Quand le grand flux s’arrête soudain… Le monde en pandémie (avril 2020)
Tuur Tisseghem
Auteure Laurence Delperdange, Contrastes avril 2020, p.14–15
2019… De nombreuses voix s’élevaient pour faire entendre l’urgence de prendre des mesures fortes en matière de lutte contre le réchauffement climatique. Portées par de plus en plus de jeunes à la tête desquels de courageuses figures de proue osant défier l’ordre établi des dominants sur le peuple d’en bas1. Tandis que défenseurs des droits de l’homme, ONG et monde associatif en appelaient à la justice fiscale, climatique, migratoire, d’autres continuaient à croire aux bienfaits de la croissance et du marché. 2020. Voici qu’un affreux virus, nous plonge dans le passé des épidémies dévastatrices, nous rappelant que nous ne sommes à l’abri d’aucune catastrophe, même sanitaire, mondiale.
Une crise sanitaire secoue la planète. Ceux qui tirent les ficelles de la finance et de la marche « claudiquante » du monde à force d’injustes répartitions des richesses, de confiscation du bien commun, seront-ils, après le confinement, les témoins impuissants d’un nouveau paradigme ? Une fois de plus, nous découvrons que l’anticipation ne fait pas partie de la gestion de la plupart des Etats. Des milliers de personnes meurent ; nos hôpitaux déjà malmenés par des années d’austérité manquent de tout : tests, masques, médicaments parfois…2
« Non, non rien n’a changé ? »
Dans notre société confinée, certains continuent néanmoins à prendre des décisions, profitant de cette période pour faire passer des mesures auxquelles beaucoup sont opposés. C’est le cas de Proximus qui choisit ce moment pour démarrer sa « stratégie de redéploiement », en installant dans 30 communes hors de Bruxelles, la 5G. Celle-ci, très décriée aurait, selon certains experts scientifiques dont l’astrophysicien Aurélien Barrau3, des effets néfastes sur la santé. La ministre de la santé, Maggie De Block, quant à elle, refuse toujours de maintenir et garantir le niveau de financement des institutions de soins à leur niveau habituel, ne leur octroyant qu’une avance d’un milliard d’euros pour faire face à l’épidémie et continuer à payer le personnel. C’est ce que relevait Yves Hellendorff, secrétaire national de la CNE, le 19 mars dernier. Quelques jours plus tard, des lettres ouvertes circulent, rédigées par les syndicats, des membres du personnel soignant, certains politiques, pour fustiger une gestion de crise inappropriée de Maggie De Block dans un secteur médical déjà malmené par des coupes budgétaires.4
La privatisation de certains pans de la santé faisait aussi partie de la stratégie prônée par l’Europe, dénonce un eurodéputé. « La commission européenne a demandé 63 fois aux Etats de réduire les dépenses de santé, ce qui a un impact sur l’état des systèmes de santé nationaux. L’austérité plutôt que la solidarité, voilà bien le mal dont souffrent nos sociétés menées par le libéralisme actuel qui érige l’économie et la finance comme guide pour les humains. »5
S’il fallait encore des preuves que l’économie prime sur l’individu, cette déclaration de Jan Jambon, ministre président flamand, qui souhaite « voir plus de gens au travail, l’accent devant être mis sur davantage d’activité économique ».6
On ne peut donc que déplorer le manque d’anticipation de notre gouvernement qui, depuis des décennies, n’a de cesse de grignoter les budgets des services publics. Même si des mesures ont été prises relativement tôt pour lutter contre la pandémie, même si d’autres pays européens affichent des manquements plus graves, jeter des millions de masques, réduire les budgets des hôpitaux, c’est croire qu’on est à l’abri d’un scénario tel que celui qui se produit. Or, il était prévisible.
Pendant ce temps-là, Décathlon veut imposer à ses salariés de prendre leurs congés pendant le confinement7. Israël refuse l’entrée de matériel médical à Gaza qui compte maintenant une dizaine de citoyens contaminés. Les multinationales telles que Total, versent des dividendes records à leurs actionnaires. Non, décidément, la solidarité n’a pas gagné tous les terrains… Il y a les oubliés, les sans droits, les aînés peu pris en compte dans le drame actuel, et aussi des enfants et leur mère pour qui le confinement correspond à des journées d’angoisse dans un espace clos à avec un conjoint violent.
Quant à l’Europe, elle se révèle une fois de plus, malgré l’urgence, bien incapable de parler d’une même voix. L’Italie s’en va chercher de l’aide chez les médecins cubains, albanais… comme si rien n’était à attendre de l’Europe dont on s’évertue à nous faire croire encore, qu’elle est source de bienfaits pour tous.
La question de l’après est bien sûr au centre des préoccupations du secteur économique. Beaucoup de PME sont à l’arrêt, les grandes enseignes commerciales et les petits détaillants hors alimentation sont fermés, le secteur tertiaire tourne au ralenti ou pas du tout… La Fédération des entreprises de Belgique évalue l’impact économique de la pandémie de Covid-19 à 2,4 milliards d’euros par semaine en Belgique, ou 0,55% du produit intérieur brut (PIB). Cela a évidemment des conséquences sur le budget des ménages.
A qui profite(ra) le crime ?
Certains secteurs tels que celui de la vente en ligne tournent à plein régime. C’est bien sûr le cas du géant Amazon dont le personnel dénonçait il y a quelques jours, ses conditions de travail dans de grands entrepôts, « bouillons de culture »8. Beaucoup s’activent donc autour de la vente en ligne et la livraison à domicile, notamment dans le secteur de l’alimentation. Car en restant chez soi, ce sont ces secteurs que nous contribuons à alimenter.
D’autres entreprises continuent de tourner bien qu’elles ne représentent pas des secteurs essentiels, les gouvernements se montrant soucieux de maintenir des activités craignant les conséquences de la paralysie des entreprises sur l’économie… « Dans la chimie, si la production de médicaments est évidemment essentielle, je ne suis pas sûr que la production de chaises en plastique ou de compléments alimentaires pour bodybuilders soit essentielle à la Nation », lance Robert Vertenueil, le président de la FGTB.
Existe-t-il une sorte d’échelle de Richter du tremblement de terre économique provoqué par la pandémie ? Où situerait-on le curseur et quels seraient les critères pour l’établir ? Certaines entreprises ne feront-elles pas passer leur objectif de survie avant la survie de leur personnel ? C’est ce qui semble se passer aux Etats-Unis où Trump parle déjà de remise au travail alors que le nombre de personnes victimes du Covid-19 y est aujourd’hui parmi les plus élevés du monde.
Ne faudrait-il pas plutôt repenser les curseurs qui nous ont menés à la situation actuelle ?
Et si nous rebattions les cartes en nous inspirant de ces modèles qui, depuis longtemps, apportent des réponses nouvelles en marge de ce système capitaliste qui sacrifie hommes et terres sur son passage carnassier? Nous sommes à un tournant. La réponse sera soit l’émergence de pouvoirs totalitaires, soit le développement d’une transition juste tenant compte de tous ces maux à éradiquer pour un avenir respirable…
Dans une carte blanche parue dans Le Vif, le 2 avril, une septantaine de philosophes, historiens, sociologues et juristes mettent en garde Sophie Wilmès contre le risque d’une politique peu démocratique en temps de lutte contre le coronavirus. « Madame la Première ministre, allez-vous risquer de laisser une crise démocratique et sociale prendre le pas sur la crise sanitaire ? »
1. En référence à l’ouvrage « Le peuple d’en bas » ou « Le peuple de l’abîme », Jack London, Ed. Phébus, 1999. Paru en 1903, ce livre est le témoignage de l’immersion de l’auteur dans les bas-fonds de Londres.
2. Les hôpitaux sous tension, Contrastes, nr 194, Septembre-Octobre 2019
3. https://youtube.be/O4JEyqpJzak
4. Coronavirus, les syndicats du personnel de soin « consternés » par l’attitude de Maggie Be Block, dans Le Soir, 22 mars 2020 – Tir groupé syndical, médical et politique contre la gestion de Maggie De Block, Olivier Mouton, le Vif, 1er avril 2020
5. La commission européenne a demandé 63 fois aux états de réduire les dépenses de santé, sur l’Humanité.fr, 2 avril 2020
6. Coronavirus : Jan Jambon veut voir plus de gens au travail, ‘Il est trop facile d’obtenir le chômage économique’, dans Le soir, 25 mars 2020
7. Décathlon veut imposer à ses salariés de prendre leurs congés pendant le confinement, dans La Voix du Nord, Valérie Sauvage, 22 mars 2020
8. Pour Amazon, le coronavirus est une affaire très profitable, Gaspard d’Allens, sur Reporterre.net, 23 mars 2020
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