Analyses

Légis­la­tion. Ne pas confondre domi­ci­lia­tion et coha­bi­ta­tion (août 2019)

Auteur : Yves Martens (collec­­­­­­­­­tif Soli­­­­­­­­­da­­­­­­­­­rité Contre l’ex­­­­­­­­­clu­­­­­­­­­sion), Contrastes août 2019, p6–7

CC.Flikr P▲Y K H Å N

La reven­­­­­­­­­di­­­­­­­­­ca­­­­­­­­­tion de suppres­­­­­­­­­sion du statut coha­­­­­­­­­bi­­­­­­­­­tant est une prio­­­­­­­­­rité pour la plupart des asso­­­­­­­­­cia­­­­­­­­­tions progres­­­­­­­­­sistes depuis de nombreuses années. Elle n’est cepen­­­­­­­­­dant pas simple à mettre en appli­­­­­­­­­ca­­­­­­­­­tion si l’on veut éviter un nivel­­­­­­­­­le­­­­­­­­­ment par le bas du montant des allo­­­­­­­­­ca­­­­­­­­­tions sociales et une suppres­­­­­­­­­sion des droits exis­­­­­­­­­tants pour certaines caté­­­­­­­­­go­­­­­­­­­ries de personnes.
Cepen­­­­­­­­­dant, dans cette attente, une simple appli­­­­­­­­­ca­­­­­­­­­tion correcte de la régle­­­­­­­­­men­­­­­­­­­ta­­­­­­­­­tion et de la juris­­­­­­­­­pru­­­­­­­­­dence sauve­­­­­­­­­rait déjà beau­­­­­­­­­coup de personnes et de ménages d’une préca­­­­­­­­­rité accrue…

Tout citoyen établi léga­­­­­­­­­le­­­­­­­­­ment en Belgique doit s’ins­­­­­­­­­crire dans la commune où il réside. Un fonc­­­­­­­­­tion­­­­­­­­­naire commu­­­­­­­­­nal (géné­­­­­­­­­ra­­­­­­­­­le­­­­­­­­­ment l’agent de quar­­­­­­­­­tier) véri­­­­­­­­­fiera la réalité de la présence à l’adresse indiquée. Selon sa natio­­­­­­­­­na­­­­­­­­­lité et/ou le type de titre de séjour, la personne sera, suite à cette véri­­­­­­­­­fi­­­­­­­­­ca­­­­­­­­­tion, inscrite à cette adresse, deve­­­­­­­­­nant celle de son domi­­­­­­­­­cile prin­­­­­­­­­ci­­­­­­­­­pal, au registre soit de la popu­­­­­­­­­la­­­­­­­­­tion, soit au registre des étran­­­­­­­­­gers, soit au registre d’at­­­­­­­­­tente. Les inscrits dans ces trois registres sont repris au registre natio­­­­­­­­­nal des personnes physiques. Le numéro attri­­­­­­­­­bué par ce dernier et qui commence par la date de nais­­­­­­­­­sance sert aussi de numéro d’iden­­­­­­­­­ti­­­­­­­­­fi­­­­­­­­­ca­­­­­­­­­tion à la sécu­­­­­­­­­rité sociale.

Un outil d’iden­­­­­­­­­ti­­­­­­­­­fi­­­­­­­­­ca­­­­­­­­­tion

De nombreuses insti­­­­­­­­­tu­­­­­­­­­tions ont accès aux données de ce registre natio­­­­­­­­­nal, en parti­­­­­­­­­cu­­­­­­­­­lier, en ce qui nous concerne, celles de protec­­­­­­­­­tion sociale (sécu­­­­­­­­­rité sociale comme l’ONEm ou l’INAMI par exemple, aide sociale comme les CPAS). Ces insti­­­­­­­­­tu­­­­­­­­­tions sont aver­­­­­­­­­ties de façon élec­­­­­­­­­tro­­­­­­­­­nique des modi­­­­­­­­­fi­­­­­­­­­ca­­­­­­­­­tions surve­­­­­­­­­nues dans ce registre : démé­­­­­­­­­na­­­­­­­­­ge­­­­­­­­­ment, mariage/ divorce, nais­­­­­­­­­sance, décès, etc. Ce qui ne dispense cepen­­­­­­­­­dant pas les assu­­­­­­­­­rés sociaux de décla­­­­­­­­­rer eux-mêmes ces chan­­­­­­­­­ge­­­­­­­­­ments auprès de l’ins­­­­­­­­­ti­­­­­­­­­tu­­­­­­­­­tion dont ils dépendent, d’au­­­­­­­­­tant que si les chan­­­­­­­­­ge­­­­­­­­­ments défa­­­­­­­­­vo­­­­­­­­­rables font souvent l’objet d’une adap­­­­­­­­­ta­­­­­­­­­tion auto­­­­­­­­­ma­­­­­­­­­tique, c’est rare­­­­­­­­­ment le cas des modi­­­­­­­­­fi­­­­­­­­­ca­­­­­­­­­tions qui ont une réper­­­­­­­­­cus­­­­­­­­­sion favo­­­­­­­­­rable pour la personne. En outre, la non-décla­­­­­­­­­ra­­­­­­­­­tion d’un chan­­­­­­­­­ge­­­­­­­­­ment est sujette à sanc­­­­­­­­­tion.

Un outil de contrôle

L’ins­­­­­­­­­crip­­­­­­­­­tion à un domi­­­­­­­­­cile permet de savoir en prin­­­­­­­­­cipe qui se trouve où. Avec le problème évidem­­­­­­­­­ment qu’a­­­­­­­­­près une décla­­­­­­­­­ra­­­­­­­­­tion initiale, la situa­­­­­­­­­tion peut chan­­­­­­­­­ger sans que l’in­­­­­­­­­té­­­­­­­­­ressé signale spon­­­­­­­­­ta­­­­­­­­­né­­­­­­­­­ment le chan­­­­­­­­­ge­­­­­­­­­ment. Cette ques­­­­­­­­­tion a pris une acuité parti­­­­­­­­­cu­­­­­­­­­lière suite aux atten­­­­­­­­­tats du 22 mars 2016. Le ministre N-VA de l’In­­­­­­­­­té­­­­­­­­­rieur, Jan Jambon, a insuf­­­­­­­­­flé une série de mesures de contrôle des domi­­­­­­­­­ciles, notam­­­­­­­­­ment via son fameux « Plan Canal » dont la philo­­­­­­­­­so­­­­­­­­­phie a dépassé les communes bruxel­­­­­­­­­loises parti­­­­­­­­­cu­­­­­­­­­liè­­­­­­­­­re­­­­­­­­­ment visées. Un bilan objec­­­­­­­­­tif de ces opéra­­­­­­­­­tions est encore à faire mais, de notre expé­­­­­­­­­rience de terrain, il nous semble qu’elles ont surtout abouti à chas­­­­­­­­­ser des personnes en situa­­­­­­­­­tion de préca­­­­­­­­­rité plutôt qu’à débusquer d’éven­­­­­­­­­tuels terro­­­­­­­­­ris­­­­­­­­­tes…

Paral­­­­­­­­­lè­­­­­­­­­le­­­­­­­­­ment, après des années de lais­­­­­­­­­ser-faire, les communes ont décidé de serrer la vis en matière de respect des règles urba­­­­­­­­­nis­­­­­­­­­tiques.

Il s’agis­­­­­­­­­sait d’une réac­­­­­­­­­tion, tardive, à la multi­­­­­­­­­pli­­­­­­­­­ca­­­­­­­­­tion de la créa­­­­­­­­­tion anar­­­­­­­­­chique de loge­­­­­­­­­ments via la divi­­­­­­­­­sion, sans auto­­­­­­­­­ri­­­­­­­­­sa­­­­­­­­­tion, de maisons unifa­­­­­­­­­mi­­­­­­­­­liales et même d’ap­­­­­­­­­par­­­­­­­­­te­­­­­­­­­ments. L’in­­­­­­­­­ten­­­­­­­­­tion initiale, louable, était de s’en prendre aux marchands de sommeil et autres exploi­­­­­­­­­teurs. Mais à nouveau, ce sont les plus dému­­­­­­­­­nis qui casquent. La situa­­­­­­­­­tion la plus spec­­­­­­­­­ta­­­­­­­­­cu­­­­­­­­­laire à cet égard est celle-ci, fréquente : une maison unifa­­­­­­­­­mi­­­­­­­­­liale, trans­­­­­­­­­for­­­­­­­­­mée sans demande ni auto­­­­­­­­­ri­­­­­­­­­sa­­­­­­­­­tion en appar­­­­­­­­­te­­­­­­­­­ments multiples, est dès lors consi­­­­­­­­­dé­­­­­­­­­rée comme un loge­­­­­­­­­ment unique. Donc, tous les occu­­­­­­­­­pants, quand bien même ils sont des voisins ne se connais­­­­­­­­­sant pas ou à peine, se retrouvent inscrits dans un seul et même loge­­­­­­­­­ment. Consé­quence : ils se retrouvent tous sur la même fameuse compo­­­­­­­­­si­­­­­­­­­tion de ménage !

Un outil détourné

Et c’est là que cela pose ques­­­­­­­­­tion en matière sociale. Evidem­­­­­­­­­ment, car les logiques admi­­­­­­­­­nis­­­­­­­­­tra­­­­­­­­­tive et urba­­­­­­­­­nis­­­­­­­­­tique de l’ins­­­­­­­­­crip­­­­­­­­­tion à un domi­­­­­­­­­cile ne sont pas comme telles trans­­­­­­­­­po­­­­­­­­­sables pour la légis­­­­­­­­­la­­­­­­­­­tion sociale. Le statut coha­­­­­­­­­bi­­­­­­­­­tant a été instauré dans l’as­­­­­­­­­su­­­­­­­­­rance chômage (notam­­­­­­­­­ment) en 1981. Le problème est que, dans la régle­­­­­­­­­men­­­­­­­­­ta­­­­­­­­­tion, actuel­­­­­­­­­le­­­­­­­­­ment régie par l’ar­­­­­­­­­ticle 110 § 3 de l’ar­­­­­­­­­rêté royal du 25 novembre 1991 portant sur la régle­­­­­­­­­men­­­­­­­­­ta­­­­­­­­­tion du chômage, le statut de coha­­­­­­­­­bi­­­­­­­­­tant est défini par défaut : « est coha­­­­­­­­­bi­­­­­­­­­tant celui ou celle qui n’est ni chef de ménage, ni isolé ». Ce qui concerne donc bien d’autres personnes que le conjoint : le jeune qui sort des études et habite encore chez ses parents, des sœurs, des cousins, un parent âgé accueille un enfant à un étage de la maison et puis, au fur et à mesure que les problèmes de loge­­­­­­­­­ment se sont aggra­­­­­­­­­vés, de plus en plus de sous-loca­­­­­­­­­taires, colo­­­­­­­­­ca­­­­­­­­­taires, souvent sans aucun lien de parenté ni de rapport affec­­­­­­­­­tif, amou­­­­­­­­­reux, sexuel, ni même amical. Il faut donc être plus précis sur ce qu’on entend par coha­­­­­­­­­bi­­­­­­­­­ta­­­­­­­­­tion. L’ar­­­­­­­­­rêté royal est assorti d’un arrêté minis­­­­­­­­­té­­­­­­­­­riel du 26 novembre 1991 qui stipule les moda­­­­­­­­­li­­­­­­­­­tés d’ap­­­­­­­­­pli­­­­­­­­­ca­­­­­­­­­tion, dont cet article 59 : « Par coha­­­­­­­­­bi­­­­­­­­­ta­­­­­­­­­tion, il y a lieu d’en­­­­­­­­­tendre le fait, pour deux ou plusieurs personnes, de vivre ensemble sous le même toit et de régler prin­­­­­­­­­ci­­­­­­­­­pa­­­­­­­­­le­­­­­­­­­ment en commun les ques­­­­­­­­­tions ména­­­­­­­­­gères ». Il y a dans cette défi­­­­­­­­­ni­­­­­­­­­tion trois éléments : « sous le même toit », « ensemble » et le « règle­­­­­­­­­ment en commun des ques­­­­­­­­­tions ména­­­­­­­­­gères »1. Et c’est là que le critère de la compo­­­­­­­­­si­­­­­­­­­tion de ménage pose problème ! Car les insti­­­­­­­­­tu­­­­­­­­­tions de protec­­­­­­­­­tion sociale, surtout l’ONEm et souvent aussi les CPAS, consi­­­­­­­­­dèrent la compo­­­­­­­­­si­­­­­­­­­tion de ménage comme l’at­­­­­­­­­tes­­­­­­­­­ta­­­­­­­­­tion d’une situa­­­­­­­­­tion de coha­­­­­­­­­bi­­­­­­­­­ta­­­­­­­­­tion, jusqu’à preuve du contraire à établir par l’in­­­­­­­­­té­­­­­­­­­ressé. Or, il y a là un détour­­­­­­­­­ne­­­­­­­­­ment qui est inac­­­­­­­­­cep­­­­­­­­­table. En effet, l’agent de quar­­­­­­­­­tier qui doit consta­­­­­­­­­ter la maté­­­­­­­­­ria­­­­­­­­­lité de la rési­­­­­­­­­dence n’est pas formé pour inter­­­­­­­­­­­­­­­­­pré­­­­­­­­­ter la légis­­­­­­­­­la­­­­­­­­­tion sociale.

Une juris­­­­­­­­­pru­­­­­­­­­dence claire

Car la juris­­­­­­­­­pru­­­­­­­­­dence récente a bien rappelé qu’il ne suffi­­­­­­­­­sait pas d’ha­­­­­­­­­bi­­­­­­­­­ter sous le même toit pour être consi­­­­­­­­­dé­­­­­­­­­rés comme « vivant ensemble » sous ce toit. Rien que pour la Cour du travail de Bruxelles (et pour les cas portés à notre connais­­­­­­­­­sance), il y a eu un arrêt prononcé en 2015, cinq en 2016 et trois début 2017 qui ont chaque fois conclu qu’il n’y avait pas coha­­­­­­­­­bi­­­­­­­­­ta­­­­­­­­­tion. Si chaque affaire présente ses spéci­­­­­­­­­fi­­­­­­­­­ci­­­­­­­­­tés, il s’agit géné­­­­­­­­­ra­­­­­­­­­le­­­­­­­­­ment de cas dans lesquels tout en dispo­­­­­­­­­sant d’un « espace priva­­­­­­­­­tif », le chômeur partage une partie du loge­­­­­­­­­ment (le plus souvent les sani­­­­­­­­­taires et la cuisine). Presque systé­­­­­­­­­ma­­­­­­­­­tique­­­­­­­­­ment, l’ONEm se pour­­­­­­­­­voit en cassa­­­­­­­­­tion. Or, la Cour de cassa­­­­­­­­­tion a pris, à l’au­­­­­­­­­tomne 2017, un arrêt très inté­­­­­­­­­res­­­­­­­­­sant sur un cas semblable qui confirme ces inter­­­­­­­­­­­­­­­­­pré­­­­­­­­­ta­­­­­­­­­tions favo­­­­­­­­­rables aux chômeurs2. La Cour de cassa­­­­­­­­­tion rappelle cepen­­­­­­­­­dant que : « Il appar­­­­­­­­­tient à l’as­­­­­­­­­suré social qui vit en colo­­­­­­­­­ca­­­­­­­­­tion de prou­­­­­­­­­ver lui-même qu’il partage unique­­­­­­­­­ment la loca­­­­­­­­­tion, les charges et quelques espaces avec ses colo­­­­­­­­­ca­­­­­­­­­taires ». Ce qui pose bien tout le problème de cette présomp­­­­­­­­­tion, à renver­­­­­­­­­ser par le chômeur, de la compo­­­­­­­­­si­­­­­­­­­tion de ménage.

Des pistes de solu­­­­­­­­­tions

La vraie solu­­­­­­­­­tion serait évidem­­­­­­­­­ment de suppri­­­­­­­­­mer le statut coha­­­­­­­­­bi­­­­­­­­­tant. En atten­­­­­­­­­dant, il est déjà possible d’amé­­­­­­­­­lio­­­­­­­­­rer la situa­­­­­­­­­tion. Soit l’on décrète que la commune n’a pas à déci­­­­­­­­­der de la qualité d’isolé (ou pas) de la personne qu’elle inscrit, soit l’on forme les agents de quar­­­­­­­­­tier à évaluer la situa­­­­­­­­­tion de fait selon les critères de la légis­­­­­­­­­la­­­­­­­­­tion sociale soit, enfin, sans doute le plus simple, on inter­­­­­­­­­­­­­­­­­dit à l’ONEm (et aux autres insti­­­­­­­­­tu­­­­­­­­­tions sociales) de consul­­­­­­­­­ter cette infor­­­­­­­­­ma­­­­­­­­­tion dans le registre natio­­­­­­­­­nal vu, qu’en soit, elle n’est pas perti­­­­­­­­­nen­­­­­­­­­te…

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1. Ces notions sont déve­­­­­­­­­lop­­­­­­­­­pées dans notre analyse de décembre 2016 inti­­­­­­­­­tu­­­­­­­­­lée « Coha­­­­­­­­­bi­­­­­­­­­ter sépa­­­­­­­­­ré­­­­­­­­­ment ? » dispo­­­­­­­­­nible sur http://www.asbl-csce.be/docu­­­­­­­­­ments/ Coha­­­­­­­­­bi­­­­­­­­­ter­­­­­­­­­se­­­­­­­­­pa­­­­­­­­­re­­­­­­­­­ment.pdf
2. Lire nos analyses de cet arrêt dans Ensemble ! n° 95 p. 56 et Ensemble ! n° 96 p. 38.