PALESTINE| Les trois vies de Jérusalem (avril 2018)
Auteur : Paul Blanjean, Contrastes avril 2018, p6 à 7
Dans l’inconscient collectif, mais sans doute aussi individuel, Jérusalem sonne comme une chanson, comme un film, un souvenir réel ou imaginaire. Dans le réel, plusieurs regards sont possibles. Nous en évoquerons trois : celui des touristes, celui des pèlerins, mais surtout celui du quotidien au cœur de la vie mais aussi des conflits et des projets politiques.
Quand le soleil s’étire sur les maisons et murailles, prêt à se coucher, il faut pouvoir admirer Jérusalem depuis une route ou une colline qui surplombe la ville. Ensuite flâner dans les petites rues à la découverte de belles maisons aux larges pierres et des saveurs de fruits et légumes du soleil, déguster un jus frais et coloré. Lors de cette visite, il est impossible de ne pas rencontrer des pèlerins.
Jérusalem, ville sainte
Des chrétiens (dont beaucoup d’orthodoxes) revivent le parcours de Jésus, portant parfois une lourde croix de bois sur les épaules, sans doute pour “mieux expier leurs péchés”.
Au mur des lamentations, Kippa sur la tête, des centaines de Juifs touchent les pierres et prient. Juste au-dessus s’étale l’esplanade des mosquées. Située sur le Mont du Temple, site de l’ancien temple de Jérusalem, la mosquée Al-Aqsa est le troisième lieu saint de l’Islam. On ne peut y entrer qu’en ôtant ses chaussures et en se couvrant. Elle est richement décorée : bois sculptés, dorures, mosaïques, contribuent à sa majestuosité. Elle respire le silence et le recueillement. Les images touristiques semblent présenter un tableau idyllique, celui d’une belle cohabitation entre les habitants, quelle que soit leur nationalité ou leur religion, ou encore des images comme celle d’un étal de magasin rempli de chapelets à proximité d’un homme proposant aux passants des petits livrets de présentation du Coran en anglais ou en français.
Jérusalem, ville maudite
A l’issue de la guerre des 6 jours, en 1967, Jérusalem- Est, essentiellement peuplée de Palestiniens qui souhaitent en faire la capitale de leur Etat, est annexée par Israël. La résolution 267 du Conseil de Sécurité de l’ONU condamne cette situation. Différentes tentatives d’Israël de faire de Jérusalem une ville « unifiée », capitale de leur Etat, connaîtront le même sort. En 1995, le « Jerusalem Ambassy Act » adopté par le Congrès américain fixe Jérusalem comme capitale d’Israël… mais permet d’y déroger en raison d’intérêts de sécurité nationale. Ce que tous les présidents américains ont appliqué, jusqu’en 2017… Aujourd’hui, les Palestiniens vivent essentiellement dans “Jérusalem-Est”, le quartier palestinien.
L’Etat d’Israël a mis en place des dispositifs qui organisent la colonisation mais aussi la domination des Palestiniens. Dans les quartiers de Jérusalem-Est, on rencontre cependant des Israéliens. Mais on n’est pas dans une démarche de volonté d’une société multiculturelle. Bien gardées et souvent flanquées de caméras de surveillance, ces maisons sont avant tout reconnaissables parce qu’il y a toujours des drapeaux bleus et blancs « à l’étoile de David » qui y flottent. Ces maisons ont été confisquées aux habitants. Il existe de nombreux mécanismes légaux qui permettent à des familles juives de (re)prendre possession de maisons habitées, parfois depuis de très nombreuses générations par des Palestiniens.
Même si des Palestiniens habitent ces maisons de génération en génération, ils ne possèdent pas nécessairement des actes de propriété ou tout document similaire qui permettrait même aux yeux des autorités israéliennes de certifier qu’il s’agit bien de leur maison. Et si par malheur, des Israéliens disposent d’un document indiquant qu’un siècle plus tôt, par exemple, cette maison était propriété de leur famille, le recours auprès du tribunal aboutit de façon favorable à cette famille (qui le plus souvent dispose déjà d’une propriété) et les Palestiniens installés dans cette maison, peut-être depuis 2 ou 3 générations, se voient expulsés de leur logement.
Ces expropriations ne répondent pas seulement à des actions individuelles, elles s’inscrivent aussi dans une volonté de judaïsation. Ce phénomène ne se limite pas à la vieille ville de Jérusalem, il concerne tout Jérusalem-Est déjà enclavée entre des colonies.
Une autre manière de vider ces quartiers de la population palestinienne est par exemple de ne pas procurer les documents permettant le séjour à une jeune femme, provenant d’une autre ville, se mariant avec un habitant de Jérusalem. Si ce procédé, tout comme le mur ne concerne pas que Jérusalem, cela constitue cependant des éléments des violences institutionnelles vécues au quotidien par les Palestiniens de Jérusalem. Construit entre 2012 et 2016, le mur est avant tout une barrière de séparation qui symbolise bien la politique d’apartheid voulue par les autorités israéliennes.
Un Palestinien ne peut pas voyager où il veut à l’intérieur de son pays occupé. Il doit disposer des autorisations nécessaires qui indiquent les zones où il peut ou non se rendre.
En plus, son édification n’a nullement tenu compte d’éléments humains ou sociaux. Les Palestiniens qui veulent se rendre à leur travail ou qui souhaitent visiter leur famille, doivent, quand les activités et les personnes sont situées de l’autre côté du mur, disposer d’un permis de résidence1 et faire des détours afin de passer près de checkpoints…
Jérusalem… capitale(s)
Parmi les solutions au conflit israélo-palestinien est avancée la solution à deux Etats. Dans ce scénario, cela signifie la reconnaissance internationale d’Israël et de la Palestine. Chaque Etat disposerait de ses infrastructures, de ses institutions… et d’une capitale. Dans ces conditions, peut-on imaginer un véritable partage de Jérusalem… capitale des deux Etats ? Dans l’état actuel des choses, alors qu’aucune solution politique ne fait à la fois l’objet d’un accord et d’une concrétisation, la déclaration du président américain Donald Trump reconnaissant Jérusalem comme capitale d’Israël est une petite bombe.
Par cette reconnaissance, Trump mine totalement les revendications légitimes des Palestiniens de faire de Jérusalem la capitale de leur Etat. Il mine aussi tout processus de négociation dans lequel les USA pourraient jouer le rôle de médiation… Il mine aussi les accords d’Oslo.2
Mais pouvez-vous vous demander légitimement pourquoi diable alors faire de façon aussi solennelle cette proposition ?Plusieurs analystes3 mettent en avant une motivation bien éloignée de celle d’un accord israélo- palestinien, dictée par une promesse de campagne qui satisfait une partie de sa base électorale… non seulement des Juifs américains, mais aussi des chrétiens évangéliques sionistes parmi lesquels on trouve le vice-président Mike Pence.
Et comme on approche des élections de la “mi-mandat”, il est impératif pour le président de disposer d’une majorité au Congrès. Les propos de Donald Trump ont entraîné de nombreuses désapprobations (parfois très modérées), non seulement de la part de certains pays arabes4, mais aussi auprès d’alliés européens. Ces derniers ne sont malheureusement pas en capacité de prendre le rôle de médiateurs pour lequel les USA se sont, par cette déclaration de leur président, totalement discrédités. De plus, la faiblesse des réactions à l’encontre de cette déclaration n’a pas permis de construire un front international de solidarité avec le peuple palestinien.
La nuit tombe sur Jérusalem et ses vieux quartiers. Elle n’a jamais été aussi incertaine pour ses habitants palestiniens.
1. Le permis de résidence, accordé par les autorités israéliennes aux citoyens palestiniens peut aussi être retiré pour différentes raisons (y compris si leur centre de vie se déplace en dehors de Jérusalem).
2. Les accords d’Oslo sont les résultats de discussions menées entre Palestiniens et Israéliens sous l’impulsion du président américain Bill Clinton, en 1993. La déclaration de principes prévoyait un mode de négociations pour régler le conflit et instaurer une paix durable. Ce processus sera souvent « malmené » entre autres sur la question du statut de Jérusalem.
3. Dont Nathalie, Janne d’Othée et Kataryna Lemanska « Donald Trump reconnaît Jérusalem comme capitale d’Israël : décryptage – in « Palestine : bulletin de l’Association belgo-palestinienne » n° 75 janvier – février 2018.
4. Il faut constater que du côté des pays arabes, on n’assiste pas à un levier de bouclier unanime pour différentes raisons essentiellement géostratégiques.
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