Remunicipalisation. Vers un renouveau des services publics ? (Août 2018)
Remunicipalisation.
Vers un renouveau des services publics ?
Auteur : Guillaume Lohest, Contrastes août 2018, p17 à 19
Depuis les années 80 et l’avènement du néolibéralisme, la tendance est à la libéralisation et à la privatisation de toute une série de secteurs qui jusque-là étaient restés publics : les télécoms (dès 1998 en Belgique), l’énergie (2007), les services postaux (2011) … et, bientôt peut- être, le rail, l’enseignement, les soins de santé ? Est-ce une fatalité ? Pas sûr. Le retour en grâce des services publics pourrait passer par un nouveau mot, quelque peu difficile à prononcer, on vous l’accorde : la remunicipalisation.
Hein ? Vous dites ?
La remunicipalisation est le retour à une gestion publique locale de certains services qui avaient été privatisés. Mais ce « retour » à la gestion publique ne s’apparente pas pour au- tant à une marche arrière, car ces remunicipalisations s’organisent la plupart du temps sous des modalités nouvelles qui ont intégré à la fois les limites de la privatisation et des enjeux très actuels. Elles s’opèrent, comme leur nom l’indique, à l’échelle municipale (communale) ou, plus rarement, régionale. Est-ce réellement une tendance à l’œuvre à l’échelle mondiale ? C’est en tout cas ce que met en avant un vaste organisations, dont le Transnational Institute (TNI) et l’Observatoire des Multinationales.
« Il y a eu ces dernières années au moins 835 cas de (re)municipalisation de services publics dans le monde, impliquant plus de 1600 villes dans 45 pays. La remunicipalisation concerne aussi bien des petits villages que des métropoles, avec différents modèles de gestion et de propriété publiques et des degrés variables de participation des citoyens et des employés1. »
Mais concrètement….
Grenoble, par exemple, est une ville pionnière de la remunicipalisation. Cela a commencé avec la reprise en mains de la gestion de l’eau au début des années 2000, en mettant fin à un contrat avec Suez suite à une affaire de corruption, et par la création d’un nouvel opérateur public fournissant une eau à moindre coût. « La municipalité cherche aujourd’hui à remunicipaliser entièrement à terme son service local de l’énergie, y compris le chauffage collectif et l’éclairage, afin de combattre la précarité énergétique et réduire ses émissions de gaz à effet de serre. ». D’autres grandes villes françaises sont engagées dans des démarches de remunicipalisation de l’eau : Nice, Paris, Rennes, Briançon, Cherbourg, Montpellier… En Allemagne, c’est surtout dans le secteur de l’énergie qu’on observe une vague de remunicipalisations. L’un des cas les plus emblématiques est celui de la ville de Hambourg. C’est grâce à une mobilisation citoyenne de grande ampleur qu’un revirement a été possible, une dizaine d’années après la privatisation des entreprises locales d’électricité, de gaz et de chauffage collectif. Tandis que les concessions accordées à ces entreprises parvenaient à échéance, une plateforme regroupant la société civile, des organisations environnementales et les Églises locales a exigé qu’un référendum populaire contraignant soit organisé. L’option de la remunicipalisation l’a emporté à une courte majorité (50,9%). Ailleurs en Allemagne (Stuttgart, Hanovre) ou en Europe (Bristol, Nottingham), nombreuses sont les communes qui reprennent le contrôle sur les réseaux de distribution et investissent dans la production locale d’énergie renouvelable. Ces initiatives allient presque toujours des objectifs sociaux (fournir de l’énergie à des tarifs abordables), environnementaux (bénéfices réinvestis dans la production renouvelable d’énergie et l’efficacité énergétique des bâtiments) et de participation citoyenne.
De tout, partout
L’eau et l’énergie sont des biens vitaux : il est logique qu’il s’agisse des deux domaines les plus concernés par la remunicipalisation. Mais le mouvement est plus large : il touche beaucoup d’autres secteurs. Voyez plutôt. À Delhi, en Inde, le gouvernement local élu en 2015 a commencé à remplir l’une de ses principales promesses de campagne, à savoir la mise en place de 1000 cliniques de quartier. « En raison de leur petite taille et de l’utilisation de cabines portables pré- fabriquées qui peuvent être installées facilement à peu près partout, ces cliniques sont nettement moins chères que les dispensaires gouvernementaux. Chaque clinique a un docteur, une infirmière, un pharmacien et un technicien de laboratoire. » À Oslo en Norvège, après 20 années de sous-traitance de la collecte des déchets, la ville a repris ce service à son compte pour mettre fin à la gestion calamiteuse de l’opérateur privé qui proposait un service « low-cost » : conditions de travail déplorables des employés, déchets non ramassés, milliers de plaintes envoyées. À Barcelone, depuis l’arrivée au pouvoir en 2015 de la coalition citoyenne Barcelona en Comú, la ville est engagée dans une véritable stratégie de remunicipalisation de plusieurs services : crèches, services funéraires, services de prévention, nouvelle entreprise de distribution d’énergie, démarches en vue de récupérer la gestion de l’eau… Dernier exemple en Lituanie où la commune de Vilnius, la capitale du pays, a refusé de renouveler son contrat avec une filiale de la multinationale française Veolia pour le service de chauffage urbain. Malgré une procédure en arbitrage international entamée par Veolia, qui réclame des compensations, la municipalité a confirmé le retour à une gestion publique. Et il existe donc des centaines d’autres cas dans le monde entier (cf. infographie)
QUESTIONS DE DÉBAT
- Avez-vous l’impression qu’un renouveau des services publics est possible ?
- Pensez à votre commune en particulier ? Y a-t-il certains domaines dans lesquels la voie de la remunicipalisation semble en cours ? Ou, au moins, envisageable ?
- L’idée des « communs » vous parle-t-elle ? À quoi cela vous fait-il penser ? Connaissez-vous des exemples de « communs » ?
- VOIR ÉGALEMENT LA FICHE D’ANIMATION DANS LA FOURMILIÈRE EN PAGE 12
Aussi à la campagne
On le voit : les villes peuvent se réapproprier la gestion de services. Mais en milieu rural ? C’est possible également. Les exemples sont moins emblématiques mais ils existent. Ainsi, l’ancienne communauté de communes du Mené en Bretagne, devenue une seule et même commune en 2015, a élaboré un plan stratégique visant à devenir un territoire à « énergie positive » en 2030, autrement dit produire davantage d’énergie qu’elle n’en consomme. « Sur l’initiative des élus, des agriculteurs et des citoyens, le territoire s’est progressivement doté d’une installation de méthanisation en cogénération, valorisant les lisiers et biodéchets (15 millions d’euros d’investissement), d’une usine d’huiles-carburant (colza), d’un parc éolien citoyen (8 millions d’euros), de deux réseaux de chaleurs, de chaudières-bois, de plusieurs installations solaires et de logements sociaux neutres en énergie2. »
La panacée ?
Serait-ce si simple ? Non, car il y a des obstacles bien sûr. Les initiatives de remunicipalisation doivent composer avec les cadres législatifs en vigueur, ainsi qu’avec la tendance majoritaire qui reste la privatisation et les partenariats public-privé. En termes de qualité de l’emploi, même si souvent les conditions de travail sont meilleures dans le secteur public, ce n’est pas systématiquement le cas, et il peut arriver que des objectifs de défense des travailleurs soient alignés sur le maintien d’une gestion privée. En outre, une gestion publique n’est pas non plus toujours la garantie d’une gestion saine. Les nombreuses « affaires » qu’on a connues en Belgique, notamment au sein des intercommunales, peuvent expliquer une éventuelle réticence à monter dans le wagon de la remunicipalisation. C’est pourquoi il importe de mettre en avant, non pas le retour à une gestion publique à la grand-papa, mais la combinaison inédite d’ingrédients actuels qui font de la re- municipalisation une voie pertinente et en par- tie nouvelle pour l’avenir.
Il y a, bien sûr, l’ouverture de l’imaginaire. De- puis une bonne trentaine d’années, on s’était habitué à une histoire économique qui semblait aller dans une seule direction : celle du marché et de la libre concurrence. La remunicipalisation rouvre et rafraîchit, au minimum, le débat politique. De nombreux exemples montrent qu’elle peut même être plus efficace, en termes purement gestionnaires, que le privé.
Ensuite, ce modèle à la fois public et décentralisé semble être le plus adapté pour adopter, sur un territoire, des objectifs ambitieux de transition énergétique. En Allemagne, avec la politique de sortie complète du nucléaire, le mouvement de la remunicipalisation « a pris un essor sans précédent et mené à de nombreuses victoires dans la transition vers les renouvelables. »
Enfin, et c’est sans doute le plus essentiel, on a affaire à un véritable processus de démocratisation. D’abord dans le sens où « la remunicipalisation n’est que rarement une simple affaire de changement de statut, du privé au public. Il s’agit fondamentalement de (re)créer de meilleurs services publics pour tous. (…) C’est précisément ce qui a poussé de nombreuses villes britanniques à créer de nouvelles entreprises municipales dans le secteur de l’énergie : en finir avec les actionnaires privés, les dividendes et les bonus pour se recentrer sur l’accès à l’énergie pour les foyers les plus modestes. » Outre la qualité du service fourni, c’est aussi la démocratisation de la gestion qui est essentielle. Les citoyens ou les partenaires sociaux sont souvent associés aux élus locaux, voire même aux employés municipaux dans la gouvernance.
Le modèle des « communs »
La remunicipalisation est enthousiasmante pour toutes ces raisons. Non pas parce qu’elle serait une solution-miracle qui fonctionnerait à tous les coups, mais parce qu’elle redonne une place centrale aux communautés et aux citoyens pour se réapproprier les enjeux politiques, les ressources, les territoires. En ce sens, elle contribue sans doute à donner une nouvelle signification à la notion de service public : de moins en moins un service dont on délègue la gestion à une institution lointaine et centralisée (comme l’État), mais bien plutôt un « commun ». Par ce terme, on désigne la gestion collective et démocratique d’une ressource par une communauté politique. À ne pas confondre avec les biens communs, qui sont des ressources dont on considère qu’elles appartiennent à tout le monde, comme l’eau, l’air, la culture, etc. Le « commun », c’est à la fois une ressource (un bien commun), mais aussi une communauté d’usagers et des règles de fonctionnement démocratiques. C’est en quelque sorte une voie alternative à la propriété privée, à coup sûr, mais aussi, d’une certaine façon, à la propriété publique3.
————————————————————
1. Remunicipalisation : comment villes et citoyens écrivent l’avenir des services publics, TNI, Observa- toire des Multinationales, Résumé Presse, juin 2017
2. Andrea Rüdinger, La réappropriation locale de l’énergie en Europe. Une étude exploratoire des initiatives publiques locales en Allemagne, France et au Royaume-Uni. Energy Cities, Juin 2017.
3. Pour aller plus loin : David Bollier, La renaissance des communs, Éditions Charles Léopold Mayer, 2014
—