Enseignement. Bonnet d’âne pour la Belgique (décembre 2017)
Auteure : Claudia Benedetto, Contrastes décembre 2017, p12 à 14
L’école peut jouer un rôle contre les inégalités. Mais la réalité est tout autre. Les chiffres sont criants : Dans notre pays, en Communauté française, un enfant issu d’un milieu favorisé a six fois plus de chances de faire partie des meilleurs élèves qu’un enfant issu d’une famille défavorisée. Contre sept côté flamand1.
On ne peut plus contester à l’heure actuelle une évidence révoltante : l’enseignement ne permet pas de corriger les inégalités des chances. La montée de la pauvreté et en particulier dans les familles monoparentales place les enfants dans des conditions difficiles : selon l’Iweps (Institut wallon d’évaluation, de la prospective et de la statistique), au sud du pays, 46% des familles composées d’un seul parent vivent avec des revenus inférieurs au seuil de pauvreté : celui-ci se situe aux alentours de 1.449€ par mois pour une famille avec un enfant de moins de 14 ans et de 2.118 euros pour 3 enfants. Comment l’expliquer ? Deux éléments décisifs : le fait de ne percevoir qu’un seul revenu bien évidemment et le coût lié à l’éducation des enfants.
Parmi les raisons qu’on évoque pour expliquer l’échec démocratique de notre enseignement, on pointe notamment la pratique du redoublement, le choix trop hâtif d’une orientation (dès la première secondaire). Ou encore la formation des enseignants pas suffisamment axée sur la réalité sociologique du système éducatif (et notamment la prise en compte de ce que le sociologue Pierre Bourdieu appelle l’habitus de classe à savoir l’usage du langage, la richesse du vocabulaire, la représentation qu’on a du monde, la disposition à se dire qu’on peut faire des études ou pas parce que personne dans la famille n’est concerné, qui varie en fonction du statut social) et sur des pédagogies pas toujours adaptées aux milieux populaires.
Par ailleurs, le système scolaire belge repose sur la liberté de choix d’école et par une liberté d’organisation des établissements, ce qui engendre de la concurrence entre les établissements et les réseaux qui sont financés, rappelons- le, en fonction du nombre d’inscrits.
L’APED2 (Appel pour une école démocratique) parle de quasi marché scolaire où les plus aisés se retrouvent dans les meilleures écoles et les plus pauvres dans les moins bonnes, formant dès lors des ghettos. Le PTB met également en exergue le désinvestissement du système éducatif belge depuis plus de 30 ans. On serait passé de 7% du PIB dans les années 80 à 6% aujourd’hui. Ce qui constitue une différence de 4 milliards d’euros !3
Mais que fait le gouvernement ?
En janvier 2015, Joëlle Milquet alors ministre de l’Enseignement présente son projet de Pacte d’excellence en vue d’améliorer la qualité de l’enseignement pour tous en Fédération Wallonie- Bruxelles. En 2016, c’est Marie-Martine Schyns qui lui succède.
La « bible » de l’enseignement comprend évidemment des propositions intéressantes pour réduire les inégalités liées aux origines sociales comme la volonté d’instaurer un tronc commun jusqu’à l’âge de 15 ans. Ou encore de renforcer les moyens pour les maternelles.
Outre le manque d’ambition que certains lui reprochent, c’est surtout le manque de moyens mis à disposition qui est décrié pour atteindre véritablement les objectifs fixés et notamment la diminution du taux d’échec qui implique de mettre en place un cadre de remédiation avec un encadrement suffisant pour que les enseignants puissent soutenir efficacement les élèves en difficulté scolaire.
Différents acteurs ont été consulté lors de la constitution de ce pacte : syndicats, parents, associations, pouvoirs organisateurs, sociologues, pédagogues… et le cabinet de consultance McKinsey ! Le mouvement Changements pour l’égalité4, dans une carte blanche accordée au Vif l’express5 manifeste son inquiétude : « McKinsey a une grande expertise dans le management des entreprises privées. En se positionnant comme expert en matière d’enseignement également, ils arrivent à installer cette croyance dans le “management des écoles” auprès de bon nombre de dirigeants. Cette idéologie n’est pas neutre. C’est l’esprit d’entreprendre, le management par les résultats, le leadership organisationnel, l’égalité des chances, la coopération au service de l’efficacité, la compétition économique, etc. On peut y adhérer ou non. Mais pour ce faire, il faut d’abord que l’on ait conscience que cette idéologie est présente et ensuite constater qu’elle exclut donc l’égalité des places, l’engagement démocratique, l’émancipation, etc. ». Et la Ministre de rappeler dans une interview récente dans Le Soir qu’à aucun moment le cabinet d’experts n’est intervenu dans « le pilotage des opérations du pacte ». Il a tout au plus apporté des éléments pour aider à la décision.
Comment faire pour réellement diminuer les inégalités sociales à l’école ? L’APED (Appel pour une école démocratique) conditionne l’atteinte de cet objectif à l’idée d’une fusion des réseaux, d’une politique d’inscription scolaire qui instaure une vraie mixité sociale, la création d’un vrai tronc commun autonome des établissements du secondaire supérieur et un refinancement réel de l’enseignement7. Le pacte d’excellence contient une proposition de 100 réformes en vue de rendre l’enseignement francophone moins inégalitaire d’ici 2030. Les représentants syndicaux de tous bords ont accepté de continuer les négociations des réformes qu’il propose ; certaines garanties auraient été obtenues (voir encadré ci-dessous). Mais ils restent vigilants. Tout est encore à construire et le challenge est de taille mais tous les acteurs de notre système éducatif sont au moins d’accord sur un point : il est grand temps d’adapter le fonctionnement de notre enseignement et de proposer des mesures innovantes pour préparer les enfants, futurs citoyens, aux nouveaux défis de notre siècle.
Si on prend le premier décile = les 10% les plus pauvres : on constate que 10% restent dans le général. Et 20% ne se retrouvent dans aucune filière ! Plus globalement, on peut voir que plus l’origine sociale du jeune est élevée, plus on remarque augmentation de la fréquentation du général. Et une diminution de la filière professionnelle.6
Garanties obtenues par les syndicats
- Le gouvernement de la Communauté française s’engage à investir 220 millions d’ici 2020.
- Le gouvernement s’engage aussi à maintenir le volume global de l’emploi.
- Les normes de maintien seront revues pour préserver les écoles qui seraient menacées par la réduction du qualifiant (technique/professionnel) de 4 à 3 ans.
- Engagement politique à recruter 1.100 enseignants en maternelle dès 2017.
- Des renforts seront accordés dès 2019 au primaire.
- Le tronc commun nouvelle mouture (pluridisciplinaire) entrera en vigueur à partir de 2020 et s’étendra progressivement, d’année en année, pour couvrir l’ensemble du cursus d’ici 2027.
- La taille des classes sera revue à la baisse.
- Le travail collaboratif, entre enseignants, sera limité à 60 périodes par an.
- La charge des profs de pratique professionnelle passera à 28 heures/semaine d’ici 2018, à 26 heures d’ici 2027 pour les profs nommés.
- L’évaluation des enseignants, par le directeur, sera « exclusivement formative. » Mais une sanction sera possible si le professeur fait l’objet de deux évaluations négatives, réparties sur deux années scolaires. Il y aura possibilité d’un recours auprès d’une « instance neutre ».
Extrait du Soir en ligne « Pacte d’excellence : voici les changements obtenus par les syndicats », Pierre Bouillon, mis en ligne le 8 mars 2017 8.
Questions de débat
- Quelle est votre expérience de l’école (en tant que parent, étudiant…) ? Quels sont vos constats (positifs ou négatifs) en matière de lutte contre les inégalités ?
- Selon vous, que faut-il modifier dans notre système éducatif ?
Comment réduire les inégalités sociales à l’école ?
- L’égalité des chances à l’école, Mattéo Godin et Jean Hindriks, Itinera Institute, 2016.
- Mouvement socio-pédagogique, composé d’enseignants progressistes qui luttent, entre autres, contre les inégalités et les discriminations de notre système d’enseignement.
- Michaël Verbauwhede, Pacte pour un enseignement d’Excellence ou pétard mouillé ? Site internet du PTB, 26 janvier 2017.
- Mouvement socio-pédagogique d’éducation permanente. www.changement-egalite.be
- Carte blanche de Changements pour l’égalité : Enseignement : ne laissons pas le Pacte aux mains de McKinsey ! Le Vif l’express, 11 juillet 2016.
- PowerPoint, CGé, mouvement Changements pour l’égalité : « Que produit l’école ? ».
- Pacte pour un enseignement d’excellence : quelle réponse offre-t-il aux inégalités sociales ? Cécile Gorré, Réseau-nances, trimestriel de Culture et Développement.
- http://plus.lesoir.be/85002/article/2017–03–08/pacte-dexcellence-voici-les-changements-obtenus-par-les-syndicats
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