DE QUELS DROITS PARLE-T-ON ? (Avril 2022)
Guillaume Lohest, Contrastes avril 2022, p 7 à 10
Le non-recours aux droits sociaux concerne des droits absolument centraux et essentiels si on veut que chacun puisse disposer du minimum vital. La liste dressée ici n’est certainement pas exhaustive, mais elle donne un aperçu de quelques droits sociaux parmi les plus importants.
« Nos droits ne s’usent que si on ne s’en sert pas », disait un paysan à propos de la production d’anciennes variétés de semences, pratique contrecarrée par des contraintes commerciales et légales. A priori, quand on parle de non-recours, cela pourrait concerner toutes sortes de droits. Prenons un exemple au hasard : le droit de glanage. La loi belge encadre toujours cette pratique ancestrale. On peut pourtant parier qu’au moins 99% de citoyens belges n’ont pas recours à ce droit ! Autre exemple, le congé parental. Récemment, en 2020, le droit au congé parental à 1/10 temps a été ouvert. Quelques mois plus tard, Acerta évaluait à 0,2% la proportion de travailleurs du secteur privé y ayant recours.
Ce n’est évidemment pas sur des non-recours de ce genre-là que nous voulons attirer l’attention avec cette campagne, mais plutôt sur des droits sociaux absolument centraux et essentiels pour disposer d’un minimum vital en termes de ressources financières. Lesquels en particulier ? La liste dressée ici n’est certainement pas exhaustive, mais elle donne un aperçu de quelques droits sociaux parmi les plus fréquemment concernés par la problématique du non-recours. On peut également y relever les multiples liens entre eux, le fait qu’un droit donne accès à un autre, la complexité des critères et des conditions.
On trouve peu de chiffres actualisés sur l’ampleur du phénomène. Une étude menée en 2011 en Belgique évaluait que le taux de non-recours en ce qui concerne le revenu d’intégration (RIS) oscillait entre 57 et 76%, ce qui est énorme1. De manière générale, on estime qu’il y a dans la plupart des cas un ratio minimum de 30% de non-recours, selon une étude européenne2 de 2015.
1.Bouckaert N. & Schokkaert E. (2011), « Une première évaluation du non-recours au revenu d’intégration sociale » in Revue belge de sécurité sociale, 4/2011.
2. Access to social benefits: Reducing non-take-up, Eurofound, 2015.
Personne au bout du fil
« À la suite d’une demande de regroupement familial approuvée pour son fils mineur, Madame C. souhaite avoir un rendez-vous auprès de sa commune pour obtenir la carte d’identité de son fils. Elle ne parvient pas à joindre le service des étrangers, elle se rend à notre Centre d’Aide aux Personnes et me demande mon aide. Je tente pendant plusieurs jours les cinq numéros donnés par le standard, sans succès. J’envoie un mail pour fixer ce rendez-vous, réponse cinq jours plus tard pour un rendez-vous dans une semaine. La copie de la carte d’identité est enfin envoyée au bureau d’allocations familiales pour pouvoir débuter les versements. Ceux-ci ne commenceront qu’à la date de réception du document, soit un mois après l’approbation du regroupement familial. Perte de droit : 187,28 € 1. »
1. « Le non-recours comme conséquence des politiques de sécurité et d’assistanat sociales et comment l’éviter ? » Travail de fin de Certificat en Travail, Développement et Innovations Sociales (TDIS) 2020–2021, Joachim-Emmanuel Baudhuin, assistant social, coordinateur du service social des solidarités (SESO), militant auprès du collectif Travail social en lutte.
Pour la suppression du statut de cohabitant
Selon un article de la RTBF (www.rtbf.be/article/statut-de-cohabitant-statut-de-perdant-10859344), « le législateur a défini deux conditions nécessaires pour être désigné comme cohabitant : Le premier critère est d’ordre spatial, c’est le fait de vivre ensemble sous le même toit… La seconde condition est d’ordre socio-économique : on songe ici au fait de mettre en commun les questions ménagères… Cela inclut le partage de moments de vie et la mise en commun des ressources financières. » Si vous êtes reconnus sous ce statut, vous aurez moins de ressources que si vous êtes seul (statut isolé) et vous n’obtiendrez pas les mêmes aides sociales. Le Réseau wallon de lutte contre la pauvreté mène une campagne pour supprimer ce statut de cohabitant.
Plus d’infos :
www.rwlp.be/index.php/educ-pop/1100-stop-au-statut-cohabitant
De quels droits parle-t-on? Quelques exemples.
Des droits en matière de logement
Le logement est « le socle » de tous les autres droits sociaux. Il est une
condition d’accès à de nombreux droits pour lesquels il est nécessaire de
fournir une adresse de référence. Pour les personnes en situation de pauvreté, plusieurs droits existent en matière de logement selon les régions :
- L’accès à un logement social, qui repose sur deux conditions princi pales : ne pas être propriétaire et ne pas dépasser un certain plafond de revenus. Toutefois, il n’y a pas assez de logements sociaux par rapport aux candidats-demandeurs (à Bruxelles, on compte environ 50.000 ménages candidats en attente d’un logement social) ;
- En Région bruxelloise, l’allocation loyer peut être octroyée aux ménages en attente d’un logement social. Elle varie entre 120 et 160 euros, selon les revenus (+ 40 euros par enfant à charge) ;
- En Région wallonne, c’est différent : l’allocation de déménagement et de loyer (ADeL) est octroyée quand on quitte un logement insalubre ou inadapté vers un logement salubre ou adapté, ou quand on quitte le sans-abrisme pour un logement.
La Garantie de Revenus Aux Personnes Âgées (GRAPA)
Il s’agit d’une allocation complémentaire accordée aux personnes de plus de 65 ans dont le revenu mensuel est inférieur à un certain montant (1.314,96 EUR pour les isolés ; 876,64 EUR pour les cohabitants – montants au 1er mars 2022). L’allocation vient combler la différence entre les ressources disponibles et le montant minimum. Elle est automa tiquement octroyée dans la plupart des cas.
Le tarif social énergie
Le tarif social est un tarif préférentiel, le plus bas du marché, pour le gaz
et l’électricité, octroyé à plusieurs catégories de personnes, entre autres :
- Celles qui perçoivent le RIS, ou équivalent, d’un CPAS ;
- Celles qui bénéficient d’une allocation pour handicap (incapacité de travail à 65%) ou pour un enfant handicapé ;
- Les locataires d’un logement social ;
- Les bénéficiaires de la GRAPA.
(NB. Actuellement, en raison de la hausse des prix de l’énergie, les personnes qui ont le statut BIM ont également droit au tarif social jusqu’au 30 juin 2022)
Le Revenu d’intégration sociale (RIS)
Le revenu d’intégration est accordé, sous certaines conditions, par les CPAS aux personnes n’ayant pas d’autres ressources possibles (emploi ou allocation de chômage). Les six conditions d’octroi concernent la nationalité, l’âge, le lieu de résidence, les ressources disponibles, la disponibilité au travail et l’épuisement des autres droits sociaux. L’appréciation de ces six conditions par les CPAS peut être intrusive et des abus sont régulièrement dénoncés, notamment par l’ADAS (Association de Défense des Allocataires Sociaux).
Le droit aux allocations de chômage ou d’insertion
Pour obtenir une allocation de chômage, il faut remplir plusieurs
conditions :
- Avoir travaillé 312 jours pendant les 21 derniers mois (pour les travailleurs de moins de 36 ans), 468 jours dans les 33 derniers mois (travailleurs de 36 à 49 ans) et 624 jours dans les 42 derniers mois (travailleurs de 50 ans et plus) ;
- Ne pas être au chômage pour faute commise par le travailleur (travail perdu involontairement) ;
- Être inscrit en tant que demandeur d’emploi auprès du service de l’emploi compétent et répondre à toute offre d’emploi convenable, offre de formation ou offre de recyclage (âgé de plus de 45 ans) ;
- Être activement à la recherche d’un travail, apte à travailler, âgé de
moins de 65 ans et être résident en Belgique.
Juste après les études, pour les jeunes adultes qui n’ont pas encore travaillé, c’est une allocation d’insertion qui est prévue. Elle est cependant limitée dans le temps (3 ans) et soumise à toute une série de conditions. Les montants varient selon le statut (cohabitant ou isolé) et la charge de famille.
Les Bénéficiaires de l’intervention majorée (BIM)
Ce statut octroie une intervention plus importante de la mutuelle sur les coûts des soins de santé, le régime du tiers payant social (on ne paie que la part à charge du patient chez le médecin), des tickets modérateurs moins élevés en cas d’hospitalisation et un montant « maximum à facturer » au-delà duquel tous les frais sont pris en charge par la mutuelle. Pour pouvoir bénéficier de l’intervention majorée, il faut remplir l’une
de ces trois conditions :
- Soit bénéficier d’une allocation spécifique (RIS, GRAPA, allocation aux personnes handicapées, allocations familiales majorées…) ;
- Soit être inscrit sous un statut particulier auprès de la mutualité (orphelin de père et de mère, mineur étranger non accompagné) ;
- Soit ne pas dépasser un certain plafond de revenus (20.292,59€ de revenus bruts annuels, augmenté de 3.756,71€ par membre de ménage supplémentaire – montants en vigueur au 1er janvier 2022)
J’attends des nouvelles qui n’arrivent jamais
« J’ai de la fibromyalgie. Au début, je touchais une allocation d’handicapé […] Au bout d’un an, ils l’ont supprimée. Je me retrouve seule avec mon
fils handicapé qui travaille. C’est lui qui m’entretient. J’ai le reste au CPAS mais seulement en fonction des revenus de mon fils. Il subvient à mes besoins, à mes médicaments, les médecins, à tout quoi. J’ai pris une avocate de la mutuelle parce que je n’avais pas les moyens. Je n’ai jamais eu de contact avec elle jusqu’au tribunal. L’avocate ne m’a même pas défendue parce que j’ai dû parler moi-même face au juge. Elle était présente mais ne m’a rien dit. Elle ne connaissait pas mon dossier. C’était une jeune. Je n’ai pas été soutenue. Je n’entame rien comme recours parce qu’on m’a dit que j’ai déjà ce à quoi j’ai droit. C’est par rapport aux revenus de mon fils… Il faudrait que je vive seule pour bien faire mais bon, mon fils ne sait pas vivre seul, ce n’est pas possible. Je suis perdue. Il n’y a personne pour m’aider. L’expert a tout envoyé au tribunal, je n’ai pas de nouvelles. Aucune nouvelle de l’avocate. J’attends. On m’a dit que j’allais en recevoir. Mais toujours rien. Je ne sais pas ce que je dois entreprendre entre-temps. Et vivre comme ça1… »
1. « Droits et non take-up, Le constat », Vidéo réalisée par le Service de lutte contre la pauvreté et la coopérative Cera, 2016.
Sources sur les différents droits sociaux :
www.socialsecurity.be
www.wallonie.be
https://www.lacsc.be/
https://www.mc.be/
www.droitsquotidiens.be
www.energieinfowallonie.be
Pour aller plus loin sur la problématique du non-recours :
- Film sur Viméo : « Droits & “Non take-up” (Version intégrale) »,
https://vimeo.com/170947620 - Jeudi de l’Hémicycle au Parlement francophone bruxellois : « La lutte contre la pauvreté : le non-recours aux droits », 24 octobre 2019, https://www.luttepauvrete.be/themes/non-recours-aux-droits
- Aperçus du non-recours aux droits sociaux et de la sous-protection sociale en Région bruxelloise, Rapport bruxellois sur l’état de la pauvreté 2016, étude coordonnée par Laurence Noël et Nahima Aouassar, Observatoire de la santé et du social, 2017.