Populisme et migration – La tache brune s’agrandit (février 2019)
Auteur : Paul Blanjean, Contrastes février 2019, p 6–8
La conclusion d’une étude menée en novembre 2018 par le journal britannique The Guardian sur le populisme en Europe était sans appel. En 2018, un Européen sur quatre (25%) votait pour un parti populiste. Vingt ans plus tôt, ils n’étaient que 7%.
Il faudrait sans doute plus d’un article pour analyser ce phénomène. Nous allons essayer de donner quelques éléments d’explication en n’évitant pas la question qui fâche : y a-t-il un lien entre populisme et migration ?
Peuple et populisme
Le populisme peut-il être défini simplement comme la défense du peuple face aux élites ? Aujourd’hui, il a une connotation plutôt négative auprès des démocrates et dans les autres formations politiques car il est souvent synonyme de repli frileux et trouve principalement des débouchés auprès de la droite radicale. Pourtant, la gauche s’est construite dans les rapports de classe en défendant le peuple, la classe ouvrière face à la bourgeoisie. Le quotidien Le Peuple était un journal socialiste. Le titre est aujourd’hui un nom de domaine pour le site internet du Parti Populaire dont l’ancrage dans l’ultradroite n’est plus à démontrer. Mais l’invocation voire la sublimation du peuple n’est pas nouvelle au sein de la l’extrême droite. Le parti nazi a construit son ascension en louant le peuple face à ceux qui ont été désignés comme ses ennemis pour sa stratégie macabre… dont les juifs mais aussi les communistes en furent les premières victimes.1
Dans l’histoire de l’Union européenne, 2018 et 2019 resteront sans doute comme celles du Brexit. Le journal britannique The Guardian estime qu’un événement majeur comme celui-là ne peut être compris sans intégrer dans les causes la montée du populisme.
Avant la crise financière de 2008, le populisme était confiné à quelques partis essentiellement à l’est de l’Europe. Aujourd’hui, plusieurs partis populistes sont installés au pouvoir. Un des meilleurs exemples est sans doute celui de l’Italie gouvernée aujourd’hui par l’alliance entre la Ligue, parti d’extrême droite et le Mouvement 5 étoiles (M5S), jeune parti populiste créé en octobre 2009 et souvent présenté erronément comme un parti de gauche. M5S défend, certes, une priorité à l’économie locale et verte mais ne remet pas en question le capitalisme et défend des thèses « dures » au sujet de l’immigration au même titre que son partenaire de gouvernement. Mais l’Italie est loin d’être le seul pays touché par la vague populiste. La tache s’agrandit…
Du nord au sud et d’est en ouest
Aujourd’hui, le populisme a progressé dans de nombreux pays européens à la fois dans le discours et dans la représentation au sein des assemblées. La Grande-Bretagne évoquée plus haut est un exemple intéressant. On y retrouve à la fois une montée du discours souverainiste et anti-immigration au sein de la droite classique conservatrice qui a tenu un discours pro-brexit, et des positions plutôt pro-européennes et ouvertes à l’immigration auprès des partis nationalistes d’Ecosse, du Pays de Galles ou d’Irlande. Cela contraste sans doute avec d’autres pays…
La Hongrie est dirigée par Viktor Orban et son parti, le FIDESZ (Union civique hongroise). Il voudrait faire interdire l’installation en Hongrie de populations non européennes. Plus souverainiste qu’eurosceptique, il défend des politiques nationalistes et populistes (pour une société chrétienne, anti-migrants et anti multiculturelle…).
Jusqu’il y a peu, beaucoup d’Européens pensaient que les pays scandinaves étaient à l’abri de ce phénomène. Pourtant, aujourd’hui, ils y sont confrontés. En Norvège par exemple, le Parti du Progrès peut être défini comme libéral, conservateur et nationaliste. Il tient un discours anti immigrés et anti-Islam et participe au gouvernement. Au Danemark, des lois « anti-immigrés »2 ont été prises sous la pression du Dansk Folkeparti, le Parti du peuple danois. Ce pays est une belle illustration de la contamination des idées populistes et nationalistes, le parti Libéral faisant adopter plusieurs lois très restrictives à l’égard des migrants.
En Suède, l’argument « Les étrangers et réfugiés menacent le système social » tenu par le Parti démocrate, formation d’extrême droite, a déteint sur les autres partis suédois et influencé des mesures de remise en question des politiques migratoires et d’une société interculturelle.
Nous pourrions poursuivre ce tour d’Europe des droites populistes en évoquant le Parti des Vrais Finlandais mais aussi la situation dans d’autres pays comme la Pologne, la Grèce, l’Autriche ou la France. Un tour d’Europe qui n’oublierait pas la Belgique et tout spécialement la Flandre ou le Vlaams Belang et la N-VA marient ultrarégionalisme (voire nationalisme), conservatisme social et discours anti-migrants, le tout avec des accents populistes.
Les discours populistes seraient-ils l’apanage de la droite la plus extrême ? Elle n’en a pas le monopole. Si la droite « classique » est aussi touchée par ce phénomène, certains partis situés à la gauche de l’échiquier politique jouent parfois dangereusement avec des arguments populistes. Nous sommes en droit de nous demander si populisme de gauche et de droite sont proches. Le populisme de gauche est censé combiner la rhétorique « anti-élite » à l’anti- capitalisme, la justice sociale ou l’opposition à la mondialisation. Mais les populistes de droite s’appuient aussi sur des discours qui s’aventurent sur ces mêmes terrains et brouillent ainsi les cartes, facilitant l’adhésion à « l’antisystème »3 et le passage d’électeurs de l’un vers l’autre…
ALLIANCES DOUTEUSES EN ITALIE
En juillet 2018, le ministre italien de l’Intérieur Matteo Salvini a promis de faire des élections européennes « un référendum entre le monde de la finance et du travail, entre une Europe sans frontières avec une immigration de masse et une Europe qui protège ses citoyens ». Attardons-nous un instant à ce discours qui peut séduire plus d’un démocrate généralement électeur de gauche. Il promet, en effet, de combattre la finance et de protéger le citoyen. C’est un discours en « trompe-l’œil » car si le pro- gramme économique et social qu’il met en avant a des accents progressistes pour certaines mesures comme l’abaissement de l’âge de la pension, il évoque aussi une diminution des impôts. Cette dernière mesure est bien accueillie dans tous les milieux, mais séduit surtout les ultralibéraux car elle favorise les plus fortunés et prive l’Etat de moyens en faveur de programmes sociaux.
Ce n’est sans doute pas un hasard que le très droitier ex-conseiller du président Trump, Steve Bannon, considère le gouvernement Salvini comme son bébé. Il est sans doute étrange de parler de gouvernement Salvini comme c’est souvent le cas dans la presse, car le poste de Premier ministre est assuré par Giuseppe Conte, un professeur de Droit qui était inconnu sur la scène politique italienne mais proche du M5S. Salvini a pris quelques mesures spectaculaires saluées par une bonne partie de la presse, comme la fermeture de ports empêchant le débarquement de centaines de candidats à l’exil provenant de pays africains.
Derrière le slogan « les italiens d’abord » (ressemblant étrangement à « America first » de Donald Trump), le gouvernement Salvini a pris des mesures comme l’abrogation du permis de séjour humanitaire qui prive les personnes concernées de l’accès aux services sociaux. Mais plusieurs maires de gauche, dans la foulée de celui de Palerme, Leoluca Orlando sont entrés en résistance en refusant d’appliquer ces mesures.
Les migrations au cœur du débat européen
Les mouvements migratoires ne sont pas nouveaux sur le sol européen. Ils ont toujours existé. Nombreuses sont les personnes, au travers des siècles, qui ont fui leur pays souvent pour des raisons politiques (guerres, persécutions religieuses…) ou économiques, s’installant dans un autre pays européen, voire traversant mers et océans pour un autre continent. Même quand le pays d’accueil était demandeur, les conditions d’installation et de vie étaient souvent difficiles comme en atteste encore l’immigration italienne de l’après Seconde Guerre mondiale. Aujourd’hui, si des mouvements migratoires se poursuivent entre pays européens, une bonne partie des migrations a changé de nature et d’origine. De nature car c’est souvent la demande d’asile qui est aujourd’hui le motif, et d’origine car elle concerne surtout des populations extra- européennes même si celles-ci étaient déjà présentes dans les migrations « économiques »4. La question des migrations et tout spécialement de l’accueil de candidats réfugiés sera sans doute mise à l’agenda des débats politiques par les partis populistes de la France à la Hongrie en passant par l’Italie (voir encadré page suivante).
Plus généralement, elle sera sans doute au cœur de débats électoraux dans tous les pays européens. Contrairement à ce que l’on pense généralement, l’Europe a pourtant adopté en la matière de nombreuses dispositions contestables ou non, comme la « directive retour » qui concerne les personnes déboutées du droit d’asile mais aussi sur de nombreuses autres questions comme le permis de séjour, le regroupement familial …
La question de l’accueil des réfugiés constitue une des causes de la montée des partis populistes, nationalistes ou d’extrême droite qui cultivent le mythe de l’invasion massive, de la perte des valeurs et traditions ou encore de risques pour le modèle social et le soutien de l’Etat à la population autochtone. Ces discours populistes intègrent souvent des ingrédients islamophobes et attisent des peurs irrationnelles.
Si certains répètent encore que l’on ne peut accueillir toute la misère du monde, on en est bien loin avec seulement 17% des réfugiés sur notre continent, alors que l’Afrique en compte près du double. La Turquie a passé un accord avec l’UE en mars 2016 et compte sur son territoire près de 3 millions de réfugiés. La plupart des personnes déplacées et des réfugiés vivent dans des camps dans des pays voisins du leur comme de nombreux Syriens qui sont réfugiés au Liban, pays de 4 millions d’habitants qui accueille 1 million de réfugiés. Les discours de la droite populiste prétendent que l’Europe est laxiste et laisse entrer tout le monde alors que, comme nous l’avons vu, la « sous-traitance » à la Turquie, les politiques d’éloignement ou les investissements dans FRONTEX (l’Agence européenne de garde- frontières et garde-côtes) pour un montant annuel de 320 millions d’euros démontrent le contraire. En l’absence de réforme de la directive « Dublin » qui consiste à déléguer la procédure d’examen d’asile au premier pays qui a accueilli les personnes concernées, les pays de l’UE ont adopté en juin 2018 plusieurs projets très contestables, dont la mise à l’étude de « centres de tri » par des « plateformes extraterritoriales » qui seraient érigées dans des pays d’Afrique du Nord.
Prendre un autre tournant ?
Nous l’avons vu dans cet article, la question des réfugiés mais aussi d’autres mesures économiques et sociales ont facilité la progression des idées et des partis populistes et contaminent les débats entre les Etats.
Se pose alors la question de la marche arrière. Comment enrayer ce mouvement qui fragilise les solidarités et la démocratie? Voilà sans doute un défi majeur pour les gauches en Europe. Elles doivent convaincre les populations, de l’échelon local au continental en proposant et en appliquant des politiques novatrices et solidaires, en rupture avec les consensus mous « socio-libéraux » afin de répondre aux défis sociaux et environnementaux vécus au quotidien par les populations.
QUESTIONS DE DEBAT
• Comment lutter contre les peurs irrationnelles et les discours simplistes qui font le lit des partis populistes ?
• Face à la progression du populisme et de l’ultra-droite, quel modèle la gauche peut-elle mettre en avant sur la scène européenne ?
• La gauche montre parfois des signes de divergence face au défi migratoire. Pour les mouvements ouvriers, comment éviter le piège de la division entre les populations belges et étrangères ? Le discours de la solidarité est-il encore audible dans le contexte actuel ?
1. Après l’incendie du « Reichstag », le Parlement de Berlin, le 28.02.1933, près de 4000 membres du Parti communiste furent envoyés dans les camps de concentration.
2. Dès 2002, il y a eu le vote de lois très restrictives sur le droit de séjour d’étrangers non communautaires et, en 2018, le Danemark n’a accepté aucun nouveau réfugié.
3. La notion d’antisystème mérite d’être interrogée. La presse présente souvent les leaders politiques qui ne sont pas les élèves d’un parti « classique » comme des « antisystème » ils l’on fait aussi pour Trump et Macron des personnalités bien ancrée dans le sys- tème économique et financier de domination. Cette notion permet de ne pas interroger la domination de l’économie capitaliste sur ledit système.
4. Un tournant dans les migrations économiques, en Belgique, est sans aucun doute la catastrophe du Bois du Cazier, en 1956, qui a provoqué la fin de l’immigration italienne et le recrutement pour le secteur minier dans d’autres pays comme la Turquie ou le Maroc.
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