Blouses blanches en lutte (Sept-Oct 2019)
Auteur Paul Blanjean, Contrastes sept.-oct. 2019 « Les hôpitaux sous tension », p.17–19
Depuis quelques mois, le secteur de la santé se mobilise pour garantir la qualité des soins et de meilleures conditions de travail pour le personnel soignant. Les « Mardis des blouses blanches » ont pour objectif de remettre le focus sur une situation qui se dégrade.
CSC
Les nombreuses mobilisations du secteur non marchand auxquelles ont participé les
travailleuses et travailleurs de la santé depuis quelques années ont débouché sur des améliorations considérables des conditions de travail et des salaires du personnel soignant.
Mais, dans ce secteur, comme dans les autres, les avancées sont fragiles. Des dispositions spécifiques ainsi que des modifications légales ont entrainé des régressions multiples. Un exemple assez éclairant est sans nul doute la mesure de « raccourcissement » de la durée d’hospitalisation prise par Maggie De Block, ministre de la Santé. En effet, comme l’explique Yves Hellendorff1, le turn-over des patients augmente la charge de travail dans tous les secteurs des hôpitaux depuis les services administratifs jusqu’aux actes médicaux en passant par le nettoyage des chambres.
De plus, le sous-financement des hôpitaux entraîne des risques de rationalisation voire
de délocalisation de services. Cela passe par exemple par le rassemblement des services
techniques ou l’externalisation de la préparation des repas. Et, quand un service n’est plus intégré à l’hôpital, le personnel qui y travaille n’est plus considéré comme du personnel hospitalier et ne bénéficie plus du même statut. Raccourcir la durée de l’hospitalisation n’est pas, en soi, une mauvaise chose mais nécessite de le faire dans de bonnes conditions. Cela signifie, entre autres, qu’il faut prendre en considération les conditions d’habitat et de vie et permettre aussi qu’il y ait un passage fréquent du personnel médical et des interventions pluridisciplinaires coordonnées. Cela demande de pouvoir intégrer les inégalités sociales et culturelles dans ce type de dispositif. Or, les projets politiques sont linéaires et n’intègrent pas les autres aspects. En effet, les réformes voulues sont essentiellement de nature budgétaire. La progression annuelle du budget dédié au secteur est de 1% alors que, principalement à cause du vieillissement, les praticiens du secteur estiment, tout comme le Bureau du Plan, qu’elle devrait être d’au moins 2,5%. Cela risque d’amener à moyen terme une catastrophe sanitaire comportant un risque accru de sélectivité des soins rentables en faveur de patients solvables, installant une logique de nature commerciale se substituant à la solidarité et à la protection sociale.
Mobilisations d’hier…
La mobilisation du secteur de la santé n’est pas nouvelle. Si elle a été aussi spécifique et sectorielle, elle s’est aussi souvent inscrite dans le combat global du secteur non marchand. Ces luttes ont permis d’obtenir des avancées et améliorations tant des conditions de travail que du volume de l’emploi, améliorant ainsi la couverture des besoins de la population. Mais les politiques de régression sociale imposée par le gouvernement Michel, qui s’ajoutent à des mesures antérieures, ont engendré des reculs sévères.
L’exemple des fins de carrière est éclairant. Les combats avaient abouti avec l’instauration de mesures de dispenses de prestation en fin de carrière et du « plan tandem ». L’image cycliste est parlante pour cette disposition. Il s’agit, en effet, de partager un emploi entre un travailleur qui arrive en fin de carrière et un nouveau. Le premier pouvait réduire dès 50 ans son temps de travail et recevait pour le mi-temps cédé un paiement du fonds social du secteur et un complément de l’ONEm. Aujourd’hui, les mesures prises par le gouvernement sortant ont entrainé d’importants reculs qui, par exemple, rendent quasi impossible les RCC2 et repoussent à 60 ans la possibilité de disposer d’un plan tandem. C’est dans ce cadre de régression sociale que se développent les nouvelles mobilisations.
… et d’aujourd’hui
Le gouvernement fédéral étant l’interlocuteur principal pour de nombreux pans du secteur de la santé, cela peut paraître étrange qu’une mobilisation s’effectue dans une période dite d’affaires courantes alors qu’il n’y pas de fumée blanche à l’horizon quant à la mise en place d’un nouvel exécutif. Mais le mouvement de contestation veut que les questions qu’il porte soient à l’agenda. Il s’exprime aussi au sein des institutions en cherchant à allier toutes les catégories professionnelles en utilisant une diversité
d’expressions qui convergent au sein du mouvement « Les Mardis des blouses blanches ». Ces actions ont parfois pris des formes très originales, comme en témoigne celle des moutons amenés devant l’hôpital Erasme à Bruxelles pour signifier le refus de se faire tondre.
Parmi les actions, nous pouvons aussi relever la lettre aux parlementaires leur proposant de venir, durant une semaine, examiner le quotidien des travailleurs du secteur de la santé. Les différentes professions expriment le sentiment de ne pas être entendues dans leurs réalités et leurs souffrances et décrivent de façon précise les manquements d’un travail qui s’effectue de plus en plus souvent au pas de course, au détriment de la qualité des soins. Ils insistent aussi sur la nécessité de revaloriser l’attraction des métiers de la santé et tout spécialement pour les infirmier.ère.s et les aides-soignant.e.s. Cette revalorisation n’est possible que si elle s’inscrit dans un accroissement budgétaire et un changement du regard sur les professions en considérant que tous les métiers de la santé sont importants et complémentaires.
LES REVENDICATIONS DU COLLECTIF SANTÉ EN LUTTE
1. Un refinancement des soins de santé avec une transparence sur l’utilisation du budget.
2. L’engagement de plus de personnel pour assurer des soins de qualité à toutes et tous.
3. Une revalorisation salariale de tous les métiers de la santé.
4. Un arrêt de la précarité des emplois.
5. Une amélioration de nos conditions de travail : sortir de la logique d’actes à la chaine et revenir à une prise en charge humaine des patient·e·s dans leur globalité.
6. Une véritable politique d’attractivité pour les métiers de la santé.
7. Être associé, patient et personnel de la santé, à toutes les grandes décisions concernant le secteur.
8. Une réduction collective du temps de travail sans perte de salaire et avec embauches compensatoires.
9. Une révision des normes d’encadrement.
10. Une véritable politique de bien-être au travail et un arrêt du management inhumain et autoritaire qui traite le personnel et les patient·e·s comme des chiffres et des statistiques.
11. Des mesures pour lutter contre les différents types de harcèlement et de discrimination.
12. Une diminution de l’âge de la pension.
13. Un accès à des soins de santé dignes et humains pour toutes et tous, indépendamment de nos origines sociales et/ou culturelles.
14. Un développement de la prise en charge et des soins de première ligne via le système des maisons médicales.
15. Un arrêt de l’hyperflexibilité forcée.
16. Une prise en considération du temps de change.
17. Une véritable protection de la maternité.
18. Un arrêt de la dynamique de marchandisation des soins.
19. Un arrêt du recours au privé via l’externalisation des services.
20. Une amélioration de l’accès aux études de soignant·e·s, ainsi qu’un arrêt de l’utilisation des stagiaires comme main d’œuvre gratuite pour les institutions.
La pression s’intensifie
Dans la foulée des « Mardis des blouses blanches » s’est tenue le 13 septembre dernier une première grande assemblée du collectif Santé en lutte3. Une centaine de personnes y ont participé afin de définir leurs revendications, établir un plan d’action et détailler leur organisation interne. Des participants, infirmières, médecins, patients, personnel ouvrier ont témoigné de leurs difficultés. Le constat : nous sommes face à un système qui ne remplit plus sa mission : celle d’offrir des soins de qualité pour toutes et pour tous. Un système qui ne traite plus convenablement ses travailleur·euse·s, les épuise, les pousse à bout, les empêche de faire correctement et humainement leur métier.
Une vingtaine de revendications ont été adoptées. Celles-ci sont articulées autour de
trois grandes questions : pallier le manque de moyens, améliorer le statut et les conditions de travail et plus globalement repenser le secteur (voir encadré).
Pallier le manque de moyens s’entend à la fois au regard des aspects financiers mais aussi du personnel qui doit être en suffisance pour assurer la qualité des soins et prévenir l’augmentation croissante des patients. L’amélioration du statut et des conditions de travail est aussi, bien entendu, au cœur des revendications du front commun syndical du secteur. Cela passe par l’arrêt d’un management inhumain et autoritaire, la sortie de la logique de rentabilité et des améliorations concrètes des conditions de travail intégrant une politique de bien-être pour tout le personnel, une réduction collective du temps de travail ou encore une diminution de l’âge de la pension.
Repenser le secteur ne peut se faire qu’en associant l’ensemble des catégories concernées mais aussi les patients. Cela passe par un arrêt de la logique de marchandisation des soins et de l’externalisation des services. Si une série de revendications sont adressées au pouvoir politique, on voit que les directions des hôpitaux sont aussi concernées par une partie d’entre elles.
Ces revendications s’ajoutent à celles du Front Commun Syndical ou encore à celles de la Plateforme Santé et Solidarité qui défend 99 propositions à mettre en œuvre.4 Cette plateforme insiste, en premier lieu, pour une approche globale de la santé qui ne soit pas considérée simplement comme une absence de maladie car elle est influencée par des déterminants de nature économique, sociale et culturelle (logement, revenus, éducation, genre…). Elle estime que 90% des problèmes de santé peuvent être résolus en première ligne mais que, pour plus d’efficacité et d’efficience, il faut une approche coordonnée des soins de première ligne, des hôpitaux et de la médecine spécialisée. Une politique de santé au service des patients n’est possible qu’en améliorant les conditions de travail du personnel (normes d’encadrement, horaires…) en concertation avec les premiers concernés et les syndicats. La formation des travailleurs du secteur doit intégrer l’interdisciplinarité et la multidisciplinarité. Tout cela nécessite un financement suffisant.
La plateforme intègre également la dimension européenne pour rappeler les dangers d’une logique accrue de concurrence et de services privés commerciaux et plaide, au contraire, pour l’assurance d’une accessibilité pour tous. Les mutualités portent aussi une série de revendications dans l’intérêt des patients et d’une médecine de qualité. C’est ainsi que le mémorandum que la Mutualité Chrétienne (MC) a porté avant les élections de 2019 5 intégrait des revendications pour des soins de santé durables, qualitatifs, accessibles et humains, basés sur un financement suffisant, stable et solidaire. Pour la (MC), le modèle de financement actuel de l’assurance Soins de Santé fédéral est insuffisant et instable. Pour l’augmenter, la MC soutient un système aussi solidaire que possible, lié aux revenus et basé sur un mix de contributions dans le cadre d’une assurance sociale et de subventions provenant d’une fiscalité équitable et solidaire.
Et demain ?
Outre les revendications et les actions, nous pouvons retenir l’esprit et la dynamique des mouvements en cours. Il s’agit d’apporter des améliorations à l’ensemble du secteur, pour toutes les catégories professionnelles et d’accroître la qualité des soins dispensés aux patients. Les actions interpellent les structures hospitalières mais aussi le monde politique en lui rappelant que les questions portées doivent figurer à l’agenda et qu’elles contribuent à une réelle amélioration du bien-être de la population.
1. Yves Hellendorff est Secrétaire national de la CNE pour le Secteur non marchand. Un merci tout particulier pour toutes les informations qu’il nous a communiquées en vue de la rédaction de cet article.
2. RCC : Régime de Chômage avec Complément d’entreprise remplaçant le système des prépensions.
3. https://pro.guidesocial.be/articles/actualites/sante-en-lutte-le-personnel-medical-livre-ses-revendications.html
4. Pour plus de détails voir Marie-Agnès GILOT : « Soins de santé – Une alternative est réellement possible » in Le Droit de l’Employé, CNE, Mai 2019, pp 12–13.
5. Voir « Pour une approche globale de la santé ! » Mémorandum MC dans le cadre des élections de 2019.
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