Le CPAS, premier filet de protection sociale ? ( Contrastes Décembre 2014)
Confusion, insécurité et malaise
Les conquêtes du mouvement ouvrier et son corollaire la sécurité sociale avaient réussi à sortir la société occidentale de la charité sélective pour la faire entrer dans l’ère du Droit.
Côté Sécu, droit à un revenu de remplacement en cas de perte d’emploi (maladie, vieillesse, chômage…).
Côté aide sociale, droit à un minimum de moyens pour vivre décemment. Quel progrès !
Aujourd’hui, on fait un bond en arrière de cinquante ans puisque le principe d’activation des personnes contamine et conditionne de plus en plus l’ensemble des dispositifs de protection sociale, en ce compris l’aide sociale octroyée par les CPAS.
En réalité, ce glissement est à l’œuvre depuis plusieurs années (voir article page 3).
Il s’explique par des raisons idéologiques et un contexte de crise de l’emploi, qui ont amené à faire évoluer l’ensemble des législations vers une logique d’action et d’employabilité. L’aide sociale devenant de plus en plus conditionnée à ce critère d’employabilité et d’activation, les CPAS se retrouvent eux aussi contraints d’appliquer les mêmes logiques que celles de l’ONEM, allant jusqu’à l’application de sanctions pour les personnes qui ne peuvent pas prouver leur volonté inconditionnelle d’insertion sur le marché du travail.
Les travailleurs sociaux des CPAS sont en première ligne pour témoigner de cette évolution inquiétante (voir article page 7).
Cette similitude des logiques et des méthodes entraîne une confusion et une insécurité totale dans le chef des personnes qui bénéficient de l’un ou de l’autre régime de protection.
Cette confusion est renforcée par le fait que les frontières sont de plus en plus poreuses entre les deux systèmes.
L’augmentation des sanctions et la dégressivité accrue des allocations de chômage multiplient les allers-retours entre l’ONEm et le CPAS. Et de plus en plus, le chômeur doit aussi recourir à l’aide du CPAS pour pouvoir survivre.
Ne va-t-on pas jusqu’à dire aujourd’hui que c’est le CPAS et non plus la Sécu qui est le premier filet de protection sociale ?
A l’heure où certains dénoncent à cor et à cri la fraude sociale, il est important de rappeler que de nombreuses aides ne sont au contraire pas octroyées, par méconnaissance de leur existence ou par peur de ne pas pouvoir en maîtriser les conséquences financières (voir article page 17). Confusion et malaise également au sein des CPAS qui se posent légitimement la question de leur(s) mission(s).
Est-ce à eux d’assurer les services que les autres institutions publiques, tous niveaux de pouvoir confondus, ne veulent plus assurer ?
Comme le déplore Philippe Defeyt, le président du CPAS de Namur (voir interview page 13), les CPAS sont de plus en plus amenés à délaisser leur core-business – assurer les conditions minimales de revenus – pour s’occuper de remise à l’emploi, de scolarité des jeunes, de santé pour les soins non remboursés, etc.
A cela s’ajoute un sous-financement chronique qui n’augure rien de bon au vu de l’augmentation prévisible des personnes qui vont pousser les portes des CPAS dans les prochains mois.
Loin d’une véritable politique globale de protection sociale, le fédéral se déresponsabilise dangereusement de l’un de ses devoirs essentiels : garantir la sécurité collective d’existence au niveau de qualité où on l’avait amené.
Sommaire
p3 – De l’assistance à l’action sociale, un virage en boucle ?
(Par Christine Steinbach)
La manière d’organiser l’aide sociale traduit le rapport que la société entretient avec ses pauvres. Celui-ci est-il vu comme malchanceux, paresseux ou exploité ? La pauvreté est-elle un état naturel, le résultat d’un vice ou la conséquence d’un système socio-économique ?
Regard sur l’histoire et les missions des CPAS, dont l’évolution récente renvoie à une lecture inquiétante.
p7 – 50.000 exclus et des CPAS aux abois
(Par Claudia Benedetto)
Le compte à rebours est lancé pour des milliers de sans-emploi. Le 1er janvier 2015, ils seront exclus des allocations d’insertion et seront dès lors obligés de pousser la porte des CPAS pour trouver refuge. Mais encore faut-il que ces derniers en aient les moyens !
p10 – Quand les CPAS doivent “placer” leurs usagers
(Par Christine Steinbach)
La loi organique des CPAS leur attribue d’emblée une mission de remise à l’emploi. Il s’agit surtout d’aider l’usager à recouvrer ses droits à des allocations sociales. Avec l’avènement de l’Etat social actif, l’idée qui sous-tend l’article 60 va intégrer l’activation et ouvrir le champ au secteur privé commercial.
p13 – Interview : Philippe Defeyt : Le CPAS n’est pas là pour faire “un Peu de tout”…
(Par Xavier Dubois et Monique Van Dieren)
Plus besoin de présenter longuement Philippe Defeyt. Economiste, membre fondateur d’Ecolo et de l’Institut pour le développement durable, c’est au titre de président du CPAS de Namur que nous l’avons rencontré.
Homme de coeur et de chiffres, il jette un regard lucide sur l’évolution inquiétante du rôle des CPAS, devenus bouche-trous de ce que les autres institutions publiques ne veulent ou ne peuvent plus assumer.
p17 – Allocataires sociaux : tous des fraudeurs ?!
(Par Muriel Vanderborght)
Aurions-nous enfin trouvé l’ennemi numéro un des finances publiques ? A en croire nos derniers gouvernements, l’allocataire social représenterait en tous cas un grand danger pour l’avenir budgétaire de notre pays. Mais une vague de contrôles acharnés compte bien venir à bout de ce scandale que l’on appelle la fraude sociale…
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