PALESTINE| Résistance: La peur comme mode de vie (avril 2018)
Auteure : Marie Dufaux, Contrastes avril 2018, p18,19
Des militants et des travailleurs du MOC et de ses organisations constitutives sont partis en Palestine en octobre 2017 et y ont rencontré de nombreux acteurs de la société civile palestinienne. Si nous avons surtout analysé la situation du conflit du côté de la Palestine, rappelons que certains Israéliens sont aussi victimes d’un régime autoritaire et militariste. C’est pourquoi, lorsque dans le texte nous ferons référence aux Israéliens, ce sont les colons, l’armée et le gouvernement qui sont visés.
L’occupation israélienne s’exprime notamment par les violences, tant psychologiques que physiques, subies par les Palestiniens (voir article pages 8 à 11). Nous avons reçu des témoignages à peine croyables. Ainsi, beaucoup de Palestiniens vivent dans la peur permanente de se faire confisquer leur maison ou d’être arrêtés par l’armée israélienne. Cela accentue les risques psychosociaux : angoisses, dépression, schizophrénie, suicides, etc. En prison, les prisonniers palestiniens sont souvent torturés.
Les violences sont également symboliques. Ainsi, le mur long de plusieurs centaines de kilomètres encercle peu à peu la Cisjordanie. De nombreux moyens et dispositifs législatifs sont déployés par les Israéliens pour s’accaparer l’ensemble du territoire palestinien et priver la population de ses ressources agricoles. Ces dispositifs sont subtils. On parle d’ailleurs d’une guerre de basse intensité ! De plus, des points de contrôle surveillent les allées et venues des Palestiniens de part et d’autre du mur. Ils doivent faire la file des heures durant pour aller travailler en Israël et passer les checkpoints. Devant ces files humiliantes, une militante de la CSC s’est exclamée que cela lui faisait penser à la seconde guerre mondiale, en particulier aux récits que son père racontait sur les camps de travail : on n’y accédait à son poste qu’après une longue attente dans une file interminable, encadrée de gardes menaçants.
Les colonies israéliennes sont systématiquement construites en hauteur, au-dessus des collines afin d’asseoir leur pouvoir et leur domination sur les communautés palestiniennes. Les Israéliens s’accaparent également l’eau au pied des collines puis la rejette, trop souvent polluée. Dès lors, des agriculteurs ne peuvent plus vendre sur les marchés leurs récoltes polluées et perdent leur unique source de revenus. Certaines rues et certaines zones sont interdites aux Palestiniens, comme en régime d’apartheid. Ainsi, les Palestiniens deviennent des réfugiés dans leur propre pays. C’est une violence symbolique inouïe.
De nombreuses arrestations
Israël viole quotidiennement la convention internationale des droits de l’enfant par l’arrestation régulière de jeunes enfants. En effet, quand ces jeunes sont confrontés à l’armée israélienne, ils réagissent parfois émotionnellement en lançant des pierres. Ils sont alors souvent arrêtés et mis en prison, sans considération pour leur jeune âge ; ils en ressortent traumatisés par les traitements souvent inhumains qu’ils y subissent, comme la torture pour obtenir des aveux afin de pouvoir les condamner à de lourdes peines.
Des jeunes voyagent avec des associations en Occident pour sensibiliser la communauté internationale au conflit. Mais à leur retour, certains sont arrêtés et passent plusieurs mois en prison, avec toutes les conséquences que cela engendre. Les arrestations sont souvent arbitraires, l’objectif étant d’intimider les Palestiniens afin de les dominer davantage.
Et les rapports Nord-Sud dans tout ça ?
Il y a de nombreuses colonies agricoles israéliennes en Palestine. Le mur est cyniquement implanté de manière à séparer les Palestiniens de leurs terres agricoles. Les colonies israéliennes s’accaparent ainsi l’eau et les meilleures terres afin de développer des monocultures intensives destinées à l’exportation vers l’Occident, au détriment des cultures vivrières locales. Les Palestiniens sont alors contraints de vivre sur des terres arides, sans eau, sous des chaleurs pouvant aller jusqu’à 50 degrés.
Si dans de nombreux pays en voie de développement le néocolonialisme est responsable des conditions de vie désastreuses des peuples du Sud, en Palestine, c’est la colonisation pure et dure soutenue par le gouvernement israélien qui est son moyen principal d’oppression du peuple palestinien et d’accaparement de ses ressources. De plus, un mur n’est pas nécessaire pour commettre de tels accaparements. De nombreux pays en voie de développement subissent aussi ces réalités. On peut donc penser que dans l’hypothèse où le mur serait détruit, la situation des Palestiniens ne s’améliorerait, malheureusement pas, du jour au lendemain. C’est dans ce contexte que le peuple palestinien mène sa résistance et nous invite à la rejoindre ! Car cette résistance peut être aussi la nôtre, dans la mesure où elle est le reflet d’un combat commun contre un système dominant qui s’accapare les richesses du monde au profit de quelques-uns. Ainsi, un tag sur le nouveau « mur de la honte » nous le rappelle de la façon la plus explicite : « If you have come here to help me, then you are wasting your time. But if you have come because your liberation is bounded up with mine, then let us work together : si tu es venu ici pour m’aider, alors tu perds ton temps. Mais si tu es venu ici parce que ta libération est liée à la mienne, alors travaillons ensemble ».
Les Palestiniens résistent de différentes manières
- Des caméras comme armes de vie et de résistance.
A Hébron, depuis que la ville a été divisée en deux parties en 1997, la rue des Martyrs n’est plus accessible aux Palestiniens, sauf aux quelques familles qui y résident. Ce sont les seules à détenir un laisser-passer. Ces dernières vivent encerclées de colons israéliens. La rue des Martyrs est désormais un No Man’s Land dans la mesure où les droits humains y sont bafoués régulièrement. Le quotidien de ces familles est extrêmement difficile et les agressions nombreuses, allant parfois jusqu’à l’assassinat. Un de leurs seuls moyens actuels de se protéger et de résister est de documenter les violations des droits humains grâce aux caméras fournies par une ONG internationale. C’est aussi un bon moyen pour parler au monde extérieur de ce qui s’y passe. Sans ces caméras, le nombre de morts serait sans doute encore plus élevé.
- L’éducation permanente, un moyen permanent d’une lutte quotidienne.
De nombreuses associations palestiniennes travaillent avec les jeunes dans les camps de réfugiés – certains jeunes sont allés en prison et ont subi de fortes violences physiques et psychologiques de la part de l’armée israélienne – autour de projets créatifs afin de revaloriser leur estime d’eux-mêmes, mais aussi de les rendre acteurs de la lutte contre l’oppression israélienne. Le théâtre-action, le théâtre de marionnettes, le cirque, l’art permettent l’expression des jeunes autour de leur vécu, de leurs réalités. C’est un moyen d’évacuer les pressions psychologiques véhiculées par la peur, la perte de repères et d’identité, qui sont pour certains les conséquences d’un séjour en prison. En outre, l’éducation permanente peut amener les réflexions autour de l’égalité hommes -femmes et on voit désormais apparaître des femmes masquées sur scène. Pourquoi le masque ? Parce qu’il est encore culturellement difficile à des femmes de paraître sur scène. Dès lors, le port d’un masque les libère d’une contrainte culturelle et libère aussi leur parole.
Ces activités artistiques sont encore un moyen de déconstruire avec les autres citoyens palestiniens les causes et conséquences d’un conflit vieux de 70 ans ! C’est pourquoi, après chaque représentation, un échange/débat est nécessaire. C’est aussi l’occasion pour les jeunes de voyager à l’extérieur du pays et de sensibiliser la communauté internationale aux enjeux sociopolitiques du conflit. Et de rappeler notamment que le conflit israélo-palestinien, est avant tout un conflit politique ; et d’éviter le piège d’une explication simpliste d’une guerre de religions. Il s’agit de la colonisation d’un peuple sur un autre avec la complicité honteuse de la communauté internationale !
Les marges de manœuvre des Palestiniens semblent faibles pour mettre fin à l’occupation israélienne. C’est pourquoi ils en appellent à la communauté internationale pour faire bouger les lignes du conflit et entretenir l’espoir de la fin de l’occupation !
Les Palestiniens rencontrés lors de notre mission racontent encore – et c’est leur sagesse – que leur plus grand moyen de résistance c’est d’être là, c’est de continuer à vivre malgré l’occupation, les violences et les difficultés engendrées par le conflit. C’est leur cri quotidien, ils rappellent aux Israéliens et à la communauté internationale qu’ils continuent d’exister !
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