Une médecine à portefeuille variable (Sept.-Oct. 2019)
Auteure Monique Van Dieren, Contrastes sept.-oct. 2019 « Les hôpitaux sous tension », p.10–12
Pourquoi les patients sont-ils amenés à payer de plus en plus cher les consultations et les séjours en hôpital? La question des suppléments d’honoraires des médecins est au coeur du débat, tant pour le portefeuille du patient que pour le financement des hôpitaux. Il est urgent de freiner la spirale inflationniste.
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Face au manque de financements publics et à l’exigence légitime d’une médecine de qualité, de nombreux hôpitaux ont tendance à multiplier le nombre de prestations médicales remboursées par l’INAMI et encouragent la pratique des suppléments d’honoraires réclamés par les médecins, sur lesquels les hôpitaux perçoivent un pourcentage. Pour faire simple, trois éléments font varier le montant de la facture d’hôpital à payer par le patient : le choix du médecin, le choix de la chambre et le choix de l’hôpital. Sans compter le fait de bénéficier ou non d’une assurance hospitalisation, qui influence le choix des trois premiers…
Les gagnants de la course aux suppléments d’honoraires ?
– La plupart des médecins spécialistes ;
– Les hôpitaux qui pratiquent des tarifs élevés en sélectionnant la clientèle ;
– Les assureurs privés (quoique…).
Les perdants ?
– Les hôpitaux qui tentent de maintenir un accès aux soins (en refusant de pratiquer des suppléments d’honoraires élevés) ;
– Les patients qui n’ont pas d’assurance hospitalisation ;
– La sécurité sociale qui doit faire face à une forte augmentation du coût des actes médicaux.
Le choix du médecin
Tout d’abord, le choix du médecin et sa spécialisation sont déterminants en ce qui concerne le coût des soins ambulatoires et des consultations (en cabinet privé comme à hôpital).
Un prestataire de soins conventionné qui adhère à la convention1 s’engage à respecter les tarifs officiels fixés par l’INAMI. Un prestataire non conventionné demande généralement des suppléments d’honoraires. Certains prestataires sont entièrement conventionnés, d’autres ne le sont que partiellement. Dans tous les cas, le montant remboursé par l’Assurance soins de santé et indemnités reste identique. Cela signifie que les éventuels suppléments d’honoraires sont à charge du patient.
Dans de nombreuses spécialisations (ophtalmologie, radiologie…), les médecins ne sont
pas conventionnés, ce qui leur permet de pratiquer des tarifs élevés lors des consultations ambulatoires.
Ce qui est compliqué pour les patients, c’est qu’au sein d’un même hôpital, nombre de spécialistes pratiquent un conventionnement partiel : à certaines heures ou certains jours, ils consultent avec le statut de conventionné ; à d’autres moments, ils consultent « en privé », c’est-à-dire au tarif non conventionné. La différence pour le patient ? Le coût de la consultation est plus cher, mais en contrepartie le délai d’attente pour avoir un rendez-vous est beaucoup plus court.
Le principe étant que si le patient doit attendre quatre mois pour un rendez-vous en horaire conventionné, il va être tenté (si ses moyens le permettent) de demander un rendez-vous « en privé » (à l’hôpital ou à son cabinet particulier) dans le mois qui suit…
Selon le Dr Marco Schetgen2, « la grande majorité des médecins gagne extrêmement bien sa vie. Le problème, c’est que pour certaines spécialités, faire des consultations privées rapporte tellement plus, en particulier celles où il y a des actes techniques (par les gastro-entérologues, les cardiologues, les radiologues…). C’est le gros problème pour les hôpitaux qui essaient de fonctionner de manière plus sociale. Ils ont des difficultés à les recruter et sont obligés d’augmenter leur salaire pour qu’ils acceptent de travailler chez eux. Conséquence, ça fait des mécontents au sein même du corps médical de l’hôpital (ex. Un dermatologue va se plaindre de gagner deux fois moins qu’un radiologue). L’hôpital argumente en disant que le cardiologue rapporte plus à l’hôpital et que ça contribue à son équilibre financier… Soyons clairs, tous les médecins en Belgique sans exception gagnent très bien leur vie, y compris les généralistes, qui sont parfois considérés comme les parents pauvres. » Jean Hermesse, Secrétaire général des Mutualités chrétiennes, le confirme. « Nos spécialistes sont parmi les mieux payés d’Europe. Et n’oublions pas que ces rétributions élevées sont payées avec les moyens collectifs de la sécurité sociale… ».
CHAMBRES AVEC VUE SUR MER
80% des Belges sont couverts par une assurance hospitalisation privée, que ce soit via leur employeur, leur mutuelle ou une assurance privée. 39% le sont via leur assurance-groupe (employeur), 26% via une assurance privée commerciale et 35% via les assurances complémentaires mutuellistes3 . Il reste donc 20% des Belges qui n’ont de facto pas droit à une chambre individuelle, car le montant des suppléments d’honoraires en chambre peuvent être exorbitants.
Les mauvaises surprises touchent les personnes qui n’ont pas d’assurance mais aussi celles qui en ont une, mais ne connaissent pas bien les conditions de remboursement des frais. En effet, selon le type d’assurance, celles-ci couvrent des prestations et des montants différents, qui peuvent varier de 100 à 300% de la facture. L’augmentation constante des suppléments d’honoraires se répercute sur le montant des primes à payer par les patients. La marge bénéficiaire des assureurs est également atteinte, au point que certaines compagnies (DKV par exemple) se sont vues obligées par la Banque Nationale d’augmenter leurs tarifs.
Le choix de la chambre
En cas d’intervention nécessitant une hospitalisation, c’est le choix de la chambre qui est déterminant, car la plupart des spécialistes (conventionnés ou non) exigent des suppléments d’honoraires importants pour les patients qui choisissent une chambre individuelle. La plupart du temps, les patients qui font ce choix bénéficient d’une assurance hospitalisation.
Outre les suppléments d’honoraires des médecins liés au choix d’une chambre individuelle, l’hôpital facture bien évidemment au patient (ou à son assurance) un supplément pour la chambre elle-même. Alors qu’auparavant, la norme était la chambre à deux lits, toutes les nouvelles constructions prévoient un minimum de 50% de chambres individuelles (jusqu’à 70% pour le Chirec). C’est évidemment plus rentable pour les hôpitaux qui misent sur les deux tableaux : une surfacturation pour la chambre individuelle, et un pourcentage sur les suppléments d’honoraires des médecins pratiqués en chambre individuelle. Environ 10% des suppléments d’honoraires sont reversés à l’hôpital.
Le troisième tableau sur lequel misent les hôpitaux pour assurer leur équilibre financier, c’est la multiplication des prestations et examens médicaux remboursés par l’INAMI. « Sur les tarifs officiels de l’INAMI, une moyenne de 40% des rémunérations des médecins atterrit dans les mannes financières des hôpitaux. Conséquence, ceux-ci tendent à multiplier les examens médicaux, générant une surconsommation de soins au détriment du budget de la sécurité sociale.4 »
On assiste donc à un système de vases communicants : l’INAMI sous-finance les hôpi-
taux à la source, mais ces derniers favorisent une surconsommation de soins qui coûte à
l’INAMI. Malgré cela, « la situation du secteur hospitalier n’est pas brillante : 40% des hôpitaux sont en déficit (étude Belfius, 2018). Médecins et gestionnaires hospitaliers ont donc un intérêt économique à augmenter les suppléments d’honoraires »5. Le problème, souligne Jean Hermesse, interrogé dans Le Vif, c’est que « ni les fédérations d’hôpitaux, ni le SPF Santé ne sont capables de fournir des chiffres à cet égard. Des hôpitaux autorisant 300% de suppléments d’honoraires sont en difficulté financière et d’autres sont à l’équilibre avec seulement 100% de suppléments ». C’est dire si la gestion financière des hôpitaux est peu transparente…
COMBIEN ÇA COÛTE ?
- La pose d’un pacemaker dans un hôpital coûte en moyenne 179€ au patient. Du moins s’il opte pour une chambre double ou commune. S’il choisit une chambre individuelle, il lui faudra débourser 1.731€, soit près de dix fois plus.
- Un accouchement en chambre double ou commune coûte en moyenne 181€ à la patiente, contre 1.390€ en chambre individuelle.
- La pose d’un stent revient en moyenne à 254€ en chambre double ou commune, alors que la facture atteint 2.074€ en chambre individuelle.
- Dans le top 10 des hôpitaux les plus chers, on retrouve une toute grande majorité d’hôpitaux bruxellois.
Source : Baromètre Mutualité chrétienne 2018.
Pour comparer le prix des hôpitaux, consulter la cartographie sur : https://www.mc.be/actualite/articles/2018/cartographie-tarifs-hopitaux
Le choix de l’hôpital
Le choix de l’hôpital est également un critère déterminant dans la facture à charge du patient. Certains hôpitaux font de gros efforts pour permettre aux personnes les plus défavorisées d’être aidées sans aucun coût (ou avec un coût le plus faible possible). L’hôpital Saint-Pierre à Bruxelles est un exemple en la matière, d’autres pratiquent au contraire une politique de sélectivité maximale.
Pour les personnes qui ne sont pas affiliées à une mutuelle (notamment les demandeurs
d’asile), ou dont les revenus ne permettent pas de faire face à une facture imprévue, c’est
le CPAS qui décide s’il couvre financièrement l’intervention, en fonction du dossier médical et de la pathologie. « Outre le stress engendré par la perspective d’une hospitalisation, c’est l’inquiétude principale des personnes les plus précaires », confirme Marco Schetgen. Si le CPAS ne donne pas le feu vert pour une hospitalisation, l’hôpital est obligé de demander l’intervention financière du patient.
Pour lui, « c’est clairement le choix de l’hôpital qui fait la différence de prix. Il y a des hôpitaux dans lesquels les médecins sont totalement indépendants dans leur statut, c’est-à-dire qu’ils peuvent demander le prix qu’ils veulent. Et on est arrivés à de tels excès… Certains médecins n’acceptent de soigner que les patients qui prennent une chambre individuelle, car cela leur permet de gonfler leurs honoraires jusqu’à 300% du prix de base ».
Sur le plan médical également, « il serait logique que tous les patients soient logés à la
même enseigne, estime Marco Schetgen. Si on devait mettre en place un système idéal, il faudrait que tout le monde ait une chambre seule avec remboursement intégral par la mutuelle. C’est plus confortable et meilleur en termes de soins ; moins de risques d’infections, les nuits sont meilleures après une opération, etc. Notre médecine hospitalière est de bonne qualité, le système est efficace de ce point de vue. Nous avons du bon matériel et de bons spécialistes. Mais il faut être honnête, pour assurer cette qualité, ça coûte de plus en plus cher et les subsides ont, quant à eux, tendance à baisser ».
Mettre fin aux suppléments d’honoraires
L’absence de régulation des suppléments d’honoraires a également d’autres conséquences pour les hôpitaux. « Des médecins se tournent vers des hôpitaux offrant des suppléments plus élevés, et des services risquent de se retrouver en manque de personnel médical parce qu’ils ne peuvent pas ou ne veulent pas suivre l’escalade des rémunérations. »6
Un des nœuds du problème est donc bien celui des suppléments d’honoraires. Pour les
mutuelles comme pour de nombreux acteurs de la santé, il est clair qu’il faut s’atteler à leur régularisation, qui concerne non seulement le système de rémunération des médecins mais aussi la clé de financement des hôpitaux.
L’accord médico-mutuelliste 2018–2019 proposait de geler l’augmentation des suppléments d’honoraires jusque fin 2019, mais ce sont principalement les fédérations d’hôpitaux qui ont fait blocage. Avec des nuances, les mutualités défendent une solution encore plus radicale à long terme : supprimer les suppléments d’honoraires et réinvestir le montant versé par les patients et les assurances à l’INAMI, qui répartirait cette somme de manière équitable entre les hôpitaux et les médecins. « Faisons de la chambre particulière la norme, interdisons tous les suppléments d’honoraires. Cela permettrait de refinancer les hôpitaux et de corriger les écarts de rémunération », estime Jean Hermesse. Cependant, ce n’est envisageable à terme que si les suppléments d’honoraires sont interdits. Nous ne voulons pas de soins de santé à deux vitesses, avec des chambres individuelles qui ne sont accessibles qu’à ceux qui peuvent se le permettre financièrement. »
1. La convention est un accord conclu régulièrement entre les mutualités et les représentants des prestataires de soins. Elle fixe les honoraires des différentes prestations.
2. Marco Schetgen est médecin généraliste, professeur de l’Université (ULB), responsable académique de la chaire Santé et précarité.
3. Hôpital, le business de la chambre privée, Le Vif n°37, 12/09/2019.
4. Hôpitaux : vers une privatisation des soins ? Alter Echos n°463, avril 2018.
5. Le Vif n°37, 12/09/2019.
6. Idem.
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