Libéralisation de l’énergie : échec sur toute la ligne (Août 2023)
Guillaume Lohest, Contrastes août 2023, p. 16 à 18
La libéralisation de l’énergie en Région wallonne et à Bruxelles date de 2007. Les défenseurs des lois du marché nous avaient vanté les vertus de la privatisation et avaient minutieusement déconstruit l’attachement des citoyen.ne.s à leurs services publics. Dans le domaine de l’énergie, la libéralisation devait faire baisser les prix et favoriser la transition énergétique. Quinze ans après, les promesses ont laissé place à l’amertume et au doute. Pour cet article, nous avons retrouvé les déclarations officielles, via voie de presse ou lors de prises de parole, des personnalités publiques qui se sont exprimées sur le sujet, à l’époque ou plus récemment. Nous les avons comparées à la réalité vécue par les citoyens.
Pourquoi a-t-on libéralisé ? Les origines idéologiques
La libéralisation de l’énergie est un projet qui s’enracine dans une vision néolibérale de l’économie. Selon cette vision, l’État doit laisser toute la place aux entreprises privées. Mieux encore, pour les tenants du néolibéralisme, l’État doit même favoriser les entreprises privées. À partir des années 80 et jusqu’aux années 2000, on assiste donc à une vague de libéralisation, partielle ou totale selon les pays, de toute une série de services autrefois publics : les chemins de fer, les télécoms, l’énergie… Certains ont même envisagé de privatiser l’enseignement ou la santé.
Avec quels arguments ? Les promesses de départ
Tout au long des phases de préparation puis d’application de la libéralisation de l’énergie au sein de l’Union européenne (directives successives entre 1996 et 2009), les arguments principaux étaient la perspective d’une diminution des prix, la transparence du marché et donc une meilleure information pour les citoyen·ne·s, un renforcement de la coopération entre États membres, ainsi que des leviers de transition écologique avec de nouvelles possibilités de développement des énergies renouvelables.
Avec quels arguments ? Les promesses de départ
Au niveau de l’Europe, au niveau national, au niveau régional, de nombreux acteurs ont appelé à cette libéralisation, avec parfois une certaine urgence.
Avec quels arguments ?
Les promesses de départ
Il faut préciser qu’à ce moment, avant la libéralisation de la fourniture d’électricité, le monopole d’Électrabel était plutôt mal perçu par les citoyen·ne·s et par les experts.
Un plus grand choix pour les consommateurs ?
La réalité des vécus
Cette idée que les gens vont pouvoir comparer les offres des contrats d’énergie et faire le meilleur choix est une pure idée théorique et abstraite ! En réalité, sauf exception, personne n’a une passion
spontanée pour son contrat d’énergie et pour les simulateurs d’offre. Ce n’est pas à cela qu’on aime passer son temps libre. La libéralisation de l’énergie nous montre, par l’absurde, l’horrible vision de l’être humain véhiculée par le capitalisme néolibéralx: nous devrions passer nos vies à calculer, à mettre en concurrence, à classer ce qui nous entoure en coûts et en bénéfices. Désolé : nous avons bien mieux à faire. Nous refusons d’être des Homo Œconomicus. La libéralisation de l’énergie n’a pas créé des consommateurs mieux informés et heureux de changer de fournisseur dans un agréable marché, mais l’inverse. Elle a généré un climat de compétition anxiogène, avec des fournisseurs agressifs, certains difficilement joignables, pratiquant des contrats illisibles et du démarchage abusif, avec de nombreux cas de tromperies avérées de personnes en situation de faiblesse, obligeant les pouvoirs publics à investir dans la prévention et à légiférer davantage
Les prix ont-ils diminué ? La preuve par les chiffres
La guerre en Ukraine a bon dos. Pourtant, bien avant celle-ci, on constatait une hausse des prix de l’énergie pour les consommateurs. Cette hausse est également imputable à d’autres postes (TVA, contributions, distribution…) que la molécule d’énergie elle-même, en tout cas avant 2021, mais il n’empêche. Cette hausse, dans son ensemble, et la flambée récente, montrent bien que la libéralisation n’est certainement pas la solution miracle qui avait été promise. Elle est même sans doute la pire des configurations possibles pour affronter les crises et l’épuisement des ressources.
Conclusion
La transition a-t-elle eu lieu ? Hum, hum La réponse à cette question est toute simple : non, il n’y a eu aucune transition énergétique, ni à l’échelle mondiale, ni à l’échelle européenne, ni à l’échelle belge. Bien sûr, la part de production des énergies renouvelables a considérablement augmenté depuis une quinzaine d’années. Mais cela ne s’est pas fait au détriment des autres sources non renouvelables, et certainement pas dans le cadre d’une transition à la hauteur des enjeux écologiques, encore moins des enjeux de justice sociale. Il serait évidemment abusif d’imputer cette lenteur de changement à la seule libéralisation. Mais force est de le constater : de telles règles du jeu économique ne permettent pas d’impulser de transition sérieuse.
Le mot de la fin
On cherche, on cherche… Mais on n’a pas encore trouvé d’argument en faveur de la libéralisation de l’énergie. La conclusion, c’est que c’est un échec sur toute la ligne.
Sources :
Robin Lemoine, « L’échec de la libéralisation », AlterÉchos, 14/04/2022.
Xavier Counasse, « L’échec de la libéralisation de l’énergie », Le Soir, 25/11/2022.
Vera Weghmann, L’échec de la libéralisation de l’énergie, Rapport pour l’EPSU, juillet 2019.
Aurélie Ciuti, « Libéralisation : sortir de l’impasse du marché », Contrastes, janvier-février 2022.
Compte-rendu du colloque : « La libéralisation fête ses dix ans », RWADÉ, FdSS, CSCE, 30 novembre 2017, Bruxelles