L’ESSENTIEL, C’EST LE GROUPE (Juin 2022)
Françoise Caudron, Contrastes juin 2022, p 3 à 5
La spécificité des Equipes Populaires est de rassembler des citoyens à l’échelon local, dans la proximité, en prônant des valeurs d’égalité. Si les formes varient, le principe du travail en groupe est et reste fondamental. Il est un lieu d’échange, d’émancipation individuelle et de construction d’un savoir collectif.
Si vous fréquentez quelque peu les Equipes Populaires, vous avez certainement déjà entendu cette petite maxime « L’essentiel c’est le groupe ! ». Nous l’avons encore réaffirmé lors de la réécriture de nos orientations en 2017. Il est cependant loin le temps où les groupes avaient tous la même forme et le même type de fonctionnement, celui d’une « équipe » qui se réunit à tour de rôle chez un de ses membres pour débattre d’un sujet d’actualité ou d’un thème lié à la réalité de vie de chacun.
Aujourd’hui les groupes et projets menés au sein du mouvement prennent des formes multiples, touchent un public diversifié, ont des temporalités variées et s’organisent régulièrement en partenariat avec d’autres structures. Entre groupes à thème, démarches créatives, expérimentations par le « faire soi-même » et organisation de débats publics, la diversité est de mise.
Le groupe est le lieu d’échange et de construction d’un savoir collectif, où se vit et se construit dans la durée une émancipation individuelle mais aussi et surtout collective. Il permet à chacun d’exprimer son avis, d’échanger et de partager dans le respect des idées de chacun, de découvrir, comprendre, expliquer, accepter la complexité du débat et d’y prendre part activement en tant que citoyen.
Des groupes à thèmes prioritaires
Il n’est pas rare qu’un groupe ou une initiative se construise au départ d’un thème, d’une problématique précise. Ainsi, les groupes d’achats collectifs se sont construits au départ de l’enjeu de l’accès à une alimentation saine et durable pour tous. Les ateliers « question logement », eux, se mettent en place pour répondre aux questions de nombreux locataires sur leurs droits et devoirs mais visent aussi à construire des revendications communes pour faciliter l’accès à un logement décent pour tous…
Des démarches créatives
Les initiatives de théâtre-action, les ateliers de rédaction et de
création d’histoires digitales, d’écriture de contes, de conception de jeux de société… sont autant de manières de faire de l’éducation permanente autrement que par des réunions classiques. Ici, c’est par et grâce à la créativité que se libère la parole. L’avantage de ces formes créatives est qu’elles permettent facilement d’aller vers le grand public et donc de faire connaître le travail réalisé, de confronter les réflexions du groupe et de
susciter le débat public.
Comme dirait notre président Guillaume Lohest, « Proximité – Citoyenneté – Egalité » sont trois mots en « té » qui résument à l’extrême la démarche déployée au quotidien par le mouvement. J’aurais envie de compléter ces trois mots par deux autres : « Diversité et Créativité ».
Des expérimentations par le faire soi-même
Le « faire soi-même » s’est aussi beaucoup développé au cours de ces dernières années : des potagers collectifs, des ateliers pratiques de réalisation de produits d’entretien ou de produits cosmétiques, des ateliers de couture, de tricot… Autant d’occasions de se rencontrer, d’échanger et d’expérimenter ensemble des pratiques qui nous ouvrent la porte des possibles vers une société plus juste et plus respectueuse de l’environnement. Bien plus que des actes pratiques ou techniques, ces initiatives sont le fruit de réflexions sur l’impasse dans laquelle nous mène la société capitaliste néolibérale. Faire de petits gestes ensemble,
c’est déjà apporter sa contribution à la construction d’un monde plus juste. C’est aussi l’occasion d’échanger, de débattre, de libérer la parole et de faire connaître nos démarches auprès d’un plus large public.
Des partenariats multiples
Comme notre nom l’indique, nous revendiquons le fait de travailler avec un public populaire. Pour aller vers ce public, les régionales ont pris l’option de collaborer avec des associations de première ligne, en contact quotidien avec des personnes fragilisées : des centres d’insertion socio-professionnelle, des AID, des CPAS, des plans de cohésion sociale, des maisons médicales… C’est comme ça que sont nés, notamment, les « ateliers conso » ou les « écoles de consommateurs ». D’autres partenariats se mettent en place également avec des centres culturels, avec d’autres associations d’éducation permanente… parce que cela fait sens pour le projet et permet de lui donner une envergure plus importante.
De nombreux débats citoyens
La plupart des régionales organisent des cycles récurrents de débats citoyens. Qu’ils s’appellent « rencontres citoyennes », « midi-cinés » ou encore « cafés citoyens », ce sont autant de lieux d’ancrage local qui suscitent une dynamique de débat, développent l’esprit critique et permettent de toucher un public plus large et diversifié. C’est l’occasion de confronter les points de vue et de se laisser bousculer par la multiplicité des regards sur les sujets abordés.
Voir-Juger-Agir, avec le groupe
« Pour moi, l’éducation permanente dans des groupes, c’est d’abord tisser des liens entre les participants. La convivialité y est donc fort importante. C’est d’abord en se connaissant les uns les autres, en apprenant les différences des autres et en les respectant que l’on peut mieux agir de concert tout en solidarité et bienveillance. On apprend à connaître la réalité des autres, à partir de l’expertise du vécu de chacun. On confronte les avis de toutes les personnes, on débat et on fait réfléchir. On fait évoluer notre façon de penser. On déconstruit nos préjugés. » [une militante]
Tisser des liens, ouvrir des lieux d’expression collective, d’analyse critique avec les gens, là où ils se trouvent, au départ de leur réalité de vie, c’est le leitmotiv des EP. Le processus « Voir-Juger-Agir » (VJA) initié par Joseph Cardijn est toujours pleinement d’actualité.
La démarche VJA place les personnes au centre du processus. Ce sont ceux et celles qui sont directement confrontés aux situations injustes, qui vivent au quotidien les inégalités sociales, qui sont les mieux placés pour en parler. Chacun va pouvoir faire part de son indignation, exprimer sa colère face à des situations d’exclusion et d’injustices. On analyse ensemble ces situations et on identifie les mécanismes sous-jacents qui les provoquent. Dans le processus VJA, l’action n’est pas un objectif en soi mais fait partie intégrante du processus. Il n’est pas rare d’ailleurs que ce soit l’action qui mobilise des citoyens pour les amener ensuite vers une réflexion plus approfondie.
« J’ai osé prendre la parole et appris à la donner aux autres. J’ai appris des mécanismes que je ne connaissais pas. On découvre nos propres capacités grâce à la préparation des réunions à tour de rôle (investigations, animation du débat), on en apprend beaucoup sur nous-mêmes et sur les autres. » [un militant]
Le partage des tâches au sein des groupes, la mise en responsabilité de chacun, permettent de valoriser les capacités des uns et des autres. Etre sollicité pour préparer et animer une réunion, pour prendre la parole en public quand on ne l’a jamais fait sont des moments très valorisants qui développent la confiance en soi. Oser sortir de sa zone de confort est une
étape fondamentale.
« La méthode VJA n’est pas une simple méthode pédagogique,
c’est d’abord et avant tout un processus de transformation sociale vers une société plus démocratique, qui place au centre de sa démarche l’éducation articulée à l’action collective et le développement de toutes les facettes de la personnalité de ceux et celles qui s’y engagent ».1
Plusieurs décennies plus tard, on constate que la méthode initiée par Joseph Cardijn n’a rien perdu de sa pertinence !
IL ET ELLES TÉMOIGNENT
Ce que je retiens des Equipes Populaires c’est d’abord et avant tout le fort ancrage local, dans les localités. C’est également le travail de long terme qui est mené, au départ des attentes et besoins des « équipiers » afin d’être des citoyens actifs et solidaires au cœur des lieux de vie. Loin des approches théoriques mais en mobilisant les énergies de la population telle qu’elle est dans sa diversité, les Equipes Populaires pratiquent la démocratie participative, au fond, dans la durée. Telle est la marque de fabrique des Equipes Populaires. Il ne s’agit pas d’une marque déposée mais éprouvée et reconnue. Nul besoin de sondage pour cerner les angoisses et les peurs, pour identifier les besoins de protection à travailler, juste une écoute attentive des épreuves de la vie traversées par les un·e·s et les autres. Humilité et constance dans le travail de terrain, convivialité et fraternité caractérisent le travail quotidien. Chapeau pour cela. Marie-Hélène Ska, secrétaire générale de la CSC
Pour moi les Equipes Populaires c’est : Un mouvement réparti en groupes, des équipes, c’est-à-dire des gens qui avancent dans la même direction. Populaire, j’y vois une force qui
vient des citoyens, de la population. C’est d’abord l’occasion pour chacun de partager des ressentis entre citoyens et de le faire savoir à nos autorités de façon constructive, par le dialogue. Pour y arriver, nous avons besoin d’apprendre, d’échanger et c’est là que l’Éducation permanente intervient. Notre mouvement tend à aller vers toutes les populations, il essaie d’atteindre les gens qui n’ont que rarement droit à la parole. De plus il chemine avec chacun où qu’il se situe dans la société. Je suis chrétienne et je retrouve le message renversant
de Jésus-Christ dans les EP. J’aime la recherche de justice sociale, la volonté de ne jamais laisser en arrière les droits fondamentaux de chaque humain. Je reprendrai les termes de
Guillaume Lohest : « Se questionner ensemble, débattre, à l’aide de tous les outils que nous donne l’Éducation permanente, devenir des citoyens qui prennent part à la vie de la Cité. »
Monique Renard, militante aux Equipes Populaires de VerviersÇa fait… 75 ans que les Equipes Populaires mènent un travail remarquable avec leurs militant.e.s intrinsèquement ancrés dans les milieux populaires, au niveau rural comme urbain.
75 ans que les Equipes Populaires mènent un travail culturel pour transformer la société vers une société plus égalitaire, plus respectueuse et plus accueillante. 75 ans que les Equipes Populaires travaillent en approfondissant des enjeux de société qui se trouvent au cœur de l’actualité, tels que le logement, l’énergie ou encore la démocratie et le rapport aux institutions. 75 ans que les Equipes Populaires réalisent un travail fondamental de pédagogie et de délibération collective autour de ces enjeux en se faisant le relais entre les citoyen.ne.s, les
politiques et les structures sociales. 75 ans que les Equipes Populaires se font le porte-voix des colères… 75 ans que les Equipes Populaires façonnent de la dignité.
Ariane Estenne, présidente du MOCDepuis 1972, je fais partie des Equipes Populaires. J’ai découvert un monde très varié, de couches sociales diverses, et la venue des femmes nous a ouvert une autre approche de la société. Aux EP on se parle, on s’écoute sur tous les sujets de société : l’économie, le social, le monde de l’entreprise, le monde du travail (les restructurations, la souffrance au travail et la vie des jeunes dans le monde du travail), mais aussi les enfants, l’école et le sens de la vie. On s’écoute, on s’exprime, on ne juge pas et on prend de l’assurance. Même dans les difficultés, on peut se raconter et se sentir moins seul. On ose prendre des responsabilités. Un jour on découvre que nos limites ont changé. On grandit. Pour ma part, ayant été président de la régionale de Charleroi, accompagné du permanent et du comité fédéral, j’ai commencé à écrire des articles pour le bulletin de liaison régional. Et je continue encore aujourd’hui à écrire pour « Equipons-nous » sur beaucoup de sujets pour inviter les amis à la réflexion sur la société. Découvrir la vie du mouvement et collaborer comme militant au futur est une force et un engagement. L’éducation permanente est le seul moyen pour devenir critique, responsable et être émancipé. Vive le groupe local !
Georges Huybrechts, militant de la régionale de Charleroi