Justice fiscale: la grande imposture (Contrastes, Janv.-Fév. 2020)
Pourquoi la fiscalité est-elle injuste ?
C’est devenu une évidence : la fiscalité est désormais au cœur des revendications de toutes les luttes sociales ; celle des Gilets jaunes, des Blouses blanches, des Jeunes pour le climat, des magistrats…
Parce que sans impôt, sans contribution financière de TOUS à la vie en société, pas de services publics performants, pas de soins de santé accessibles et de qualité, pas de justice équitable, pas d’école pour tous, pas d’argent pour financer la lutte contre la pauvreté et la transition écologique, pas de financement du vieillissement, etc. Et c’est là que le bât blesse. L’hémorragie planifiée dans les services à la collectivité (5% en moyenne dans tous les services publics sous la précédente législature) est plus qu’alarmante, alors que rien n’est activé pour « mettre à contribution » les personnes et les grosses entreprises dont la richesse et les profits donnent le tournis et ne cessent de croître.
En effet, la Belgique est une très mauvaise élève en matière de justice fiscale. Pourquoi ? Les raisons sont multiples, et c’est ce que tente de démontrer de manière non exhaustive ce dossier de Contrastes.
Parce que la progressivité de l’impôt, règle de base de la fiscalité, est devenue tout relative. Parce qu’il n’y a pas de globalisation des revenus qui permettrait aux détenteurs de capitaux de payer leur part d’impôt à la hauteur de celle des salariés. Parce qu’il n’y a pas d’impôt sur les patrimoines, qui ne cessent de gonfler. Parce que rien n’est fait pour lutter contre la grande fraude fiscale. Parce que l’évasion fiscale est un véritable hold-up sur l’argent de la collectivité. Mais aussi, parce que le secret bancaire et l’absence de cadastre des fortunes empêchent de connaître les revenus et la fortune des « épaules les plus larges »… et donc empêchent de mettre en œuvre de manière équitable tout ce qui précède : une réelle progressivité de l’impôt, la globalisation des revenus, l’impôt sur la fortune, la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales.
« Un régime fiscal plus équitable et plus transparent : où est le courage politique ? », se demande Ewald Pironet dans la libérale revue Knack du 27 février 2019. On se heurte « à notre structure étatique compliquée, et aux groupes de pression qui font tout ce qui est en leur pouvoir pour que les avantages fiscaux actuels soient préservés pour leurs membres. Ces deux phénomènes doivent être combattus si nous voulons un système fiscal plus équitable et plus transparent. Cela exigera du courage. Nos politiciens en ont-ils ? ». Franklin Dehousse, ancien juge au Tribunal de l’Union européenne et professeur dans plusieurs universités, pense plutôt que ce c’est la volonté qui manque le plus. « La politique fiscale européenne n’avance pas, d’abord parce que les Etats sont d’une grande malhonnêteté. (…) Dans la lutte contre la fraude fiscale, la Belgique a été la dernière résistante. Nous sommes devenus le pays qui lutte, non pas contre la fraude fiscale, mais pour la fraude fiscale », a-t-il déclaré au Vif le 19 janvier 2019. Or, celle-ci coûte 2.000€ par an à chaque citoyen belge…
Une lueur d’espoir malgré tout ? Il en faut, et il en existe. De plus en plus de lanceurs d’alerte prennent le risque (car il y en a !) de dénoncer les scandales d’évasion fiscale à grande échelle. Pas encore de réaction très vive des pouvoirs politiques belges et internationaux, mais au moins ils ne peuvent plus dire qu’ils ne savaient pas…
Par ailleurs, l’opinion publique belge est de plus en plus informée et sensibilisée à la question des inégalités fiscales. Pour preuve, le récent sondage réalisé par le CNCD-11.11.11 qui montre que 73% des Belges sont favorables à un impôt sur la fortune. L’action sans relâche du Réseau pour la Justice fiscale (RJF) et de son équivalent néerlandophone (FAN) a sans aucun doute contribué à cette prise de conscience : la persévérance paie, même si les résultats politiques se font encore attendre…
Monique Van Dieren
SOMMAIRE
GLOBALISER LES REVENUS, UNE UTOPIE ? P.3–5
En Belgique, les revenus du travail, du capital et de l’immobilier sont taxés séparément, et à des taux différents. On ne globalise donc pas les revenus d’une personne avant de les taxer. Or, globaliser les revenus serait une des meilleures manières de tendre vers une plus grande justice fiscale. La Belgique l’a déjà fait par le passé… pourquoi pas aujourd’hui ?
LES BELGES PLÉBISCITENT UNE TAXATION DES PATRIMOINES. P.6–9
Le récent sondage IPSOS réalisé pour le CNCD-11.11.11 confirme le soutien des Belges à un impôt sur la fortune, de manière largement majoritaire tant au Nord qu’au Sud du pays. Un sondage LLB en 2012 donnait déjà environ 70% de soutien à une telle mesure. Cette mesure est-elle praticable… et souhaitée par le monde politique ? Eléments de réponse.
DÉMONTONS LES MOTS TABOUS DE LA FISCALITÉ. P.10–12
Marie-Hélène Ska est Secrétaire générale de la Confédération des syndicats chrétiens. Nous lui avons demandé comment la confédération qu’elle dirige se positionne en matière de fiscalité. Pour le syndicat, ministre du Budget et ministre des Finances n’ont pas forcément compris qu’on attendait d’eux des pistes pour financer les services publics et la sécurité sociale. N’auraient-ils pas plutôt tendance à trouver des pistes contribuant à les… définancer ?
DEUX FACES D’UNE MÊME PIÈCE. P.13
Le montant estimé de la fraude et de l’évasion fiscales en Belgique est de 30,4 milliards d’euros par an. Si ces deux concepts ne recouvrent pas la même réalité, ils ont cependant des points communs. Les milliards qui échappent à l’impôt se retrouvent généralement dans les paradis fiscaux. Et ils privent les Etats d’énormes moyens financiers pour équilibrer leurs budgets et financer les politiques sociales.
ILS FRAUDENT… NOUS PERDONS ! P.14–16
La fraude fiscale est parfois présentée comme « le sport national ». C’est une image sympathique mais erronée d’un phénomène qui prive les pouvoirs publics de moyens budgétaires importants et accroit les inégalités. Pourtant, l’arsenal administratif et judiciaire existe pour le combattre. Mais lui donne-t-on les moyens d’égaler les sportifs professionnels de haut vol ?
LE CASSE DU SIÈCLE. P.17–19
L’évasion fiscale, c’est une perte de recettes fiscales par dizaines de milliards pour les Etats. Mais c’est aussi l’exercice d’une violence inouïe aussi froide qu’implacable par une extrême minorité, constituée de grandes entreprises et riches particuliers qui ont décidé de faire sécession d’avec l’extrême majorité de leurs concitoyens en ne consentant pas à l’impôt qu’ils devraient payer. Il s’agit en fait d’une volonté délibérée de « ne plus faire société » de la part de ceux qui détiennent la toute-puissance financière.
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