvent de noter comme membres d’un ménage toutes les personnes logées à la même adresse.
RENAUD
Renaud a 32 ans. Il habite une maison dans le centre de Bruxelles qu’il co-loue avec trois autres amis. C’est un choix de vie, pour alléger le loyer et vivre des formes de solidarité entre gens qui se connaissent… Jusqu’ici ça marche bien. Mais trois sur quatre des colocataires ont des emplois peu stables, en majorité dans le secteur socioculturel. En cas de chômage, le problème du statut de cohabitant va se poser. Et comme ils sont locataires, ils n’ont pas de prise sur l’état des châssis, alors ils ont installé un petit poêle dans la cuisine-salle à manger et coincé des vieux pulls contre les fenêtres. La colocation devient un mode de vie reconnu. Mais la composition de ménage est un document qui n’a pas encore été adapté à cette situation. Et donc si l’agent de quartier voit quatre noms à la même adresse, il se dit qu’il a affaire à une famille de quatre personnes ! Et c’est dans ce sens qu’il informe la commune en vue de l’inscription domiciliaire.
Composition DE ménage et composition DU ménage
Le décret wallon donne aussi une latitude interpellante au bailleur en l’autorisant à exiger la composition de ménage du locataire. Si l’on comprend bien, qu’il sache combien de personnes occupent le logement (c’est-à-dire quelle est la composition DU ménage), l’exigence du certificat de composition de ménage est potentiellement abusive. Elle peut en effet alimenter des formes de discrimination (envers des couples homosexuels par exemple). Elle peut aussi poser problème pour des personnes en séjour illégal alors qu’elles ont le droit de se loger. Et en premier lieu, elle illustre que le modèle type familial l’emporte encore dans certains esprits. La personne qui se porte candidate à la location n’est pas forcément dans le schéma « couple marié », a fortiori « couple marié à deux salaires ». Elle vient peut-être de se séparer ; de quitter le foyer parental ; elle va peut- être emménager avec un ami, un proche… et changer justement de composition du ménage. Obligation de solidarité entre colocataires et exigence de composition du ménage sont deux des motifs qui ont poussé des organisations tant bruxelloises que wallonnes à introduire un recours contre l’Ordonnance et le décret auprès de la Cour constitutionnelle.
Si, du côté des revenus, il est fondamental d’avancer sur l’individualisation des droits et de relèvement des minima sociaux (la majorité des allocations se situant toujours en dessous du seuil de pauvreté), il est également essentiel d’agir du côté des dépenses à charge des ménages, parmi lesquelles on sait que le logement est souvent la plus lourde. La colocation rencontre du succès pour des raisons économiques dans 40% des cas (cf. étude du Crioc – aujourd’hui AB-REOC – en 2010). Mais faute de régulation des loyers, ceux-ci augmentent dans ce domaine et pèsent donc aussi sur les loyers des autres locations dans le secteur privé.
Dans le même ordre d’idées, il faut œuvrer à réduire l’inégalité flagrante entre les ménages qui peuvent entrer dans le logement social et ceux qui ne le peuvent pas, faute de place, quand bien même ils sont dans les conditions d’y entrer. Cela veut dire augmenter l’offre publique de logements, mais aussi élaborer les conditions nécessaires pour octroyer une allocation-loyer à ceux qui sont en attente d’un logement social.
SOPHIE
Sophie loge au 4e étage du même immeuble, appartement de droite. Ce sont les études qui l’ont amenée à Bruxelles. Maintenant, elle travaille à l’académie de musique. Son compagnon va bientôt la rejoindre. Il a décroché en France un contrat à durée déterminée qui s’achève et il vient d’en trouver un autre pour un an, en Belgique. Tous deux voudraient bien habiter ensemble, ce qui est com- préhensible ! En séparant bien les factures, les choses que chacun possède. Parce que quand Anton n’aura plus son CDD, il sera au chômage et il risque de beau- coup perdre à vouloir vivre en couple !
1. Steinbach Ch., Régionalisation du bail d’habitation, un Décret truffé d’angles morts, Démocratie n°10, octobre 2018 – voir aussi : www.ftu.be
2. Ce manque d’articulation risque de poser problème dans la mesure où le bailleur sera tenté de prendre plutôt des colocataires sortis des études, puisque le bail étudiant est limité à une année.
3. En particulier deux arrêts de la Cour de cassation, les 9 octobre 2017 et 20 janvier 2018.
4. Philippe Versailles, Cohabitation, chronique de la jurisprudence sous la direction de Luc Tholomé, les Echos du Logement n°123, juillet 2018, SPW/ Wallonie.
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