CRÉDIT FACILE : L’ÈRE DE LA TENTATION (Juin 2022)
Monique Van Dieren, Contrastes juin 2022, p 26 à 27
Durant 15 ans, la plateforme « Journée sans crédit » a sensibilisé le public aux dangers du « crédit facile » et a obtenu de nombreuses avancées législatives pour mieux protéger le consommateur. Cette dynamique a mobilisé chaque année 30 associations francophones et néerlandophones autour de la traditionnelle « Journée sans crédit », le dernier samedi de novembre. Récit d’une belle aventure dont les Equipes Populaires ont été le fer de lance.
« Achetez maintenant, payez plus tard »
Aujourd’hui, la société de consommation et le modèle de croissance sont de plus en plus remis en cause pour des raisons environnementales. Mais l’incitation à consommer reste cependant omniprésente. Partout, le consommateur est incité à acheter à crédit plutôt qu’au comptant. Il est indéniable que, pour le commerçant, la possibilité de pouvoir proposer un achat à crédit est un argument de vente de poids et incite aux achats impulsifs. La banalisation du crédit se traduit notamment par un démarchage intensif et sournois auprès des consommateurs.
De plus en plus accessibles et diversifiées, les formules de crédit sont hélas parfois utilisées pour boucler les fins de mois difficiles, faire face à des besoins vitaux ou payer des factures en retard, créant une situation d’endettement permanent. Cette situation n’est pas nouvelle.
Dès le début des années 2000, le crédit à la consommation connaît un succès grandissant. Les grandes surfaces multiplient les offres de crédit pour des biens de consommation courante, jouant sur la méconnaissance des consommateurs en matière de législation pour leur faire miroiter un niveau de vie plus confortable grâce au crédit. Les offres de crédit sont séduisantes mais dangereuses : elles donnent l’illusion d’un pouvoir d’achat illimité et entretiennent le désir d’achat, même si les moyens financiers sont limités.
Informer et agir
En 2004, les Equipes Populaires sont interpellées par des militants scandalisés par le développement d’une société de surconsommation qui fragilise davantage les plus défavorisés (voir encadré). C’est le début d’une très belle aventure qui a duré 15 ans et qui a mobilisé 30 associations francophones et néerlandophones autour d’un double objectif : sensibiliser la population aux dangers du crédit facile et améliorer la législation pour mieux protéger les consommateurs les plus fragiles face aux pratiques commerciales des sociétés de crédit.
Il était une fois…
Tout commence à une journée de formation des militants à Floreffe en février 2004. Le titre de la journée : L’ère de la Tentation. En d’autres mots, la consommation et ses excès. Jacky, militant à Bruxelles, évoque dans son atelier le problème de la tentation du crédit facile. On interroge les participants pour savoir s’ils ont des cartes de crédit dans leur portefeuille. Mauvaise surprise : nombre d’entre eux en possèdent à leur insu ! « Je pensais que c’était une carte de fidélité », disent certains. « J’en ai besoin quand j’ai des difficultés à boucler les fins de mois », avoue un autre. Conclusion de l’atelier : nous sommes très mal informés et assez démunis face au développement des techniques commerciales sournoises.
L’envie d’action est partagée : il faut que les Equipes Populaires sensibilisent le public sur les dangers du crédit facile et essayent de faire changer la législation pour mieux les protéger. Des participants (de Bruxelles et de Charleroi notamment) décident de se revoir pour creuser la question, l’idée d’organiser une grande campagne de sensibilisation est née. La première « Journée sans crédit » est organisée le dernier samedi de novembre de 2004, date symbolique de la Journée internationale sans achats.
Des actions de sensibilisation sont organisées à l’entrée de grandes surfaces et dans des galeries commerçantes sous le slogan : « Crédit facile : n’avalez pas n’importe quoi ! ». L’accueil du public est très positif : manifestement, il est en demande d’information et estime qu’il est pertinent d’alerter sur les dangers du crédit à la consommation.
Cette première Journée sans crédit fut la première d’une longue série. Car le hasard fait parfois bien les choses. Dès 2005, nous rencontrons une association bruxelloise (le GREPA, actuellement Centre de médiation de dettes pour la région de Bruxelles) qui organise également des actions de prévention du surendettement.
Des contacts sont pris avec d’autres associations francophones et néerlandophones pour élargir notre champ d’action et notre expertise en matière juridique. De neuf associations en 2005, nous étions près de trente 10 ans plus tard : associations d’éducation permanente, de lutte contre le surendettement, de protection des consommateurs, syndicats. La plateforme a même « fait des petits » en France et au Québec.
Le sentiment du travail bien accompli, la plateforme a stoppé ses activités en 2020, avec de belles victoires sur le plan législatif et une collaboration très fructueuse qui se poursuit entre les associations.
Des actions publiques sont organisées par les Equipes Populaires et ses partenaires dans toutes les villes de Wallonie et à Bruxelles le dernier samedi de novembre : sur les marchés, dans les gares, dans les artères commerciales, mais aussi dans des festivals, des salons d’information, des
écoles… Tout au long de l’année, les associations membres de la plateforme ont sensibilisé leurs publics respectifs sur les pièges du crédit et les risques de surendettement, en particulier les publics en situation de précarité (médiation de dettes, atelier de consommateurs…).
La presse avait également noté la Journée sans crédit à son agenda et consacrait régulièrement des articles, des reportages au JT et dans des émissions spécialisées (« On n’est pas des pigeons », notamment).
La plateforme était également composée d’une équipe de juristes qui menait un travail en profondeur d’analyse de la législation, de formulation de propositions de lois et de contacts avec les représentants politiques. De nombreuses propositions visant à améliorer la loi sur le crédit à la consommation ont été traduites en propositions de loi et ensuite adoptées entre 2010 et 2015. Parmi elles, un meilleur encadrement de la publicité pour le crédit, l’obligation du « délai de zérotage »1, l’amélioration de la procédure de règlement collectif de dettes, l’indiction du démarchage en rue pour le crédit, un renforcement du contrôle des pratiques commerciales des vendeurs de crédit, l’obligation de vérifier la solvabilité des candidats-emprunteurs.
La plateforme a également contribué à bloquer des projets de lois dangereux pour la protection des consommateurs : la procédure d’injonction de payer2 et l’élargissement de la centrale des crédits aux particuliers à d’autres dettes que le crédit (loyer, énergie, télécoms…).
Faiseurs de droits
Que retenir de cette très belle expérience ? Que les campagnes de sensibilisation les plus pertinentes sont celles qui partent des situations de vie et qui restent connectées en permanence avec le public à qui elles s’adressent. Que chaque association s’enrichit des compétences des autres. Que les avancées législatives ne s’obtiennent que grâce à la mise en réseau de plusieurs organisations qui apportent chacune leurs spécificités. Que le travail de sensibilisation du public « donne du crédit » au travail politique et vice versa.
Ce combat contre le crédit facile n’a de sens que si on s’attaque également aux causes profondes du surendettement : le manque structurel de revenus et les carences dans la politique de lutte contre la pauvreté. C’est ce à quoi les Equipes Populaires s’attèlent aujourd’hui à travers leur nouvelle campagne sur l’accès aux droits sociaux.
1. Délai durant lequel une ouverture de crédit doit obligatoirement être totalement remboursée avant de pouvoir à nouveau « puiser dans la réserve ». Cette mesure contribue à éviter l’endettement à perpétuité.
2. Cette procédure permet au créancier de récupérer des factures impayées d’un consommateur sur base d’une procédure rapide et unilatérale auprès du tribunal