Faire soi-même est-il un acte politique ? (Contrastes Janvier-Février 2021)
Une pierre à l’édifice
(La revue est téléchargeable en bas de page.)
Les savoir-faire ancestraux, sacrifiés pendant quelques décennies sur l’autel de la consommation de masse, retrouvent leurs lettres de noblesse. Les pratiques appelées Faire soi-même -ou Do it yourself en anglais- couvrent de multiples domaines d’activités, s’exercent seules ou en groupe, dans des contextes et des environnements très différents, et surtout poursuivent des objectifs multiples : lutte contre le gaspillage, exercice de créativité, économies financières… Ces pratiques contribuent sans aucun doute au bien-être personnel mais aussi à la protection de l’environnement et au développement d’un modèle de société moins consumériste et plus soutenable.
Les pratiques d’autoproduction individuelles se répandent, au point qu’on peut véritablement parler d’un phénomène de mode dont les sociétés commerciales et les réseaux sociaux s’emparent de plus en plus.
Pratiquées en groupe dans le cadre de l’éducation permanente, ces activités mettant en valeur les savoir-faire permettent de questionner nos modes de production et de consommation, mais également d’exercer une action collective transformatrice. C’est ce qu’explique Christian Boucq dans le premier article, pour qui l’action collective doit être un aller-retour permanent entre « savoir-faire, faire savoir et faire pouvoir ». En ce sens, le Faire soi-même est pour lui un acte politique. Dans son interview, Sébastien Kennes partage ce point de vue. Pour lui, on retrouve dans le Do it yourself trois dimensions importantes : résistance, expérimentation et vision transformatrice. Pour lui, Faire soi-même pratiqué en dehors du système dominant et dans une démarche collective, c’est un acte de résistance.
Et si le Faire soi-même peut avoir comme but ultime de tourner le dos au système capitaliste pour empêcher d’étouffer sous l’effet du réchauffement climatique, nous devons nous interroger sur la manière d’ouvrir ces pratiques de transition à des citoyens qui en sont encore éloignés. Et ce n’est pas nécessairement ceux à qui on pense en premier lieu : en matière d’émissions de gaz à effet de serre et de consommation durable, ce sont les riches qui ont tout faux !
Mais loin de nous l’idée que les pratiques d’autoproduction vont à elles seules changer la face du monde… Dans le dernier article, Guillaume Lohest tente une classification des modes d’action pour répondre aux enjeux écologiques. En caricaturant, il en distingue trois : la foire aux initiatives citoyennes de transition (dans laquelle il inclut les pratiques de Do it yourself), l’éducation permanente pour une transformation longue, et l’activisme pour cause d’urgence.
La pratique du Faire soi-même ne va donc pas à elle seule changer le monde car elle ne met pas en danger l’économie capitaliste mondialisée. Elle peut cependant être considérée comme un acte politique à condition qu’elle trouve sa place dans cette complémentarité des formes d’engagement.
Monique Van Dieren
SOMMAIRE
COUTURE, PRODUITS D’ENTRETIEN, JARDINAGE… DU SAVOIR-FAIRE AU FAIRE POUVOIR (P.3–5)
Potagers collectifs, ateliers de fabrication de produits d’entretien et cosmétiques, de réparation d’électroménagers, de « relooking » de vêtements… Comment ces réponses locales peuvent-elles participer au renversement d’un mouvement global dévastateur ? Comment connecter ces communautés porteuses de solidarité pour changer le système libéral ?
FAIRE SOI-MÊME, C’EST AUSSI… UN BUSINESS (P.6–8)
Le Faire soi-même n’est pas seulement pratiqué de manière collective en éducation permanente, c’est aussi une nouvelle attitude individuelle d’autoproduction qui peut cependant revêtir un aspect militant de remise en question de la société de consommation. Cette pratique se répand, et le marché a bien pris conscience du potentiel que représente cette évolution.
SÉBASTIEN KENNES : LA PUISSANCE DE L’AGIR COLLECTIF (P.9–12)
Bien connu dans le monde associatif où il participe à de nombreuses dynamiques alternatives, Sébastien Kennes fait aussi partie de l’équipe de « Rencontre des Continents », une association qui définit l’éducation populaire comme étant au croisement des questions sociales et environnementales. Il se définit non comme un théoricien mais comme un praticien. Contrastes l’a rencontré.
ARTISANS DE LA TRANSITION ÉCOLOGIQUE (P.13–15)
La réflexion que nous proposons s’enracine dans un courant né fin du 19e, début du 20e siècle. A l’époque déjà, des penseurs s’interrogeaient sur la tendance du Faire soi-même née de la révolution industrielle, qui transformait la société en vaste marché, garni d’objets nouveaux. Un véritable paradis sur terre… ?
QUELLE EST LA BONNE FAÇON DE CHANGER LE MONDE ? (P.16–20)
– Petite sociologie des acteurs du changement –
La « transition » désigne, depuis quelques années déjà, l’indispensable passage d’une organisation du monde à une autre, qu’on souhaite beaucoup plus respectueuse des écosystèmes et des humains. Cette volonté de « transition », au sens large, peut induire des modes d’action différents. Y en a-t-il un meilleur qu’un autre, si ce n’est celui duquel vous vous sentez le plus proche ?