PALESTINE| Femmes : Une discrimination aux multiples visages (avril 2018)
Auteure : Elisabeth Beague, Contrastes avril 2018, p 12 à 13
Derrière le colonialisme et les discriminations racistes instaurées par l’Etat d’Israël se trouvent une autre oppression et une autre violence venant de la société palestinienne elle-même à l’encontre des femmes. Ces deux dynamiques s’entretiennent pour créer une situation complexe qui traumatise psychologiquement les femmes.
Vivre en vase clos sous un régime militaire décuple les difficultés au sein des couples et des familles, surtout quand les pères de famille sont sans emploi. La société palestinienne est une société patriarcale. Beaucoup de femmes ne connaissent pas leurs droits, et on peut estimer que le nombre de femmes vivant dans un climat de violence (tous types de violence confondus : psychologique, physique, domestique, étatique) s’élève jusqu’à 90 %. Si le nombre de suicides est plus important chez les hommes, les femmes représentent la triste majorité de personnes victimes de dépression, qui est devenue une maladie chronique.
Traditions patriarcales
Le destin national est certes une priorité, et les femmes souffrent tout autant que les hommes de l’occupation israélienne. Gardiennes du foyer, elles ressentent cependant davantage la pression psychologique qu’exerce la nécessaire protection des enfants, la crainte des raids nocturnes, l’angoisse d’une démolition possible de la maison familiale. Or la société palestinienne est une société patriarcale, et beaucoup de femmes ne connaissent pas leurs droits.
A cela s’ajoute encore le poids du religieux et des groupes islamiques. Le Parti de la Liberté, très ancré dans le fondamentalisme, reste puissant. Malgré les progrès, il reste difficile pour une Palestinienne de se marier sans le consentement du père et, comme le mariage laïc n’existe pas, elle ne peut sûrement pas épouser l’homme de son choix si celui-ci est d’une autre religion. Traditionnellement, le mariage reste d’ailleurs un accord entre deux familles plus ou moins proches. Et la consanguinité est encore un des maux qui affectent la société palestinienne. Et puis, il y a encore le chômage et la dépendance financière des femmes aux hommes. Les femmes sont en effet plus touchées par le chômage malgré un niveau d’études supérieur. Seules 19,1% des femmes ont un emploi déclaré tandis que 25% des femmes travaillent dans le secteur informel. Elles représentent pourtant plus de 70% des étudiants dans les universités.
Cette situation paradoxale est notamment une conséquence de l’occupation israélienne : les femmes qui, dans les pays moins développés, sont généralement employées dans les secteurs de l’agriculture et de la manufacture, trouvent moins de travail car Israël distribue largement ses produits de consommation dans les Territoires palestiniens et, par conséquence, ces secteurs de l’économie palestinienne sont atrophiés. Comme à peu près partout, la femme assume la majeure partie du travail domestique qui n’est ni considéré ni payé et, si elles exercent un emploi rémunéré, elles ne peuvent en général pas gérer leur revenu. Ce qui, il faut l’avouer, ne change pas grand-chose : si elles peuvent en décider, les femmes consacrent l’argent gagné à leur famille. Alors, en cas de divorce, elles se retrouvent tout à fait démunies car même un recours devant un tribunal ne leur permet d’espérer que de quoi survivre pendant trois mois.
Lois sexistes
Le viol reste un sujet tabou. Taire le nom d’un violeur n’est pas une question de lâcheté mais une mesure de protection pour la victime car elle risque d’être assassinée si elle est soupçonnée d’avoir « enfreint l’honneur de la famille ». Car le fait d’avoir été victime de violences sexuelles est en lui-même un affront pour toute la famille. Il faut préciser que, dans une société aussi confinée, notamment parce que les déplacements des Palestiniens sont entravés par Israël, 80% des viols sont commis par un membre de la famille proche. C’est donc la loi du silence qui prévaut dans la grande majorité des cas, ce qui conduit à une situation de quasi-impunité pour les auteurs de violence. Le système judiciaire palestinien cherche lui aussi à éviter le scandale public. En cas de viol dénoncé, le coupable peut ne pas être condamné s’il épouse sa victime et reste marié pendant au moins trois ans (article 308 de la loi pénale de 1960). Cet article de loi a été aboli en Jordanie mais est toujours maintenu en Palestine.
Notons qu’il existe plusieurs sortes de tribunaux, que certains sont chrétiens et que d’autres appliquent la charia. En matière d’héritage, la situation n’est guère meilleure pour les femmes. Théoriquement, il leur est permis d’hériter mais la revendication d’une femme dans ce sens est en général considérée comme honteuse. Quelques chiffres sont parlants : seules 12% des femmes héritent et 4% de ces 12% héritent sans déclencher une vindicte familiale. Il faut dire aussi que la loi autorise les crimes d’honneur et que certains crimes déclarés comme tels ne sont en réalité commis que pour des raisons d’héritage. La peine encourue est en général de six mois pour un homme et de douze mois pour une femme. Une discrimination de plus.
Sur base de statistiques dressées en 2017, WCLAC (Women’s Centre for Legal Aid & Counselling) constate l’impact de la violence de l’occupation sur la violence intra-familiale et, même s’il ne peut pas l’empêcher, son statut permet de la dénoncer et de la documenter. Le centre estime cependant que l’occupation israélienne dépend d’une décision politique susceptible de dégager des effets rapides tandis que les dégâts causés par le patriarcat demanderont beaucoup de temps pour être atténués et, à terme, réparés car il s’agit de pratiques profondément enracinées dans la culture.
DES ASSOCIATIONS POUR ACCOMPAGNER
ET DÉFENDRE LE DROIT DES FEMMES
A Jérusalem, l’association Wadi El Helwe encourage les femmes à s’affirmer et à développer leur potentiel, à ne pas se laisser dicter leurs choix, à ne pas accepter le rôle de victimes, elle les aide à être plus solides. Et les hommes ne sont pas oubliés. S’ils sont invités à des rencontres, ce n’est bien sûr pas en tant qu’adversaires mais, au contraire, parce qu’eux aussi ont besoin d’être informés sur les droits des femmes qu’ils méconnaissent la plupart du temps. Dans un climat de violence perpétuelle, ces contacts sont conçus pour être apaisants et diminuer les tensions quotidiennes.
Pour les plus jeunes, l’association oeuvre en favorisant les rencontres entre filles et garçons afin qu’ils se connaissent et puissent s’apprécier comme personnes sans poser comme préalable la catégorisation « sexe », pour qu’ils prennent confiance en eux et osent affirmer leur personnalité. Elle organise de nombreuses activités en veillant à ce que celles-ci restent « acceptables » au sein d’une société où la religion (l’Islam) garde une place importante. L’association procède étape par étape pour changer les mentalités sans heurter de front les résistances car dans les partis politiques, les associations de femmes sont perçues comme défiant leur pouvoir.
Quelques jours plus tard, à Ramallah, le WCLAC nous a ouvert ses portes pour nous expliquer l’aide que cet organisme apporte aux femmes en matière sociale, légale et juridique. Le centre aide notamment les femmes à ester devant un tribunal.
Ses services juridiques examinent les traités signés par l’Autorité Palestinienne et exercent un lobby pour influencer la législation. La Palestine a en effet ratifié en 2006 une convention contre les violences faites aux femmes, convention qui s’ajoute à d’autres relatives aux droits des handicapés, aux droits économiques et culturels, à la protection des malades du sida, à l’interdiction de toute discrimination raciale… Cette convention existe donc mais est loin d’être respectée.
Le centre s’est consacré également à défendre le droit à la pension alimentaire et améliorer le « droit du travail ». Certaines avancées sont significatives : les femmes qui travaillent ont en effet obtenu un congé de maternité de 11 semaines.
Pour étendre sa couverture, le centre a créé de petites unités plus proches des communautés qui continuent le travail de façon autonome et pallient les restrictions de mouvements imposés par l’occupation.
–