Le « miracle » néolibéral désavoué par le FMI (décembre 2017)
Auteure : Christine Steinbach, Contrastes décembre 2017, p6–7
Dans sa dernière étude sur les inégalités, le FMI prône une hausse des impôts pour les plus riches. Et prend ses distances avec l’idée selon laquelle les taxes affectent la croissance économique. Voilà qui met du plomb dans l’aile des théories néolibérales !
En octobre dernier, le FMI publiait une nouvelle étude sur les inégalités, montrant que celles-ci se sont creusées au cours des trente dernières années. En cause : la libéralisation des échanges et les progrès technologiques. Or si tous deux sont inéluctables à ses yeux, le FMI s’est attaché à montrer, au moyen d’études de cas, que les politiques publiques ont un rôle majeur à jouer pour endiguer l’écart croissant des inégalités au sein des pays (voir article précédent). Ces politiques doivent prendre en compte la question de la répartition des revenus.
La nouvelle marotte du FMI : taxer les (super)-riches
Le Fonds monétaire international aurait-il tourné sa veste ? Cette institution créée au lendemain de la deuxième guerre mondiale a longtemps été l’ordonnateur de politiques d’ajustement budgétaires implacables. Ces politiques imposaient aux pays en voie de développement ayant besoin de prêts une réduction drastique des dépenses publiques (santé, éducation…) et des privatisations. La levée des obstacles à la libre circulation des capitaux (les taxes par exemple) figurait aussi au menu. Ces mesures sont des ingrédients clés de la recette propre à la culture et au système économique néolibéral.
Or voici que Christine Lagarde, directrice actuelle du Fonds, clame au fil de ses allocutions que, dans une série de pays dits avancés, il conviendrait de procéder à des augmentations d’impôts pour les plus hauts revenus et ce « sans nuire à la croissance ». Au point que le magazine français Challenges, proche du patronat, parle de « nouvelle marotte du FMI1 ».
En réalité, cela fait déjà quelques années que le FMI a quelque peu revu ses préceptes phares pour soutenir davantage une politique de la demande et s’est intéressé à l’étude des inégalités.
Etudier la répartition des revenus : la fin d’un tabou
Et en effet, cet intérêt pour la demande, donc pour l’état des revenus des gens, est une petite révolution par rapport à ce qui a prévalu pendant des décennies, à savoir l’étude de l’offre, donc des moyens de production. Antony Atkinson, professeur d’économie à la London School of Economics, a consacré un demi-siècle de travaux sur l’étude des inégalités et de la pauvreté. Auteur d’un ouvrage intitulé sobrement « Inégalités », Atkinson a eu pour élève Thomas Piketty (« Le Capital au 21e siècle »), dont les travaux ont sensibilisé le FMI.
Dans son livre, Atkinson explique notamment que durant le 20e siècle, l’étude de la répartition des revenus a été marginalisée par les économistes, certains trouvant même que cela ne doit pas faire partie de l’économie. Selon eux, pour réduire la pauvreté il suffit de comprendre comment augmenter la production. Cette approche, qui néglige d’appréhender ce qui explique la richesse et la pauvreté des Etats et des individus, s’inscrit bien dans ce que l’on appelle la théorie du « ruissellement des richesses » et qui se trouve au coeur de la pensée néolibérale.
Le mot de Laffer : « Trop d’impôts tue l’impôt »
La théorie du ruissellement des richesses peut se résumer en disant que lorsque les riches deviennent plus riches, les pauvres deviennent moins pauvres. C’est Arthur Laffer qui l’a développée et on lui doit la formule « trop d’impôts tue l’impôt ». Selon lui, les Etats ont une fâcheuse tendance à trop taxer. Cela décourage les travailleurs de travailler et les investisseurs d’investir. Résultat : l’économie tourne au ralenti, le chômage augmente, la pauvreté aussi, etc.
Pour sortir de ce cercle vicieux, et dans l’intérêt général, les Etats doivent baisser les impôts, ce qui relancera l’investissement, donc la croissance économique, donc la création d’emplois. Ainsi les pauvres travaillent, rejoignent la classe moyenne, qui elle, rejoint les riches. C’est la théorie de Laffer qui a séduit Margaret Thatcher et Ronald Reagan dans les années ’80.
Elle est où, la croissance attendue ?
Mais la théorie se heurte à des faits. Dans les années ’50 et ’60, par exemple, les taux d’imposition très élevés n’ont pas freiné la croissance économique, deux fois plus importante qu’aujourd’hui.
En revanche, une étude de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) publiée en 20162 montre que la reprise modérée de la croissance économique de ces trois dernières années profite davantage aux ménages les plus fortunés qu’aux autres, dans les 35 pays les plus riches.
C’est que les enrichis n’investissent pas forcément dans l’économie réelle, les entreprises, la création d’emplois. Ils ont plutôt tendance à placer leurs avoirs dans des opérations spéculatives à haut rendement. En trente ans, le néolibéralisme s’est étendu à toute la planète. Les pays ont déréglementé leur marché intérieur pour l’ouvrir aux investisseurs étrangers, opéré des privatisations et restreint les dépenses publiques pour éviter d’afficher des déficits. Mais cela n’a pas apporté la croissance économique espérée.
S’appuyer sur les faits et non sur la foi !
Et voilà que ce constat est formulé sans ambages par trois économistes, Jonathan Ostry, Prakash Loungani et Davide Furceri. Et pas n’importe lesquels : ils travaillent au FMI ! Ils ont publié en 2016 un article retentissant pour la revue du Fonds (Finance and Development) : « Au lieu d’apporter la croissance économique promise, le néolibéralisme a en vérité accru les inégalités, et par la même occasion, compromis toute expansion économique durable ». Ils expliquent notamment que plus il y a libre circulation des capitaux, plus il y a risque de crise financière et plus les inégalités augmentent au sein des pays. Ils montrent aussi, chiffres à l’appui que les politiques d’austérité systématiques ont davantage de coûts que de bénéfices et ajoutent : « les épisodes de consolidation fiscale auxquels on assiste ici et là, où un gouvernement cherche à réduire ses déficits et l’endettement du pays, se sont traduits en général par des reculs économiques et non par des avancées ».
Leur conclusion est sans appel : « les politiciens tout comme les dirigeants des grandes institutions semblables au FMI (sic) feraient mieux d’arrêter de s’appuyer sur la foi pour plutôt s’appuyer sur les faits, c’est-à-dire ce qui marche vraiment en matière de politique économique ». Et plaident pour une politique fiscale « qui colle à la réalité économique du pays et de sa population ».
Ce n’est pas peu dire que les politiques actuelles menées en Occident sont loin du compte. Rien qu’en ce qui concerne les choix de politiques fiscales, le gouvernement d’Emmanuel Macron en France prône une réforme à la baisse de l’impôt sur la fortune, en espérant malgré la circulation des capitaux et la spéculation, que les plus fortunés investiront dans l’économie française. A l’heure où nous parlons, aux Etats-Unis, le président Donald Trump vient d’obtenir le vote du Sénat sur une baisse de l’impôt des sociétés, qui devrait passer de 35% à 25% en moyenne. Le gouvernement Michel va dans le même sens. Mais la critique du FMI signifie clairement qu’il faut en finir avec le néolibéralisme. Et c’est là indéniablement un signal fort.
La progressivité de l’impôt remise à l’honneur
Anthony Atkinson est économiste britannique. Il est bien placé pour exprimer, à quel point les très fortes baisses réalisées depuis les années ’80 sur les taux supérieurs de l’impôt sur le revenu ont contribué à augmenter les inégalités sans apporter de bénéfices suffisants à la collectivité.
Dans son dernier ouvrage, Inequality – What can be done ? (Edition française : Inégalités, Seuil, 2016), il propose des mesures pour y remédier : en premier lieu, renforcer la progressivité fiscale et les assurances sociales par une vaste réforme de l’impôt sur le revenu britannique, avec une hausse des taux marginaux supérieurs. A elle seule, cette réforme permettrait de financer une expansion sensible des assurances sociales, de doubler les allocations familiales et d’augmenter les allocations de chômage et les retraites basses. Un ouvrage qui vaut le détour.
. Izambard, Antoine, « Taxer les riches : la nouvelle marotte de Christine Lagarde et du FMI refait surface », Challenges, article publié en ligne le 10 juillet 2017.
2. « Les inégalités restent élevées dans un contexte de reprise modérée », OCDE (2016) « Le point sur les inégalités de revenu – novembre 2016. Téléchargeable sur : www.oecd.org/fr/inegalite-et-pauvrete.htm
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