Réfugiés – L’indigne obstination du gouvernement (Août 2021)
Laurence Delperdange, août 2021
Environ 150.000 personnes vivent et travaillent sans papiers dans la clandestinité, parfois depuis de nombreuses années. Au printemps dernier, un large mouvement de mobilisation citoyenne a décidé de les soutenir en exigeant une régularisation massive des sans-papiers, ou a minima des critères clairs pour régulariser leur situation. Il a fallu attendre que les 400 grévistes de la faim soient sur le point de mourir pour que le ministre en charge du dossier fasse une proposition pour tendre vers une régularisation au cas par cas de certains d’entre eux. Le combat est loin d’être gagné…
« Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité. » Cet extrait de la Déclaration Universelle des Droits Humains débutait, le 17 juin dernier, l’intervention d’Ariane Estenne, présidente du MOC, à la conférence de presse de- mandant des critères clairs et objectifs de régularisation pour les personnes sans papiers vivant sur notre territoire. Cette conférence était organisée à Bruxelles devant l’église du Béguinage occupée par des personnes sans papiers qui avaient entamé le 23 mai, une grève de la faim. Ils étaient 400, hommes et femmes, rassemblés dans cette église, dans des réfectoires de l’ULB et de la VUB, espérant enfin être entendus par les responsables politiques. La Coordination des sans-papiers, des membres du personnel académique des universités, des étudiants, des citoyens, de nombreuses associations portant avec eux ces revendications.
Ces dix dernières années, les autorités ont multiplié les ré- formes restreignant les possibilités d’accès au séjour légal en Belgique. Cela a pour conséquence de multiplier ces situations de non-droits. En Belgique aujourd’hui, entre 100.000 et 150.000 personnes vivent dans une forme de clandestinité bien malgré elles. Leur identité n’étant pas reconnue. Certains sont nés en Belgique ou vivent en Belgique depuis plus de 10 ans, exercent un travail, paient un loyer, ont des enfants scolarisés. Mais n’ont pas d’existence légale et donc n’ont aucun droit, ni accès à la sécurité sociale. Le seul travail auquel ils puissent accéder est le travail au noir les rendant vulnérables face à des employeurs parfois peu scrupuleux ou à des marchands de sommeil. Pour les femmes vivant dans cette situation, il s’avère impossible de porter plainte lorsqu’elles subissent des violences. Une décision politique permettrait pourtant de sortir de l’impasse.
UNE MOBILISATION SANS PRÉCÉDENT
En mars dernier, une pétition lancée par la Coordination des sans-papiers et Sans-papiers TV, a recueilli le soutien de 112 associations (parmi lesquelles les Equipes Populaires), collectifs, syndicats, de membres du personnel académique. Cette campagne WeareBelgiumtoo demande l’objectivation de la délivrance de titres de séjour par l’adoption de critères clairs, inscrits de façon permanente dans la loi, et leur mise en application par une commission indépendante. Des actions ont été menées dans nos régionales, au Luxembourg, en Brabant wallon, à Verviers pour sensibiliser la population et recueillir des signatures.
Fin juin, les 28.000 signatures récoltées (majoritairement du côté francophone du pays) ont été remises au secrétaire d’État à l’Asile et à la Migration, (adjoint à la ministre de l’Intérieur, des Réformes institutionnelles et du Renouveau démocratique) CD&V, Sammy Mahdi.
Mais le représentant politique s’est montré inflexible. Le 24 juin, une proposition de loi était déposée en séance plénière au Parlement demandant l’adoption de critères clairs et objectifs de régularisation des sans-papiers pour renforcer leur sécurité juridique. Une majorité de parlementaires ont voté contre celle-ci, certains se retranchant derrière le fait que cette question ne figurait pas dans l’accord de majorité. On ne peut que déplorer que les partis néerlandophones cherchent avant tout à ne pas déplaire à une partie de leur électorat, craignant qu’il ne se tourne vers l’extrême droite. Quant aux partis francophones, ils semblent soumis aux partis néerlandophones sur ces questions. La grève de la faim a néanmoins secoué les consciences de certains au sein des partis PS, Ecolo et cdH réclamant une solution humaine et digne à cette crise.
En juillet, de nombreux citoyens se sont mobilisés et à leur côté le secteur associatif, culturel, des syndicats, le monde académique, des représentants des cultes. Des manifestations ont été organisées presque chaque jour, des messages de solidarité de collectifs européens, de nombreuses lettres ouvertes et cartes blanches, des témoignages de solidarité au niveau international ont été partagés, preuve du nombre grandissant de citoyens émus par cette non-réponse du gouvernement face à ces drames humains.
Le 19 juillet, une lettre ouverte était envoyée au Roi pour « mettre fin à cet in- supportable bras de fer ». A la veille de la dernière séance plénière de la Chambre avant les vacances, les citoyens ont adressé une lettre aux parlementaires. Le ministre socialiste Pierre-Yves Dermagne a menacé de démissionner si l’un des grévistes de la faim venait à mourir.
Olivier De Schutter1, rapporteur spécial des Nations Unies sur l’extrême pauvreté et les droits humains s’est rendu à l’église du Béguinage début juillet pour recueillir informations et témoignages des personnes sans papiers en grève de la faim.
Il rappelait à cette occasion que le dispositif qui permet la régularisation repose sur l’article 9bis de la loi du 15 décembre 1980 et n’impose aucun délai à l’Office des étrangers pour prendre position (cela peut donc durer 5 ou 6 ans avant de recevoir une réponse). Par ailleurs, le système laisse place à l’arbitraire le plus complet, puisqu’il ne contient aucun critère fondé sur l’intégration dans la société d’accueil, sur le projet de vie que les personnes se fixent. Impossible donc de planifier son existence et de se projeter dans l’avenir. Cela rend vulnérable et l’exploitation n’est pas rare dans des secteurs comme l’agriculture, la construction, l’Horeca, soulignait-il. « On ne peut continuer à ignorer cette réalité ». La pyramide des âges montre à quel point il est essentiel de permettre l’accès au marché du travail aux travailleurs sans papiers. Il en va de la viabilité de notre système de sécurité sociale.
Olivier De Schutter cosignait avec Felipe Gonzalez une lettre ouverte adressée au secrétaire d’Etat proposant une sortie de crise. Ils encourageaient le gouvernement belge à « protéger les droits humains des personnes sans papiers dans les domaines de l’emploi, de l’enseignement, du logement et de la santé. Ces avancées, précisaient ils, permettraient à la Belgique de respecter ses obligations qui découlent des instruments internationaux de protection des droits humains tels que le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et la Convention relative aux droits de l’Enfant ».
DES PROPOSITIONS INSUFFISANTES
Finalement, le 21 juillet, sous la pression de toutes ces actions et prises de parole, le secrétaire d’Etat a apporté des propositions aux grévistes. Un accord verbal a été conclu. Parmi les propositions : leur donner la possibilité de faire valoir des éléments d’ancrage, de vulnérabilité, de séjour… permettant l’octroi d’un permis A, via la procédure 9bis2. Ainsi que, pour les dossiers les plus fragiles, la possibilité d’une protection humanitaire sur la base d’un 9ter. Sans garantie de réponse positive à leur demande. La grève a été suspendue. Une quarantaine de personnes ont été hospitalisées.
Le Ciré3 a organisé un appel à bénévoles avocats, assistants sociaux… pour aider à constituer les dossiers. Une des conséquences des annonces du secrétaire d’Etat est que la zone neutre autour du Béguinage et de l’ULB a vu arriver de nombreuses personnes sans papiers, espérant elles aussi que leur dossier soit examiné. La décision crée une discrimination entre grévistes et non grévistes.
A l’appel de la Coordination des sans-papiers de Belgique, une AG des sans-papiers a eu lieu le 30 juillet. 375 personnes y ont assisté. Le mouvement se poursuit pour qu’une politique digne d’un pays dit démocratique établisse enfin des critères clairs, qui ne laissent personne dans une invisibilité les obligeant à vivre à la marge, n’existant pas aux yeux de l’Etat.
Nous vous tiendrons au courant des actions organisées dès la rentrée. Il est encore temps d’ajouter votre signature aux milliers d’autres qui réclament une politique respectueuse des droits de l’homme. Une manifestation est prévue le 26 septembre prochain.
Pour en savoir plus et suivre l’actualité de la campagne : www.wearebelgiumtoo.be
_
_
- Le Soir, 8 juillet 2021, Le rapporteur de l’ONU Olivier De Schutter a rencontré les sans-papiers : « Ce que j’ai entendu était bouleversant ».
- L’article 9 bis de la loi du 15 décembre 1980 relative à l’accès au territoire, au séjour, à l’établissement et à l’éloignement des étrangers (ci-après « la loi ») prévoit que « lors de circonstances exceptionnelles et à la condition que l’étranger dispose d’un document d’identité, l’autorisation de séjour peut être demandée auprès du bourgmestre de la localité où il séjourne, qui la transmet- tra au Ministre ou à son délégué ».
- Coordination et initiatives pour réfugiés et étrangers
_
_
_
_