Le burn-out, symptôme d’un système économique malade (juin 2017)
Auteure : Claudia Benedetto, Contrastes juin 2017, p6
La firme Securex1 mettait en exergue en 2015, la forte hausse de l’absentéisme au travail. Entre 2001 et 2015, l’absentéisme total a augmenté de 70%. Deux raisons principales : le vieillissement et le stress chronique. Les plaintes liées au stress ont augmenté de 30% entre 2013 et 2015.Le risque de burn-out, et donc d’absences de longue durée, guette toutes les personnes concernées.
Malgré l’explosion des burn-out et du mal-être au travail, cette question est loin d’être nouvelle, explique Laurence Blésin, directrice de la FEC (Formation Education Culture) : « Mais aujourd’hui on met un nom sur des situations, les médecins sont aussi mieux informés, et on a mis un cadre légal pour la prévention des risques psychosociaux au travail » ajoute-t-elle.
Selon les Mutualités chrétiennes, « l’épuisement professionnel trouve son origine à la fois dans l’environnement de travail et dans la personnalité2. » C’est bien évidemment la charge de travail qui est souvent mise en avant pour expliquer cet état mais il y a aussi la monotonie des tâches, le peu d’autonomie, les conditions de travail trop physiques ou encore les relations difficiles avec les collègues ou la direction qui sont pointées du doigt. Les personnes qui sont le plus souvent touchées par le burn-out sont souvent celles qui sont les plus exigeantes et rigoureuses dans leur travail. Sur le site des Mutualités chrétiennes, on peut lire : « Les individus exposés au risque d’épuisement professionnel sont souvent perfectionnistes et très exigeants envers eux-mêmes ; sont droits et idéalistes ; se sentent très impliqués dans leur travail ; répondent vite par l’affirmative lorsqu’il s’agit de faire du travail supplémentaire ; ne font pas vite appel à l’aide d’autrui. »
Pression économique
Mais il y a d’autres éléments qu’il est intéressant de mettre en évidence. La recherche du profit et donc d’une productivité toujours plus importante, la mise en concurrence des travailleurs pour atteindre des résultats toujours plus élevés au nom de la sacro-sainte compétitivité des entreprises, la satisfaction de l’appétit toujours plus grand des actionnaires, tout cela implique de profonds bouleversements dans le travail quotidien. La pression est poussée toujours plus loin. Le stress est évidemment une des conséquences mais aussi une impression de ne jamais en faire assez, de ne pas être suffisamment performant dans le chef du travailleur. Selon Laurence Blésin, « La logique économique pèse fortement sur le management. Ce qui est recherché, c’est toujours plus de productivité avec moins de moyens. Le travailleur est perçu aujourd’hui comme un coût. Et donc quand on parle de la compétitivité des entreprises, parle-t-on de diminuer les coûts de l’énergie ou les dividendes des actionnaires ? Non. La seule chose dont on parle, c’est diminuer le coût du travail et augmenter la productivité avec moins de personnel. C’est comme ça partout, y compris dans le non-marchand. En quelques années, un infirmier a dû prendre quasiment deux fois plus de patients en charge. »
L’employeur, poussé par les actionnaires de l’entreprise en demande toujours plus aux travailleurs sans même quelques fois mettre en place les dispositifs pour atteindre les résultats qu’il demande. Amélie (prénom d’emprunt), secrétaire de direction, raconte : « L’organigramme de l’entreprise a changé d’un coup : Au départ, je m’occupais de la location de véhicules, de la gestion des bâtiments, et de l’évènementiel. Et à cela se sont ajoutés, l’informatique et la gestion financière. Je n’avais pas d’expérience ni de compétences particulières par rapport aux connaissances techniques qu’exigeait ma nouvelle fonction. Et Je n’avais aucune expérience en comptabilité ! J’ai donc demandé une formation. Ou du moins une petite mise à niveau mais rien ! ».
Un management agressif et culpabilisant
Le management qui accompagne ce système économique conduit les travailleurs à intégrer d’eux-mêmes, qu’ils doivent maintenir la cadence et au besoin l’augmenter. Et que s’ils n’y arrivent pas, c’est qu’ils ne sont pas suffisamment résistants. L’hyper responsabilisation des travailleurs les conduit dans le gouffre du non-sens et du mal-être, convaincus d’être à l’origine du problème. « J’avais l’impression de me plaindre sans cesse et ne jamais avoir de retour concret, poursuit Amélie. Jusqu’au jour où je me suis mise à pleurer alors que je courrais après mon directeur pour lui faire part d’un dossier. Je ne savais pas expliquer pourquoi. Sa réaction a été très méprisante : « Il faut que tu te fasses soigner ! ». Autrement dit : Il faut te faire interner ». Malgré la tension, le non-sens. Malgré la fatigue. Amélie continue à aller travailler : « Je me disais : il faut tenir. C’est tellement dur de trouver du travail de nos jours. Mais je devais me forcer… Je prenais de temps en temps mon droit à une absence injustifiée… Je continuais à consulter une psychologue. Elle me rétorquait que même si la direction était dysfonctionnelle, elle ne changerait pas. Et que par conséquent, c’était à moi de m’adapter. De changer ma personnalité. Je devais être moins fragile. »
Plus récemment, l’avènement du smartphone et la numérisation en général, ont également modifié notre rapport au travail. Combien d’entre nous ne consultent-ils pas leurs mails en dehors du bureau ? Certains employeurs font même de l’excès de zèle en contactant leurs employés en dehors des heures de bureau. Selon Laurence Blésin : « Les évolutions technologiques nous empêchent d’arrêter de penser au travail. A la CSC, on réfléchit à revendiquer un « droit à la déconnexion » ».
Un cadre mais peu de moyens
Le Service public fédéral de l’emploi a réalisé un guide pour la prévention des risques psychosociaux au travail en 2013 ainsi qu’un indicateur d’alerte de tels risques en 2015. Il existe depuis 1996 une loi sur le bien-être au travail qui recevra divers aménagements avec en 2014, l’apparition de la notion de risques psychosociaux. Celle-ci recouvre à la fois l’organisation du travail, le contenu du travail, les conditions de travail, les conditions de vie au travail et les relations interpersonnelles. Mais le contrôle de sa mise en œuvre est compliqué. Selon Stéphane Lepoutre : « En 2012, on comptait en moyenne un inspecteur du travail du contrôle régional du bien–être au travail pour 1.900 sièges d’exploitation, soit un inspecteur pour environ 26.000 travailleurs. Et aucune amélioration n’a été notée depuis lors. »3
L’enjeu face à l’épuisement professionnel, c’est de dépasser le ressenti individuel et de se placer dans le champ collectif. Objectiver un mal-être vécu par un travailleur et identifier s’il ne témoigne pas d’un problème collectif. Ici, la présence d’un délégué syndical est importante : « Il peut s’informer sur l’existence de situations du même type dans l’entreprise, collecter des informations, des plaintes éventuelles auprès des travailleurs, réaliser une enquête… Mais aussi identifier les causes, les mécanismes communs qui sont à l’origine de ces différentes situations. Et rassembler dans un dossier des éléments significatifs, les constats communs faits par l’équipe syndicale, ses hypothèses sur les causes du phénomène, des pistes de solutions à envisager, interpeller le comité ou le conseil d’entreprise sur cette base », explique Stéphane Lepoutre du service entreprise de la CSC4.
Pour Amélie, le système actuel n’aide pas les personnes qui ont un épuisement professionnel à aller mieux : « Tout ce qui intéresse les mutualités, les employeurs, l’Etat au sens large, c’est qu’un travailleur bosse le plus possible et coûte le moins possible. J’ai bien senti que j’étais une charge et que la mutuelle était bien contente que je passe sous le statut de demandeur d’emploi à un moment donné. Il n’y a pas de structure. Je me suis renseignée auprès de la médecine du travail juste avant le dernier entretien avec la RH qui s’est soldé par un C4. Je voulais savoir quelles étaient les structures à ma disposition par rapport à ma situation. On m’a dit qu’à part demander un descriptif de fonction à ma hiérarchie, il n’y avait rien d’autre à faire. Le médecin du travail ne pouvait que faire une recommandation. Ce qu’il a fait mais ça s’est soldé par mon licenciement. Je n’appelle pas ça un système qui fonctionne. J’ai le sentiment que le corps médical, en tous les cas les médecins que j’ai rencontrés, n’ont pas l’air outillés et sont bourrés de stéréotypes. Ils sont dans la suspicion, comme si les gens feignaient leur mal-être uniquement pour avoir des certificats ! »
Le système mis en place actuellement pour encadrer les risques psychosociaux sont dans les faits souvent tournés vers la responsabilité individuelle. Sans questionner suffisamment le nœud du problème qui se situe souvent à l’intersection de l’organisation du travail, du mode de gestion de l’entreprise et de sa politique du personnel. On culpabilise les personnes qui subissent un épuisement professionnel en leur proposant un psychologue, on mise tout sur le développement personnel sans jamais questionner le problème par l’autre bout : avoir un burn-out est peut-être le signe de personnes tout à fait saines d’esprit qui doivent évoluer dans une société capitaliste malade, dont le modèle économique désuet et inefficace pour la grande majorité, tangue de plus en plus vers l’abîme.
Epuisement professionnel :
un mal-être qui laisse des traces
Burn-out, bore-out, brown-out, ces mots sont tendances. Tout le monde en a au moins entendu parler une fois. Mais quand ça vous tombe dessus, ça devient plus qu’un énième concept que l’on colle au mal-être du travailleur, ça devient une réalité. Amélie (prénom d’emprunt), 33 ans, était secrétaire de direction dans une entreprise de 200 personnes à Bruxelles. Le train-train quotidien jusqu’à ce qu’elle connaisse de profonds bouleversements.
On sait qu’on peut attribuer des symptômes spécifiques au burn-out. Avec le recul, pouvez-vous nous dire à quel moment ils sont apparus et sous quelle forme ?
Je peux identifier les symptômes mais ils se sont installés insidieusement et graduellement. Je n’avais plus envie d’aller travailler, j’avais la boule au ventre. Plus je m’approchais de mon lieu de travail, plus je me sentais mal. J’étais fatiguée. C’était une sorte d’épuisement. Mais au début, je mettais ça sur le compte de l’hiver, du manque de vitamines, de soleil. Ou sur mon hygiène de vie : alimentation pas assez saine, pas assez de sport. Au début, c’était plus une remise en question sur le plan personnel. Après, j’avais des symptômes un peu plus forts comme la perte de mémoire alors que je suis quelqu’un qui a une très bonne mémoire et qui est très organisée. C’est d’ailleurs une compétence primordiale pour le job de secrétaire de direction que j’exerçais. Je restais aussi figée devant mon pc. Je n’arrivais plus à réfléchir. Hormis des tâches très simples. J’étais dans un état de fébrilité permanente et d’angoisse. Un moment donné, je faisais même semblant de travailler tellement j’étais paralysée.
Comment avez-vous réagi ?
J’oscillais sur une journée entre culpabilité, remise en question et colère envers l’entreprise. Il y a des moments où je me sentais nulle, incapable de tenir mon poste parce que j’avais l’impression de ne jamais rencontrer les demandes de mon chef. Quand je lui présentais mon boulot, j’avais l’impression d’être à côté de la plaque. Et puis à d’autres moments, j’étais en colère, j’attendais qu’il y ait une réaction de l’entreprise.
J’étais très partagée. Je savais au fond de moi que cette situation ne me convenait plus et que ça ne pouvait plus durer éternellement. Mais je gardais un attachement à l’entreprise. Cela faisait trois ans et demi que j’y travaillais et je me voyais encore faire un petit bout de chemin en son sein. Je n’étais pas encore prête à envisager ma vie professionnelle en dehors de là. Et puis, je ne savais pas trop comment m’y prendre face à ce problème. Il m’a fallu du temps pour digérer le fait que je n’étais pas bien. L’admettre et puis l’accepter avant de pouvoir véritablement réagir.
Aujourd’hui comment vous sentez-vous ?
Je continue à avoir des trous de mémoire. J’en ai d’ailleurs parlé à d’autres personnes qui ont connu le burn-out et qui constataient le même chose. Le burn–out a véritablement brûlé certaines de mes compétences. Je sens quelques fois que je suis moins efficace que je ne l’étais avant de connaître cette situation. Je suppose qu’avec le temps, ça va peut-être revenir. Mais me retrouver telle que j’étais avant, je ne pense pas… J’ai repris malgré tout confiance en moi. En faisant une formation qui me plait, je me suis progressivement rendu compte que : « Non je n’étais pas mauvaise, non je n’étais pas désorganisée ». J’étais peut-être sensible mais ils m’ont bien enfoncée aussi. Ce qui me fait peur aujourd’hui, c’est bien évidemment de me retrouver à nouveau dans la même situation.
PETIT LEXIQUE DES PATHOLOGIES LIEÉS AU TRAVAIL
Burn-out :
épuisement professionnel lié à la surcharge de travail
Bore- out :
épuisement professionnel par l’ennui lié au manque de travail
Brown-out (baisse de courant) :
crise existentielle de l’employé lié à l’absurdité des tâches ou l’inadéquation avec ses valeurs.
——————
1. Document de Securex, firme de services RH publié en juin 2016. Extrait Stéphane Lepoutre (service entreprise CSC). Atelier « Stress, épuisement professionnel et malêtre au travail » des Equipes Populaires, 2017. 2. https://www.mc.be/maladies-traitements/ burn-out/causes.jsp 3. Stéphane Lepoutre (service entreprise CSC). Atelier « Stress, épuisement professionnel et mal-être au travail » des Equipes Populaires, 2017. 4. Idem