Budget participatif. Une intrusion dans le nerf de la politique (Août 2018)
Budget participatif. Une intrusion dans le nerf de la politique
Auteur : Guillaume Lohest, Contrastes août 2018, p7 à 9
Il semblerait que ce soit une mode depuis quelques années.
De nombreuses communes, en Belgique et ailleurs, se vantent de proposer des budgets participatifs. L’idée a tout pour plaire. Creusons un peu. Jusqu’où cela peut-il aller ? Quels en sont les bénéfices pour la démocratie ? Entretien avec Patrick Bodart, de l’asbl l’association Periferia.
Durant la préparation de cet article, les suggestions se sont accumulées. Je pouvais aller voir du côté de Verviers, dans tel quartier de Bruxelles, et aussi à Chimay, à Gand, que sais- je encore. Les budgets participatifs auraient le vent en poupe un peu partout. Un véritable et sympathique petit tour de Belgique s’offrait à moi. Mais avant cela, il était nécessaire de comprendre de quoi on parlait, au juste. Un petit voyage dans le temps s’imposait.
C’est en 1989, au sortir de la dictature brésilienne (1964–1985), que la première expérimentation d’envergure d’un budget participatif a débuté à Porto Alegre, dans le contexte d’une reconstruction démocratique. Les responsables de cette ville brésilienne le définissent comme « un processus de démocratie directe, volontaire et universel, par lequel la population peut discuter et définir le budget et les politiques publiques. » Mais… est-ce bien de cela qu’il est question dans nos communes de Belgique ? J’avais un léger doute, je vous le dis franchement. Pour l’éclaircir, et afin d’offrir au lecteur une présentation plus actuelle et plus ancrée dans l’actualité, je me suis adressé à Patrick Bodart, de l’association Periferia qui a développé une expertise sur le sujet depuis quelques années.
Des budgets participatifs light, mais…
Alors, les budgets participatifs fleurissent-ils vraiment en Belgique ? « Oui, il y a effectivement des initiatives, répond Patrick Bodart. Mais il s’agit davantage d’enveloppes citoyennes. Un montant du budget communal est isolé sans en définir les affectations, et ce montant est laissé à la gestion des citoyens pour des petits projets. Pour nous, il ne s’agit pas de budget participatif au sens premier du terme, car ce sont des projets que les citoyens vont mettre en œuvre eux- mêmes avec un coup de pouce financier de la commune. Dans l’idéal, ce devrait être l’inverse : les citoyens qui participent à la décision de ce que vont faire les services communaux. » Pour autant, chez Periferia, cela ne signifie pas qu’il faut balayer ces situations-là d’un revers de la main. Mais sur base de quels critères juger de l’intérêt d’une démarche ? Patrick Bodart insiste sur deux éléments. « On évalue bien sûr selon les situations, mais il y a beaucoup d’ini- tiatives qui méritent d’être encouragées. Ce qui est essentiel, c’est que ce ne soit pas simplement un appel à projet avec un jury extérieur qui décide, mais qu’il y ait au préalable un débat avec les citoyens sur les priorités. Pourquoi investir plutôt sur telle chose que sur telle autre ? Cela nous semble un exercice démocratique très pertinent. On utilise beaucoup le mot “priorité” parce qu’il est au fondement du geste politique. Comme le disait un échevin, les choix budgétaires sont le reflet des choix politiques. Un autre élément qui nous paraît intéressant, et qui peut être atteint même avec un système d’enveloppes de quartiers, c’est quand la démarche amène à faire un peu d’analyse des finances locales. Si un montant est mis sur la table à leur disposi- tion, c’est l’occasion de comprendre comment est réparti l’argent dans la commune. ». Cependant, du côté des élus communaux, l’objectif est sans doute différent. Ce peut être une manière de s’attirer la sympathie des habitants, ou de fo- caliser leur attention sur un enjeu financier somme toute moins important que d’autres en matière de gestion communale.
Olne : un joli cas d’école
Mais n’y a-t-il pas un exemple un peu plus ambitieux que l’on pourrait mettre en avant ? Mon interlocuteur réagit spontanément : « Si. La petite commune de Olne a une véritable intention de mettre en place un budget participatif. Un montant a été isolé, avec un vrai questionnement sur ce qu’il fallait en faire. Les débats entre élus, services et citoyens ont abouti au constat que la commune investissait très peu dans l’agriculture locale, alors que 70% de son territoire y est consacré. Il y a donc vraiment eu ce travail de construction de priorités. Plusieurs ateliers ont été animés pour penser et construire des actions sur ces enjeux. Le montant isolé n’a pas été éparpillé sur toute une série de petits projets, mais a été concentré dans une direction prioritaire. C’est à cette construction de priori- tés que les citoyens doivent être associés, car c’est évidemment plus intéressant que de répartir des enveloppes à des petits projets citoyens en parallèle, qui n’ont pas de liens les uns avec les autres. Par ailleurs, l’intention de l’actuelle majorité à Olne est de mettre le futur budget communal en discussion avec les citoyens.
QUESTIONS DE DÉBAT
• Connaît-on le budget global de sa commune, sa situation financière, les postes les plus énergivores ?
• Consacrer une part du budget communal à une « enveloppe citoyenne », est-ce envisageable dans notre commune ?
• Si oui, quels types de projets estimons-nous prioritaires à défendre ?
Dans quels domaines ?
Une vraie tendance mondiale ?
Au-delà des frontières du pays, on compte de nombreuses expériences également. Une étude transnationale1 publiée en 2014 en dénombrait entre 1200 et 2800, selon les diverses classifications possibles. Qu’en est-il en Europe ? « C’est clair qu’il y a une mode assez forte autour des budgets participatifs, souligne Patrick Bodart, mais elle reste assez superficielle et souvent li- mitée à des actions de communication. On est rarement dans des processus qui vont au bout du concept. Des grandes villes françaises comme Rennes, Paris, Grenoble, ont lancé des budgets participatifs, Bruxelles-Ville également… C’est intéressant bien sûr, mais on est quand même plutôt dans du développement de projets citoyens et pas dans des budgets réellement participatifs. Ne nions pas l’effet pédagogique de ces projets, mais de là à parler d’une tendance forte, il y a un pas que je ne franchirais pas. Dans le contexte européen, à ma connaissance, on n’a pas de ville qui soit porteuse d’un budget participatif qui aille très loin. Il y a eu de nombreuses initiatives il y a quelques années, surtout au Portugal, en Espagne, en Italie. En Allemagne, on a eu des expériences surprenantes, qui consistaient à associer les citoyens aux réflexions budgétaires mais dans une logique d’austérité : il s’agissait de décider où allaient être effectuées les coupes nécessaires. C’est totalement inversé. Mais cela reste plus démocratique que de le faire de façon autoritaire. »
C’est donc sur d’autres continents qu’il faudrait voyager pour trouver des projets qui répondent en profondeur à l’idée fondatrice des budgets participatifs. “Il y a des expériences assez audacieuses dans certains pays d’Afrique, et même en Chine.” En Tunisie, par exemple, plus de quinze municipalités ont fait le saut de s’engager dans une véritable démarche de budget participatif au sens plein.
Véritable nerf de la politique
Au fond, ce tour d’horizon des différentes approches de budgets participatifs, plus ou moins complètes, plus ou moins co-construites avec les citoyens, mettent surtout en évidence que les budgets publics sont très peu lisibles, difficilement accessibles pour les gens. Chez Periferia, on en fait un enjeu central de démocratie. “Avec tous les scandales récents, il me semble que la question de la transparence des budgets vaudrait la peine d’être considérée comme un véritable enjeu de culture citoyenne et politique. Dans un courrier que nous avions adressé aux responsables politiques au moment de la com- mission d’enquête Publifin, nous insistions à cet égard sur trois axes d’action. D’abord, la nécessité d’une sorte d’alphabétisation budgétaire de la population. Comprendre les finances locales est un enjeu important. Un deuxième axe est celui de la possibilité de mettre en place des commissions citoyennes de transparence, comme cela s’est fait au Honduras. Le troisième axe est alors celui du développement de budgets pleinement participatifs.”
Les budgets participatifs sont donc des outils, des modèles qui peuvent être déclinés à plusieurs niveaux, et non des objectifs en soi.
« Bien sûr, enchaîne Patrick Bodart, ce sont des outils au service d’une démocratie plus participative. Et cela va dans les deux sens. Cela per- met aussi de comprendre la difficulté de gérer un budget. Il ne s’agit pas du tout de dire que tout ce que font les élus est mauvais et que tout ce que font les citoyens est magnifique. Pas du tout… En gros, l’objectif c’est de parvenir à de la co-construction. Mais il faut reconnaître que le budget n’est pas un sujet d’intérêt immédiat pour les citoyens. C’est trop compliqué. Mais justement. Il faut insister sur la question de l’alphabétisation budgétaire. Comment arriver à sortir de cette peur du budget pour en refaire un outil accessible ? Comment mieux comprendre, largement, comment fonctionne un budget ? Com- ment susciter l’intérêt des citoyens ? Le budget est absolument fondamental, tout comme dans un ménage ! alors, comment se l’approprier collectivement ? »
Dans une optique d’éducation permanente, et même d’éducation tout court, il y a là un vaste chantier. C’est simple à dire, mais compliqué à mettre en œuvre. Car il faut bien admettre qu’à part pour quelques passionnés des chiffres, un budget public est probablement l’un des documents les moins sexy qui puisse s’imaginer, toutes catégories confondues. Comment intéresser les citoyens à un tel objet comptable, ou plutôt aux enjeux qu’il dissimule, bien souvent, sous une technicité rebutante ? Les budgets participatifs, même light, constituent à cet égard des portes d’entrée. Cela vaut donc peut-être quand même la peine d’aller faire un tour du côté de Chimay, de Verviers, de Gand, etc. Ou, mieux, de se renseigner sur ce qui existe dans nos propres communes ? Et si rien n’existe, pourquoi ne pas interpeller les partis, dès à présent, puis les élus ? Et soyons ambitieux : visons le modèle de Porto Alegre. Depuis un certain jour de juillet 2018, le Brésil ne fait plus peur aux Belges…
- Yves Sintomer (Dir.), Les budgets participatifs dans le monde. Une étude transnationale, Engagement Global, Serie Dialog Global n° 25, 2014.
Pour info, le lien vers une émission de TeleVesdre sur le sujet : https://www.vedia.be/www/video/info/budget-participatif-verviers-et-olne-laissent-une-partie-du-budget- entre-les-mains-de-leurs-habitants-_91698_144.html#
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